?> Intelligence artificielle, robotisation et emploi (1) Etat des lieux
Intelligence artificielle, robotisation et emploi (1) Etat des lieux

Banc Public n° 233 , Décembre 2014 , Frank FURET



Un rapport, intitulé « Fast Forward 2030: The Future of Work and the Workplace », publié par le cabinet de consultance CBRE et le promoteur chinois Genesis, affirme qu’un changement fondamental est en train de se produire dans la façon dont fonctionnent les lieux de travail, et qu’il aura pour conséquence de supprimer 50% des métiers qui existent aujourd’hui au cours des 15 prochaines années.


 

Ce rapport conclut que l’intelligence artificielle va transformer les entreprises et les tâches réalisées par leurs employés. Les métiers liés à la transformation, à la clientèle, ainsi que de vastes pans de «middle management» (cadres moyens) sont condamnés par ces évolutions et devraient disparaître. Pour concevoir ce rapport, les analystes ont interrogé 220 experts, dirigeants d’entreprises et jeunes gens d’Asie, d’Europe et d’Amérique.

 

Les conclusions de cette étude convergent avec les résultats des travaux de deux chercheurs de l’Université d’Oxford, C. Frey et M. Osborne. Ces derniers avaient mené une étude qui indique que 47% des emplois d’aujourd’hui pourraient être automatisés au cours des deux prochaines décennies. Leur essai, intitulé «The Future of Employment: How Susceptible are Jobs to Computerisation?», affirme que 702 types de professions seront remplacés dans les 20 prochaines années par un ordinateur.

 

Selon un autre rapport du cabinet Roland Berger, en France, les robots pourraient prendre l'emploi de 3,5 millions de salariés d'ici à 2025. Déjà utilisés dans les tâches répétitives et simples, ils pourraient désormais investir les emplois occupés jusqu'ici par les classes moyennes. Il est probable, estime ce rapport, que d'ici à 2025, 20% des tâches effectuées puissent être automatisées, ce qui représente pas moins de 3 millions d'emplois pour la France. La majorité des secteurs seraient impactés et le chômage pourrait alors s'élever à 18%, car le développement de la robotique ne créerait que 500.000 postes dans les nouvelles technologies, la relation avec le client ou encore la maintenance des appareils. Pour Hakim El Karoui, pilote de cette étude, «les robots de demain auront bien plus de compétences que ceux présents, par exemple, dans  les usines de montage automobile:  la robotisation pourrait être aux cols blancs ce que la mondialisation fut aux cols bleus». 

 

Grâce à leur intelligence artificielle, les robots pourraient  investir des domaines qu'on croyait jusque là réservés aux humains. Ellie, par exemple, est un prototype épatant de psychologue-robot. Capable de mener un entretien de 25 minutes, elle alterne questions informatives, médicales et intimes tout en analysant 68 capteurs braqués sur le visage. Elle est ainsi capable de diagnostiquer avec succès les troubles dont souffre un patient. 

 

Cette évolution va toucher les classes moyennes, y compris les classes moyennes supérieures, c'est-à-dire certaines professions intellectuelles, dont on va pouvoir automatiser certaines tâches, comme les comptables, les juristes, les journalistes… La machine saura faire sans l'homme à très court terme. Les tâches restantes seraient très polarisées: d'une part, la maintenance de robots, à faible valeur ajoutée ; d'autre part, des métiers très pointus, avec une forte compétition au niveau mondial. 

 

Patrick Régnier, du laboratoire d'informatique de Grenoble, estime pour sa part que «la recherche a fait un véritable bond de géant, on ne s'intéresse plus à un seul aspect, comme la reconnaissance vocale ou la vision robotique. On est en train de voir l'émergence de l'intelligence artificielle générale». Alors que les supercalculateurs des années 1990 opéraient 1.800 milliards d'opérations par seconde, la génération des années 2010 en abat 80.000 milliards par seconde, essentiellement grâce à l'expansion d'internet et à ses capacités de stockage.

