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A votre santé
Banc Public n° 144 , Novembre 2005 , Catherine VAN NYPELSEER
Le journaliste français indépendant Vincent Nouzille publie une enquête sur les risques que font courir à la santé publique la pollution industrielle, agricole, ou même naturelle comme celle produite par le radon. Ce travail bénéficie manifestement d’une volonté de prudence et d’objectivité en ce qui concerne les effets des produits sur la santé, prudence d’ailleurs inévitable vu le manque de recherches sur le sujet.
Cette carence n’est qu’un des aspects de l’absence de gestion des risques par les pouvoirs publics qui n’ont pas joué le rôle protecteur de la santé que l’on aurait pu en attendre, notamment parce que les effets les plus graves de ces produits sur le corps humain se manifestent après de longues périodes de latence.
L’ouvrage débute par une longue partie consacrée au scandale de l’amiante, qui a finalement été totalement interdit en France en 1996 seulement, alors que sa toxicité y était connue depuis le début du XXe siècle!
Il s’intéresse ensuite à l’ensemble des produits chimiques menaçant la santé, en débutant chaque étude par les catégories de la population les plus exposés à leurs effets: agriculteurs pour les pesticides, ouvriers de l’industrie chimique pour l’ensemble de ces produits, habitants des régions montagneuses pour la pollution par le radon, habitants des villes pour la pollution de l’air, etc.
Sa conclusion provoquera un choc qu’il espère salutaire dans l’opinion publique et chez les autorités: il prédit qu’ «au moins 800.000 personnes devraient mourir en France des effets de la pollution dans les vingt prochaines années» (p. 9) : 100.000 à cause de l’amiante, entre 100 et 300.000 décès en milieu industriel à cause des polluants chimiques comme le benzène, les métaux lourds, le formol, ainsi que 30.000 décès par an liés aux troubles cardio-vasculaires et aux cancers du poumon, dus à la pollution atmosphérique.
Il espère ainsi provoquer une prise de conscience dans la population qui incitera enfin à mettre en place une politique de prévention, de dépistage et de suivi des personnes atteintes.
L’amiante
L’amiante est une fibre minérale qui est utilisée pour ses qualités de protection thermique. Certains de ses effets sur la santé des ouvriers travaillant dans les fabriques de production de produits à base d’amiante ont été constatés dès la fin du XIXe siècle: en Angleterre, un médecin diagnostique en 1899 (!) le premier cas de décès d’un ouvrier travaillant dans une filature d’amiante dont les poumons, bourrés d’amiante calcifié, finissent par l’étouffer (p. 36). En France, un inspecteur du travail de Caen produit en 1906 un rapport sur l’asbestose, insuffisance respiratoire de plus en plus invalidante et irréversible, produite par le dépot des fibres d’amiante (appelée aussi asbeste) dans les poumons. A la fin des années 20, des études anglaises montrent que 80 % des ouvriers qui travaillent dans l’amiante depuis au moins vingt ans sont touchés par l’asbestose. En 1945, cette maladie est inscrite au tableau français des maladies professionnelles.
L’amiante produit aussi des cancers pulmonaires et de la plèvre qui sont caractéristiques, et dont l’existence est établie scientifiquement depuis une étude épidémiologique anglaise de1955.
Ce qui est incroyable dans le cas de l’amiante, c’est d’apprendre dans quelles conditions les ouvriers ont continué à travailler jusqu’à tout récemment au contact de ces fibres dont l’énorme toxicité était parfaitement établie: sacs d’amiantes déchargés des wagons puis éventrés sans aucune protection, casse-croûte pris au milieu des fibres, plaques découpées sans aucune protection, nettoyage des ateliers au balai, etc.
L’amiante contaminera non seulement les ouvriers qui la travaillaient, mais aussi leurs épouses qui lavaient les bleus de travail, et même les riverains des usines, sans parler de l’ensemble des personnes fréquentant des locaux ignifugés avec ce produit miracle.
C’est suite à un lobbying intense des industriels du secteur minimisant sa toxicité que l’amiante ne sera finalement interdite qu’en 1996.
Les pesticides
Cette famille de substances chimiques comprend les insecticides, les acaricides, les fongicides, les herbicides. Les agriculteurs, catégorie de la population qui y est le plus exposée, sont également en contact régulier avec les poussières végétales, animales et minérales, les carburants, etc. Dans ce chapitre dont le sous-titre est «soupçons de contamination massive», Vincent Nouzille relate des rencontres avec des agriculteurs gravement malades qui lui expliquent comment ils utilisaient les produits chimiques sur le terrain, bien loin malheureusement des recommandations des fabricants : Pulvérisateurs à dos qui fuient, absence de gants, mélange de différentes substances, agriculteur suivant le tracteur dans un brouillard de pesticides pour nettoyer les buses quand elles se bouchaient!
