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Portrait de femme

Banc Public n° 131 , Juin 2004 , Catherine VAN NYPELSEER



Celle qui fut l'une des premières femmes à présenter le journal télévisé a voulu retracer le parcours de l'une des pionnières de la presse écrite. Destiné à être publié après sa mort (survenue en janvier 2003), basé notamment sur des entretiens avec son sujet, le portrait est sans complaisance, même s'il prend son parti dans certaines méchantes polémiques qu'elle a dû subir.

 

Françoise Giroud - son nom de plume, élaboré à partir de son patronyme "Gourdji" - est quelqu'un qui a réussi une très belle carrière à force d'ambition et de travail acharné, en partant quasiment de rien, si ce n'est une excellente éducation très francophile reçue au départ dans son pays d'origine, la Turquie, puis en France, dans une famille dépourvue de moyens et de relations, avec un père tuberculeux en sanatorium qui mourra à 43 ans.

Les débuts

Sa carrière débute par les milieux du cinéma, dans lesquels l'introduit Marc Allégret, qui la connaît depuis la pension de famille tenue par sa maman dans le quartier des studios, et la convainc de quitter son travail de vendeuse dans une librairie où il l'a retrouvée avec stupéfaction. Elle y deviendra assistante du metteur en scène, un poste rare pour une femme, à l'époque, et écrira notamment le scénario d'une scène de "La grande illusion" de Renoir. Mais son salaire est peu élevé, elle a faim, et supporte difficilement les pincements de fesse et autres droits de cuissage d'une hiérarchie exclusivement masculine.

Selon Christine Ockrent, elle fait ensuite connaissance d'une femme brillante, la première femme reçue à l'école normale supérieure, George Sinclair, une homosexuelle, qui lui apprend le métier de journaliste, en lui faisant rédiger des petits papiers sur les spectacles et la vie parisienne pour Paris Soir. Françoise Giroud la mentionnera à peine dans ses autobiographies.

Ensuite, elle fait la connaissance du couple célèbre qui va l'ancrer dans le journalisme, les Lazareff. Avec Hélène Lazareff, elle crée, sur le modèle de ce que celle-ci avait pu voir aux états-Unis, le magazine "Elle", dont elle sera dès le lancement, juste après la guerre, la rédactrice en chef de fait.

L'EXPRESS

Sept ans plus tard, elle quitte "Elle" pour créer "l'Express" avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, un projet qu'ils ont élaboré au cours de leur liaison amoureuse. Le célèbre hebdomadaire connaîtra un très grand succès politique et économique. Le premier numéro sort le 17 mai 1953. Françoise Giroud en a réécrit l'ensemble pour donner l'unité de ton et de style; elle a également réalisé la maquette de la mise en pages, élégante et austère. Quant aux idées, elles viennent, selon elle, toutes de Jean-Jacques Servan-Schreiber. Le sujet vedette est une interview exclusive de Pierre Mendès-France. A ses débuts, le journal est un supplément du quotidien "Les échos", propriété de la famille Servan-Schreiber, qui a augmenté le prix de l'abonnement pour pouvoir le financer.

Lorsque Pierre Mendès-France devient président du Conseil en 1954, l'imbrication entre l'Express et le monde politique aboutira à une confusion des genres impensable aujourd'hui, pour Christine Ockrent: après le premier Conseil des ministres, pratiquement tout le gouvernement vient déjeuner à l'Express! Il compte notamment François Mitterrand que Mendès-France a découvert grâce à ses amis de l'Express.

Le journal est militant, foncièrement anticolonialiste, servi par une équipe jeune et enthousiaste résolue à "sauver la France". Après une tentative de passer au rythme quotidien à l'occasion de laquelle il se sépare des "échos", il doit faire face, en 1956, au départ de son rédacteur en chef qui est mobilisé en Algérie. Avant de partir, Jean-Jacques Servan-Schreiber confie la rédaction à Françoise Giroud. Bien entourée - Jean Daniel, futur patron du Nouvel Observateur, la forme au sujet de l'Algérie, Simon Nora lui donne des cours d'économie le soir - elle réussit à assumer le poste et rédige tous les éditoriaux. François Mauriac, qui fait partie de la rédaction, prend la peine d'écrire à JJSS en Algérie: "Soyez sans inquiétude... Notre petite patronne se débrouille très bien.". Sous sa direction, l'Express sera l'un des premiers à prendre position contre la torture en Algérie.