 

Evolution de la robotique industrielle 

 

Une toute nouvelle génération de robots est en train de voir le jour; généralement créés par des start-up, ils possèdent trois caractéristiques clés qui les distinguent radicalement de leurs aînés: ils sont peu chers – environ 20.000 euros- , extrêmement simples à programmer, et ils peuvent travailler à proximité immédiate d’un opérateur en toute sécurité. 

 

Ce qui met  la robotisation à portée de la moindre PME et permet d’envisager l’utilisation d’un robot pour des tâches que, jusque là, on n’aurait même pas rêvé de robotiser. Tout cela sans avoir besoin d’un spécialiste de la programmation pour lui apprendre son travail. Plus besoin non plus d’enfermer le robot dans une cage pour protéger les opérateurs de ses violents mouvements. S’installant en un rien de temps, le robot sera tout aussi vite affecté à une autre tâche si l’activité de l’entreprise le demande.

 

Ces robots offrent des performances limitées, aussi bien en termes de vitesse, de dynamique, de précision que de masse transportable. Rien à voir avec un "vrai" robot industriel. Mais ils sont bon marché, faciles à utiliser, et  sûrs dans leur fonctionnement.

 

Amazon

 

D’aucuns estiment qu’un seul magasinier d’Amazon, la multinationale de ventes au détail en ligne effectuait, avant robotisation, le travail de 16 libraires. La société a récemment équipé plusieurs de ses entrepôts  de robots sur roues. Ceux-ci changent radicalement la façon de travailler des magasiniers. Au lieu que ce soient les employés qui vont chercher les marchandises dans les stocks, ce sont les robots qui les font venir à eux. Dorénavant, les employés d’Amazon se tiendront en un seul endroit de l’entrepôt, ce qui leur permettra de ne plus parcourir les 20 miles (32 kilomètres) qu’ils devaient arpenter quotidiennement entre les rayons. Ainsi, il est attendu que ces employés traitent au moins 300 marchandises par heure, contre 100 avec l’ancien système.

 

Les robots déployés par Amazon sont le fruit de l’acquisition, en 2012, de Kiva Systems Inc. pour un montant de 775 millions de dollars.

En mai dernier, le PDG de la société, Jeff Bezos , avait annoncé aux investisseurs qu’il prévoyait d’intégrer dans ses entrepôts 10.000 robots issus de la technologie Kiva dans le courant de l’année.

Cette acquisition a apporté un avantage compétitif à la société du détaillant en ligne. Amazon, qui n’a jamais caché sa volonté d’accroître l’immédiateté des achats, pourra de la sorte augmenter l’efficacité du traitement des commandes. Si l’entreprise arrive à équiper ses 80 entrepôts aux Etats-Unis, elle sera alors en mesure de garantir la livraison de ses marchandises soit le jour même de la commande, soit le lendemain. L’intérêt est aussi financier. Amazon espère économiser entre 400 et 900 millions de dollars par an au niveau de ses coûts d’exécution. 

 

Foxconn

 

Foxconn emploie actuellement 1,2 million d’ouvriers dont la majorité travaille en Chine. Avec 40% de la production mondiale des produits électroniques grand-public, Foxconn est l’usine du monde. Ces dernières années, l’entreprise, qui fabrique en sous-traitance des produits Apple, Hewlett Packard (HP), Dell, Nokia ou encore Sony, a fait face à une vague de suicides, 16 au total. 

 

Le patron du géant taiwanais a exprimé en 2009 son intention de remplacer une partie de sa main-d’œuvre par 1 million de robots, les machines étant appelées à suppléer les humains pour des tâches courantes telles que l’assemblage, la soudure et la peinture. Les cadres de Foxconn ont récemment laissé entendre que leur objectif à long terme est de sortir complètement l’être humain de la chaîne d’assemblage. Foxconn a même envisagé la possibilité de bâtir des usines entièrement automatisées, des endroits où des machines fabriqueraient d’autres machines sans aucune intervention humaine.

