Madrid et Barcelone, rivales traditionnelles, se disputent les faveurs du groupe Las Vegas Sands pour que ce complexe de jeu s'installe sur leur territoire. Les deux villes sont prêtes à payer des sommes extravagantes pour attirer les meilleurs joueurs du monde, les deux villes sont prêtes à toutes les concessions pour convaincre Las Vegas Sands de les favoriser de son choix.
15 milliards d'euros d'investissements, 260 000 emplois directs et indirects créés : tel est le deal que fait miroiter aux régions de Barcelone et de Madrid Sheldon Adelson, 16e fortune mondiale avec un patrimoine estimé à plus de 21 milliards de dollars et par ailleurs président et actionnaire principal de la société Las Vegas Sands, « l'empire du jeu ».
Son projet ? Créer en Espagne une « zone de jeu » identique à celles qu'il a déjà implantées au Nevada, à Singapour et à Macao : 6 casinos, 18 000 machines à sous, 3 terrains de golf, des théâtres et des cinémas, une douzaine d'hôtels, des centres commerciaux... bref, toute l'apparence d'un « paradis » dans un pays où le chômage atteint des records (plus de 20 % de la population active), où la récession frappera dur en 2012 et 2013.
Cet accord en voie de conclusion entre une TGE (très grande entreprise) et les responsables politiques d'une région et d'un Etat illustre parfaitement le transfert de pouvoirs et compétences des autorités publiques vers les TGE. On y retrouve en effet la plupart des caractéristiques de la décadence des Etats-nations :
● remplacement de la loi par le contrat, lequel acquiert ainsi une force supra-législative, au mépris absolu de la pyramide des normes juridiques qui, de la Constitution au simple arrêté municipal, sert de fondement à tout le système juridique ;
● « liquéfaction » des individus, coupés de leurs racines culturelles et nationales : Las Vegas Sands ne dissimule même pas son intention d'aller chercher des employés dans des pays à très bas salaires et sans protection sociale et de les transposer « tels quels » en plein milieu de l'Europe ;
● création d'une zone de « non-droit » et primauté de la force : l'entreprise prendra de facto le contrôle par la force d'une zone géographique ; la présence de la milice privée qui assurera l'ordre dans la zone des casinos sera la confirmation, s'il en était besoin, de la confiscation des prérogatives publiques qui est en train de s'opérer en Espagne.