?> NIGER: un fleuve qui se meurt
NIGER: un fleuve qui se meurt

Banc Public n° 150 , Mai 2006 , Kerim Maamer



Le fleuve Niger est la principale richesse du Sahel. Un miracle du désert, qui joue un rôle fondamental dans la vie humaine, sociale, économique. L’histoire des sociétés sahéliennes est traversée de contes, légendes, récits et même de rites religieux autour du fleuve. Les hommes d’autrefois lui vouaient un majestueux respect.


Aujourd’hui, le 3ème fleuve d’Afrique régit la vie de 100 millions de personnes. Il procure les principales ressources alimen­taires (poisson, agriculture), offre des potentialités économiques (énergie, tourisme), et permet des activités com­merciales en amont. Il nécessite donc une attention plus que particulière.
Dégradation du fleuve

Le Niger est réellement menacé. La baisse de la pluviométrie a conduit à un ensablement croissant et à une diminution du renouvellement des eaux. La réduction des pluies, conjuguée à une exploitation inten­sive des eaux, conduit à une dégradation de la qualité des eaux du fleuve. Les principales industries et activités locales y rejettent leurs eaux usées. On estimait en 2002, pour la seule ville de Niamey, que 6.000m3 d’eaux usées étaient rejetées chaque jour dans le fleuve sans aucun traitement.

Un piètre constat avait déjà été posé en 1996. Depuis, c’est pire. L’exploitation des eaux s’est intensifiée. Le rejet d’eaux usées s’est accentué. Demandes et rejets sont croissants, mais aucune conscience publique ne s’est réellement organisée. Le simple citoyen constate l’insécurité de l’approvisionnement et le manque de poissons sur les marchés mais, en toute quiétude, il se reporte sur d’autres aliments.

La responsabilité publique est de prendre conscience des dangers et du déclin de la qualité de vie. Il lui appartient de protéger le fleuve et ses ressources. Des recomman­dations avaient été faites pour améliorer la connaissance de la vie du fleuve et identifier les causes de pollution.

L’idée d’un Observatoire de l’eau pour préciser nos connaissances sur la flore, la diversité biologique, les cycles et facteurs de vie des plantes, les risques et dangers d’ingérence des polluants, le suivi de la diversité et de l’évolution des espèces, la définition de paramètres de saturation afin d’indiquer les limites au-delà desquelles l’écosystème devient non viable… L’observatoire accumulerait des données sur la qualité des eaux au moyen de prélèvements réalisés depuis les sources du fleuve jusqu’à son embouchure, en amont et en aval des villes, en période de crue et en période de sécheresse.
Choix économiques

Les Etats du Sahel se sont peu investis dans la connaissance du fleuve. Ils se sont plus préoccupés de répondre aux besoins de consommation des ménages et des industries. Le fleuve a été exploité dans un sens unidirectionnel comme s’il pouvait répondre de manière illimitée à une demande insatiable. Avec le soutien de la Banque mondiale, des infrastructures ont été mises en place pour offrir une eau potable à domicile, répondre aux besoins des industriels et des agriculteurs. Ces investissements ont permis de hauts débits d’eau, qui pouvaient laisser croire à un progrès et à une abondance d’accès à l’eau pour les pays du Sahel. Ce besoin fondamental est apprécié en tant que critère fondamental dans l’index de développe­ment humain (HDI). Or, l’amélioration de confort de vie n’est pas réelle. Elle ne s’inscrit pas dans la durabilité. L’accès à l’eau potable nécessitera de plus en plus d’interventions chimiques jusqu’au jour où le désastre écologique rappellera les mauvais choix économiques.
Eaux domestiques

Ce n’est pas le confort qui est contesté mais le gaspillage de la ressource d’eau, son salissement et son rejet sans traitement. En créant l’abondance, la valeur de l’eau s’est dépréciée. L’argument commercial préten­dait qu’un «seau d’eau de robinet était moins cher qu’un seau d’eau transporté». Le calcul ne tient pas si l’on considère le gaspillage, le rejet d’eau usée et la rentabi­lité d’utilisation d’un seau transporté. Les infrastructures ont bouleversé les modes d’organisation traditionnels.

Les méthodes ancestrales avaient leur cohérence économique - et économe. Dans les pays du Sahel, l’activité sociale s’organisait autour de l’eau avec une importance notable pour les puisatiers et les porteurs d’eau. Ils apportaient une extraordinaire contribution sociale que l’on retrouve dans les récits. A ces métiers dévalorisés ont succédé de nouveaux métiers, nuisibles à la santé du fleuve: les laveurs de linge. A Niamey, ils utilisent directement le fleuve pour le lavage, le rinçage et même… le graissage de véhicules ! Les lessives contiennent des produits chimiques et toxiques ; les graisses contiennent des polluants très lourds. Les responsables publics ont laissé s’enraciner des habitudes malsaines: aucune conscience publique n’est organisée; aucune administration de police des eaux n’est fonctionnelle; aucun règlement n’est applicable depuis plusieurs années.

Le rejet d’eaux usées ne suscite pas de grandes inquiétudes. Les quelques stations d’épuration sont inadaptées ou non fonctionnelles. Or, s’il y a une «obligation de fournir une eau propre aux citoyens», il y a aussi une «obligation de rejeter une eau propre dans le fleuve». Nos contemporains devraient s’inscrire dans cette obligation écologique, afin de préserver une ressource vitale, difficilement renouvelable.
Eaux industrielles

Le rejet des eaux domestiques dans le fleuve est une pollution très grave. Le rejet des eaux industrielles est dramatique, tant la charge polluante est importante. Ces eaux ne doivent pas être rejetées ni dans le fleuve, ni dans aucun réseau urbain. Elles doivent être spécialement traitées dans des stations d’épuration. Les industries locales ne sont pas raccordées à des systèmes d’épuration.

La flore et la vie aquatique encaissent de sévères perturbations. La capacité d’auto épuration n’est pas sans limite. La nature ne restera pas sans réaction. La dégradation des produits du fleuve est flagrante pour le simple citoyen. Certaines espèces de poissons ont du mal à se renouveler, d’autres ne remontent plus le fleuve. La vie des espèces et la vie des hommes est compromise. La contamination de l’eau et des ressources aquatiques risque de provoquer  des maladies : typhoïde, dysen­terie, hépatites, amibiases, poliomyélites…

Pourtant, des outils simples et peu coûteux permettraient de réduire les pollutions du fleuve Niger. Quelques moyens adminis­tratifs, juridiques et organisationnels permettraient de stopper certaines vilaines habitudes et de réorganiser un système social qui s’inspire de l’expérience locale. Notre coopération détient des atouts à faire valoir en complément à l’élite locale.

Kerim Maamer

     
 

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