La robotisation des ateliers de celui qui assemble une bonne partie des gadgets  de haute technologie est bel et bien engagée. Pour preuve, 10.000 robots ont contribué à la production de l'iPhone 6. Un test de grande ampleur, lorsqu’on sait qu’Apple vend désormais plus de 40 millions de smartphone chaque trimestre. Ces robots sont toutefois assistés par les quelques 100.000 nouveaux ouvriers embauchés pour la chaîne de production de l’iPhone. 

 

Apple a, semble-t-il, souhaité voir ses batteries iPhone entièrement fabriquées sur les lignes de production automatisées en 2014, dans un effort pour réduire la dépendance aux travailleurs humains. On prévoyait que ce passage allait aider Apple à éviter les défauts de fabrication comme ceux trouvés dans un petit nombre de iPhone 5.

 

Non seulement Foxconn  a besoin de beaucoup de robots pour ses ateliers, mais il compte les concevoir et les produire lui-même. Depuis quelque temps, les robots  Foxconn ont commencé à apparaître dans différents salons en Asie. Foxconn a conçu et commencé à produire plusieurs types de bras robots 6 axes, des robots cartésiens, des robots SCARA ou encore des robots Delta, ces petits robots au look d’araignée capable de déplacer de faibles charges (comme des pièces de smartphone) à très grande vitesse. Baptisé Foxbot, les robots "Made in China", conçus et fabriqués par le Super Precision Mechanical Business Group (SHZBG) de Foxconn, ne coûteraient à l’industriel qu’entre 20.000 et 25.000 dollars l’unité, un prix défiant toute concurrence. Chacun d'entre eux  peut assembler en moyenne 30.000 appareils par an, ce qui devrait  se révéler source d'importantes économies pour le géant chinois.

 

Le second âge des machines

 

Après la première révolution industrielle du XIXe siècle, c'est "un second âge des machines" que prédit le Pr. Erik Brynjolfsson, du Massachusetts Institute of Technology (Etats-Unis). Pour lui, les robots ne pourront pas (encore) tout faire, mais la technologie va continuer d’avancer encore plus rapidement. Au cours de dix dernières années, sont apparues des voitures qui se conduisent toutes seules, des machines qui nous comprennent, des  appareils qui peuvent effectuer des diagnostics médicaux, traduire ou même écrire des histoires simples. Mais ce ne sont que des échauffements: Erik Brynjolfsson estime que les résultats seront encore plus impressionnants dans les dix prochaines années. «Et ces évolutions ne se feront pas sans difficulté», estime le chercheur, qui conclut : «Il est difficile de prévoir la manière dont la société va réagir. Cela devrait être une bonne nouvelle, parce que nous créons plus de richesses, nous augmentons la qualité de la vie. Cependant, il est possible que certaines personnes soient laissées sur le côté, comme cela a déjà été le cas au cours des précédentes années. Aux Etats-Unis, le revenu moyen est aujourd'hui plus faible que dans les années ‘90. Il n'y a aucune garantie que cette augmentation de richesses bénéficie à tout le monde. Cela va dépendre de la manière dont nous répondrons aux nouvelles technologies».

 

Le mois prochain, BP exposera les différent(e)s analyses et scénarios de l'incidence de ces évolutions technologiques sur l'emploi.

Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Amazon : des robots révolutionnent le travail dans les entrepôts LES ECHOS | LE 20/11 À 16:15

 

Foxconn va remplacer des ouvriers par 1 million de robots, ZDNet.fr |01 Août 2011

 

Robots industriels : c’est la révolution,  Franck Barnu, reindustrialisation blogspot,15 octobre 2012

 

Les robots et les algorithmes s'occuperont de tout ou presque, Amid Faljaoui, 05/11/2014, Trends-Tendances

 
     

     
   
   


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