SANS EMPLOI

Banc Public n° 55 , Décembre 1996 , Catherine VAN NYPELSEER



Dans un style brillant, élégant et précis, sur le ton de la conversation mondaine, Viviane Forrester a décidé de nous dessiller les yeux sur l’état (économique et social) de nos sociétés et leur évolution inéluctable. Elle voudrait que nous acceptions enfin de voir cette évidence: le modèle d’une société fondée sur le travail est dépassé, il n’y aura plus jamais d’emploi pour tous. Pour la première fois dans l’histoire, à cause de l’évolution technologique qui permet notamment de remplacer les travailleurs humains par des robots bien plus faciles à gérer, les travailleurs ne sont plus nécessaires au fonctionnement d’une économie mondialisée.

Comme nous ne voulons pas nous en apercevoir, nous sommes la proie - pauvres naïfs - des manipulateurs qui nous font rechercher du travail alors qu’il n’y en a plus, et nous incitent à croire que c’est en nous que quelque chose de convient pas, alors que pourtant les statistiques nous montrent à l’évidence à quel point ce destin partagé par des millions d’autres humains est inéluctable. Faire ainsi naître en nous la honte nous empêche de penser, d’analyser la situation, de nous unir et de nous révolter. Cela rend dociles ceux qui ont la chance d’avoir un emploi, culpabilisés également de ne pas vouloir le partager (mais nous propose-t-on dans la foulée de partager également les capitaux ?) ou de refuser des diminutions de salaire. Quelle revanche sur les luttes sociales d’autrefois!

En attendant, des millions d’êtres humains sont jetés dans la misère, doivent vivre ou plutôt survivre, quand ils y arrivent, dans des conditions du même ordre de gravité que celles des camps de concentration lors de la dernière guerre: plus de toit, plus de chaleur, plus de dignité, aucun projet. Et nous le savons, nous pouvons même le voir à la télévision ou dans les rues de nos plus belles villes. Et nous ne faisons rien.

Et elle met en garde: qu’est-ce qu’une société totalitaire - et sommes-nous bien certains que la nôtre ne risque pas de le devenir, alors que les vrais leviers de commandes ne sont plus aux mains de nos représentants élus mais d’une poignée de décideurs sur lesquels ils n’ont plus prise - pourrait décider de faire de ces masses de personnes inemployables le jour où elle aura cessé de les tolérer?

Quant à la dérive sécuritaire - qui se promène en France aussi sur les chemins de la délation, comme chez nous où le ministre (socialiste!) Vande Lanotte veut transformer nos braves postiers en indicateurs, puisqu’on propose comme emploi (précaire bien sûr) à des jeunes des banlieues de maintenir l’ordre dans les cités où ils vivent! - elle est censée répondre à la délinquance de ceux qui en réalité n’ont aucun autre choix, en particulier dans ces terribles banlieues françaises ou le fait d’habiter vous prive presque certainement de la moindre possibilitéde trouver le fameux emploi...

Dans le concert de déclarations voulant nous faire croire en la préoccupation des pouvoirs par rapport à la création ou à la sauvegarde d’emplois, un petit fait - presque une anecdote - a tout de même fini par nous mettre la puce à l’oreille: il s’agit de la chute des cours de la bourse dans le monde entier suite à l’annonce d’une BAISSE inattendue du taux de chômage aux Etats-Unis le 8 mars 1996!

Toute cette manipulation par rapport à l’emploi est rendue possible par l’effondrement du monde communiste identifié au stalinisme, qui laisse le champ libre au marché et au profit comme si plus aucun autre modèle n’était envisageable ou pensable .

Viviane Forrester ne nous propose pas de solution. Elle ne veut d’ailleurs pas se laisser enfermer dans le piège intellectuel qui veut que l’on ne puisse dénoncer un problème sans en proposer au moins une. Elle nous demande seulement de nous remettre à réfléchir, de voir le monde dans lequel nous vivons et de cesser d’accepter que des millions de personnes - comme très probablement nous demain si on ne stoppe pas la machine infernale - ne soient jetées dans une misère sans nom, qui finira par faire ressembler nos sociétés développées à celles du tiers-monde alors qu’on croyait, il n’y a pas si longtemps, que ce serait le contraire qui se produirait!


Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

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L'HORREUR ECONOMIQUE
par
Viviane FORRESTER
Arthème Fayard, novembre 1996


Prix Médicis de l'essai

 
     

     
 
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