Cet agriculteur de 59 ans est atteint de la maladie de Parkinson depuis 15 ans; Vincent Nouzille cite également un agriculteur décédé à l’âge de 57 ans d’un cancer du pancréas, un vendeur de produits phytosanitaires mort à 47 ans d’une sclérose latérale amyotrophique, un céréalier qui souffre de la maladie d’Alzheimer, probablement liée à l’épandage intensif sur les champs de maïs, etc.
Dans ce domaine, les malades sont disséminés dans tout le pays, les produits utilisés ainsi que les pathologies très variées, contrairement au cas de l’amiante où le lien de causalité est facile à établir vu les caractéristiques uniques de la maladie.
L’industrie chimique
Le nombre de salariés en contact avec des produits chimiques est en augmentation en France: de 34% en 1994, ils étaient près de 38 % en 2003; 366.000 salariés sont exposés à des substances mutagènes et toxiques pour la reproduction, dont 13 % plus de vingt heures par semaine; en France toujours, 2,4 millions de salariés sont en contact avec des produits cancérigènes, dont plus du quart de façon importante «soit du fait d’un long temps d’exposition, soit du fait de l’insuffisance des protections collectives», selon un rapport du ministère du travail.
Des cas de contamination évidente commencent à surgir dans les médias: ainsi, en février 2003, le journal Le Monde, bientôt suivi par toutes les chaînes de radio et de télévision, fait état de la préoccupation des ouvriers d’une usine de vitamines pour animaux où s’est produite une multiplication de cas de cancer du rein, une maladie qui frappe généralement plutôt les personnes âgées. Sur les dix personnes atteintes, neuf ont travaillé dans l’atelier de préparation de vitamines A, où une substance cancérigène, le chloracétal, est utilisée. Grâce au retentissement médiatique, les salariés obtiennent un meilleur confinement des postes de travail ainsi que la reconnaissance de leur maladie comme maladie professionnelle. Depuis, avec les nouveaux cas apparus, on a pu déterminer que leur nombre est près de 30 fois supérieur à la norme.
De nouveau, il s’agit ici d’une affaire relativement simple; en général, nombre de salariés sont confrontés à des toxiques multiples au cours de leur carrière, ce qui rend difficile l’établissement du lien de causalité lorsqu’ils tombent malades, sans compter le fait que l’on ne connait pas les effets de l’exposition simultanée à plusieurs toxiques.
Le radon
La pollution peut aussi être naturelle: le radon, gaz radioactif provenant des sous-sols riches en uranium est présent dans la moitié du territoire français, surtout les régions montagneuses. Il serait à l’origine de 6 à 15 % des cancers pulmonaires, ce qui en ferait la deuxième cause de celui-ci après le tabac. En Bretagne, par exemple, la concentration moyenne dans l’air à l’intérieur des maisons est de 121 becquerels, mais dans certaines maisons des pics de plus de 10.000 becquerels ont été relevés. Entre 140.000 et 200.000 habitations bretonnes seraient au dessus de 200 becquerels.
Or, les mesures de prévention sont simples et peu coûteuses: interdire la construction dans les zones à forte exhalaison de radon, promouvoir des travaux de vide sanitaire et la ventilation permanente des habitations...
Conclusion
La place nous manque cruellement pour rendre compte de tous les sujets passionnants abordés dans ce livre, qui ne manque pas notamment de s’intéresser aux pollutions subies par l’ensemble des citoyens, comme par exemple le formaldéhyde (formol) produit cancérigène présent dans l’industrie chimique mais aussi dans la plupart des habitations via les bois contreplaqués et agglomérés, les encres, le papier des livres et journaux, les désodorisants, les détergents, et même dans les gels douche!
Au contraire de ce que pourrait faire penser son titre, «Les Empoisonneurs», Vincent Nouzille présente tous les problèmes abordés sans manichéisme, en indiquant de nombreuses possibilités de mesures à prendre visant à découvrir et à réduire les risques (mesures qui comprennent évidemment l’interdiction de nombreux produits), comme la tenue d’un registre des cancers. Au lieu d’être désespérant, il donne envie d’agir, ce qui est rare pour un ouvrage sur ce thème.
Catherine VAN NYPELSEER |
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Biblio, sources...
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LES EMPOISONNEURS Enquête sur ces polluants et produits qui nous tuent à petit feu
Vincent Nouzille Septembre 2004 Fayard 444 p - 25 Euros
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