Définition
L’empreinte écologique d’une population ou d’une économie spécifiques est la superficie de sol et d’eau écologiquement productifs qui serait nécessaire pour:
- fournir toutes les ressources d’énergie et de matière consommées;
- absorber tous les déchets déversés par cette population;
quel que soit sur Terre le lieu où cette superficie est située.
Cette notion repose sur l’hypothèse que «toutes les catégories de consommation d’énergie et de matière et d’élimination des déchets requièrent la capacité de production et d’absorption des déchets du sol et de l’eau d’une région donnée. Si nous additionnons les besoins en sol de toutes les catégories de consommation et d’élimination des déchets d’une population donnée, la superficie totale représente l’empreinte écologique de cette population sur la Terre (...)».
L’empreinte écologique est donc la portion de la superficie du globe terrestre dont dispose une population donnée compte tenu de son mode de vie; il ne s’agit pas de la superficie comprise dans les limites politiques occupées par une population donnée, mais bien d’une surface abstraite composée de l’addition de toutes les surfaces nécessaires aux différentes activités de cette population.
Pour prendre un exemple simple, s’il s’agit d’un pays du Nord dont les habitants consomment des bananes, une certaine superficie d’un pays du Sud est affecté à la production de bananes destinée à l’exportation vers ce pays; cette surface fait partie de l’empreinte écologique du pays qui consomme cette production.
Mais l’empreinte écologique d’une culture donnée ne se réduit pas nécessairement à la portion de sol qu’elle occupe: on a calculé par exemple que l’empreinte écologique de la culture hydroponique des tomates en serres chaudes est de10 à 20 fois supérieure à la surface occupée par la serre au sol, puisqu’il faut tenir compte de l’énergie et des engrais utilisés.
Intérêt de la notion
Pour ses auteurs, «la force de l’analyse de l’empreinte écologique réside dans sa capacité de communiquer simplement et graphiquement la nature générale et l’ordre de grandeur du ‘lien’ biophysique entre l’espèce humaine et l’écosphère».
Méthode de calcul
Les calculs sont basés sur des données moyennes de consommation extraites des statistiques nationales. Pour chaque article majeur de consommation, on divise la moyenne de sa consommation annuelle par la moyenne du rendement de sa production. Lorsque plusieurs éléments entrent dans la production d’un article, les superficies correspondantes sont additionnées.
L’empreinte totale d’un pays est la somme de toutes les superficies ainsi obtenues, et l’empreinte d’un habitant de ce pays s’obtient évidemment en divisant cette superficie par le nombre d’habitants du pays.
Toute activité humaine n’est pas convertible aussi simplement en superficie utilisée et Wackernagel et Rees se penchent sur les cas particuliers suivants :
1) L’énergie commerciale
Trois méthodes sont proposées pour convertir en utilisation de sol la consommation d’énergie:
- la première consiste à calculer le sol nécessaire pour produire un substitut organique du combustible fossile utilisé (il peut s’agir d’éthanol, produit à partir de matière végétale (biomasse), ou de méthanol, produit à partir de bois) ;
- la deuxième évalue la superficie nécessaire pour emmagasiner le CO2 émis par le combustible fossile que nous brûlons;
- la troisième calcule la superficie de sol requise pour reconstruire le capital naturel au même rythme que le combustible fossile est consommé.
Les résultats de ces méthodes sont qu’un hectare de sol écologiquement productif correspond à une consommation de 40 à 93 gigajoules de combustible fossile par année.
2) Le sol construit
«Le sol pavé, celui sur lequel on a érigé des édifices, celui qui est très érodé (...) sont considérés comme ayant été ‘consommés’ puisqu’ils ne sont plus organiquement productifs.»
3) Les réserves d’eau
La consommation d’eau douce pour des fins humaines compromet d’autres utilisations possibles de cette eau ou du sol requis pour l’emmagasiner; de l’énergie et de la matière sont utilisées pour transporter cette eau.
4) L’absorption des déchets
Il faudrait tenir compte de la contamination de l’écosystème par les déchets qui ne peuvent être recyclés. Jusqu’à présent, les auteurs n’ont tenu compte dans leurs calculs que de la production du CO2, qui contribue à l’effet de serre et à la modification du système climatique.
5) La protection de la biodiversit
Certains auteurs soutiennent qu’il faudrait préserver un tiers de chaque écosystème, mais pour Wackernagel et Rees ce chiffre est arbitraire et, dans le doute, il faudrait préserver toutes les forêts (presque) vierges qui subsistent, soit 1,5 milliards d’hectares.
Voici les empreintes estimées des habitants de différents pays:
Etats-Unis: 10,3 Ha/habitant
Canada: 7,7 Ha/habitant
France: 5,2 Ha/habitant
Belgique: 5,0 Ha/habitant
Danemark: 5,9 Ha/habitant
Finlande: 6,0 Ha/habitant
Egypte: 1,2 Ha/habitant
Ethiopie: 0,8 Ha/habitant
Inde: 0,8 Ha/habitant
Israël: 3,4 Ha/habitant
Japon: 4,3 Ha/habitant
Répartition
Chacun sur terre pourrait-il jouir du niveau de vie actuel des Nord-Américains ?
La surface de la terre mesure 51 milliards d’hectares dont 14,9 milliards sont de la terre ferme. Seuls 10,3 milliards d’hectares sont des sols écologiquement productifs: terres arables, pâturages, forêts. Comme on l’a vu plus haut, 1,5 milliards d’hectares sont des étendues vierges qui devraient être protégées.
Restent donc 8,8 milliards d’hectares de sol disponibles pour des utilisations humaines actives. Si chacun sur Terre devait jouir des mêmes possibilités de consommation que les Nord-Américains, il faudrait cinq planètes Terre!
Déjà actuellement, la capacité de la planète est dépassée. En effet, l’agriculture occupe 1,5 milliard d’hectares de terres agraires et 3,3 milliards d’hectares de paturages; la production de bois nécessite 1,9 milliards d’hectares et il faudrait 5 milliards d’hectares pour capter le CO2 émis par la combustion des combustibles fossiles, soit un total de 16,5 milliards d’hectares alors que l’on vient de voir que notre planète ne comporte que 10,3 milliards d’hectares de sol écologiquement productif.
La situation actuelle est donc un dépassement de plus de 30%, au minimum.
«La grenouille qui bout»
Il est donc évident que nos politiques doivent être modifiées. Malheureusement, les dangers encourus se situent dans le long terme alors que les politiques actuelles sont beaucoup plus facilement influençables par le court terme. Elles sont également plus facilement sensibles à ce qui concerne directement les individus qu’à ce qui a trait au monde dans sa globalité.
Wackernagel et Rees se réfèrent pour donner une image de la situation actuelle au «syndrome de la grenouille qui bout» inventé par les biologistes Ornstein et Ehrlich pour donner une image du fonctionnement du cerveau humain:
«(…) des grenouilles placées dans un chaudron d’eau qui chauffe lentement ne seront pas capables de détecter la tendance graduelle mais mortelle (...). Comme les grenouilles, bien des gens sont incapables de détecter la tendance graduelle mais fatale de l’augmentation de la population et de la croissance économique qui menacent de faire bouillir la civilisation...»
Conclusion
La notion d’empreinte écologique est très intéressante et le concept est bien expliqué. Toutefois, une volonté de simplification pour éviter d’alourdir l’exposé rend certains calculs difficilement compréhensibles. Cela ne nuit pas à l’intérêt de l’ouvrage dont nous n’avons pu, faute de place, mentionner tous les intéressants aspects abordés.
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