La ministre

Servan-Schreiber revient. A la fin des années septante, Françoise Giroud est lasse de l'Express. Sa rédaction a gonflé, sa gestion financière n'est pas irréprochable, sa gestion politique est tributaire des humeurs de JJSS qui soutient Giscard d'Estaing après l'avoir vilipendé, au grand désespoir de la rédaction.

En 1974, ce dernier est élu Président de la République et confie à Servan-Schreiber, contre l'avis de son premier ministre Jacques Chirac, un ministère des réformes qu'il parviendra à conserver une semaine... après avoir publiquement dénoncé les essais nucléaires français dans le Pacifique.

Giscard se rabat alors sur Françoise Giroud qui accepte un poste de secrétaire d'état à la Condition féminine sans beaucoup de pouvoir: considérée comme trop radicale, elle est totalement exclue du débat sur l'avortement, mené par la ministre de la santé, Simone Veil, dont on estime que sa modération lui permettra de réussir.

Suite à la démission de Jacques Chirac, qui trouvait le gouvernement trop à gauche (selon Françoise Giroud, "le seul mot de 'réforme' lui donnait de l'urticaire") Raymond Barre, nouveau premier ministre, lui confie le ministère de la Culture.

En 1977, Giscard lui demande de se présenter aux élections à Paris. Lors de la campagne électorale, elle fait état de son activité de résistante pendant la guerre, et du fait qu'elle a obtenu la médaille de la Résistance, ce qui déclenche une vilaine polémique: elle est accusée d'usurper la place de sa soeur qui, seule, figure au livre officiel des médaillés de la Résistance.

Pour Christine Ockrent, Françoise Giroud paraît de bonne foi dans cette affaire, sa mère ayant reçu à la Libération une lettre l'informant que ses deux filles avaient bénéficié de la médaille de la Résistance. Il régnait par ailleurs un grand désordre dans les dossiers officiels à l'époque. Quoi qu'il en soit, cette affaire mit un terme à sa carrière ministérielle, Giscard ne l'ayant pas reprise dans le gouvernement suivant après l'avoir empêchée de démissionner...

La femme

Françoise Giroud était une femme ambitieuse, travailleuse, dure avec elle-même. Elle voulait sans cesse prouver qu'elle pouvait faire aussi bien qu'un garçon, son père ayant été si déçu de la naissance d'une deuxième fille qu'il aurait laissé tomber le nouveau-né, selon la légende familiale.

Féministe, elle se montrait dure avec les autres femmes avec qui elle travaillait, leur imposant de ne jamais se singulariser en arrivant en retard à cause d'un enfant malade, par exemple. Elle appréciait les hommes, présentant une personnalité distincte de celle de certaines féministes de l'époque qui se montraient fort agressives avec le genre masculin.

Sa vie privée ne fut pas rose: fille-mère (à l'époque, on ne disait pas encore "mère célibataire"), contre sa volonté, d'un garçon qui se sentit toujours mal aimé et mourut à 29 ans d'une imprudence en montagne, elle vécut également les affres d'une liaison passionnée avec un homme totalement infidèle: Jean-Jacques Servan-Schreiber était marié lors de leur rencontre et le resta; il multipliait les aventures; après qu'elle eut subi une fausse-couche, il la "répudia" pour épouser une femme plus jeune en vue de pourvoir à sa descendance; renvoyée de L'Express suite à une affaire de lettres anonymes injurieuses pour JJSS, elle tenta de se suicider.

La fin de sa vie fut plus sereine: titulaire d'une rubrique consacrée à la télévision dans le Nouvel Observateur, elle était devenue, pour Christine Ockrent, une "icône" du journalisme français. Elle a formé de nombreux journalistes, dont beaucoup de jeunes femmes, à cette profession - mais pas Christine Ockrent qui a appris son métier aux états-Unis et à la télévision, nous dit-elle, qualité qui lui a procuré l'indépendance nécessaire pour traiter son sujet, estime-t-elle.

Pourtant, c'est lorsqu'on lui confia (brièvement) la rédaction en chef de l'Express qu'elle fit vraiment connaissance de celle qui deviendra le sujet de son livre. Un honnête portrait qui donne envie de relire les éditoriaux des années '70 que Françoise Giroud lui remit à cette occasion, soigneusement collés dans un cahier à spirale...

 

Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

"Françoise Giroud", une ambition française", édité chez Fayard.

 

 
     

     
   
   


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