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Intelligence artificielle et intelligence humaine vont, selon eux, entrer en concurrence sur le marché de l'emploi. Des tâches de plus en plus sophistiquées vont être prises en charge par des robots : que restera-t-il de l’emploi industriel, si les usines sont automatisées et pilotées à distance ? Et de l'emploi intellectuel si l'intelligence artificielle, plus efficace, plus rapide et bien moins chère que les onéreux cols blancs, vient à supplanter une part significative d'entre eux?
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Une question ouverte
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La montée en puissance de l’intelligence artificielle et de la robotique va présenter une menace importante pour l’emploi au cours de la prochaine décennie, d’après le cabinet d’analyse Gartner.
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Les drones,  télécommandés à distance ou autonomes, qui seront largement utilisés dans les industries comme l’agriculture, les études géographiques, ou encore l’inspection des plateformes pétrolières et gazeuses,  ne sont qu’un exemple de nombreux types de technologies émergentes qui vont au-delà du traditionnel monde de la technologie de l’information. Ce sont des «machines intelligentes», explique Peter Sondergaard,  une « super classe » émergente de technologies qui assurent une grande variété de travaux, à la fois physiques et intellectuels. De plus, les applications informatiques vont gagner en capacité d’analyse, ce qui va entraîner leur incursion dans de nouveaux domaines. Le cabinet d’analyse estime que les machines fourniront un meilleur rendement que les humains. Et que les entreprises doivent commencer dès à présent à s’adapter à cet essor du numérique.
Un étude du cabinet Gartner  prévoit « qu’un emploi sur trois sera converti en logiciel, robot ou autre machine intelligente d’ici 2025 ».  Avec cette évolution de l’industrie, de nouveaux emplois vont probablement naître, mais seront-ils proportionnels au nombre qui sera détruit ? Seul l’avenir nous le dira. Néanmoins, l’homme devrait se préparer, selon le rapport Gartner, à affronter un futur où les machines et les hommes pourraient être des collègues de travail.
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De nouveaux emplois en perspective ?
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Pour Kevin Kelly, rédacteur en chef  de Wired,  magazine américain spécialisé dans les rapports entre nouvelles technologies, culture, économie et  politique, l’automatisation du monde, que ce soit par des robots, des machines apprenantes, des serveurs ou des algorithmes, n’aura pas les mêmes conséquences sur tous les emplois, Si les emplois de conception se déplacent à mesure que l’automatisation évolue, ce n’est pas le cas des emplois de manutention. Mais l’automatisation ne concerne pas que les emplois productifs. Dans le commerce ou la banque déjà , dans les services à la personne, demain, des secteurs où l’emploi pèse très lourd et qui ne sont pas nécessairement délocalisables, les automates se multiplient également, faisant disparaître nombre d’emplois qui ne sont pas tous remplacés par des emplois de conception.
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Si l'histoire se répète, les robots vont remplacer nos emplois actuels, mais, dit Kelly, nous aurons de nouveaux emplois, que nous pouvons à peine imaginer: par exemple, dans les années à venir les voitures et les camions  robots deviendront omniprésents; cette automatisation devrait créer des emplois :  une nouvelle espèce  d'analystes professionnels devrait émerger  pour  aider les utilisateurs à donner un sens aux données.
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Ce à quoi ses contradicteurs répondent que des sociétés comme  Expedia , FedEx ou Kayak ont ​​déjà  automatisé énormément de tâches analytiques : des dizaines de nouvelles start-ups comme Jeff Hawkins Numenta travaillent sur l'analyse des données complexes en temps réel.
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Cependant, pour Kevin Kelly, il faut rester optimiste: même si la plupart de nos emplois disparaissent et qu'ils ne sont pas remplacés par de nouveaux postes,  la productivité va croître et le gâteau global va grossir. Peut-être ne sera-ce pas si grave si beaucoup de gens n'ont pas d'emploi.
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Brian Arthur, économiste du Laboratoire de recherche sur les systèmes intelligents du Centre de recherche de Palo Alto et du Santa Fe Institute, dénonçait encore récemment que l’économie numérique ne crée par suffisamment d’emplois ; à présent il estime que la productivité américaine pourrait retrouver une croissance de 2 à 3 % par an dans la prochaine décennie à mesure que la robotisation se développera. Harold Sirkin, un expert du Boston Consulting Group, prédit qu’à moyen terme, l’automatisation va rendre les services et les biens plus abordables et développer l’emploi.
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D'autres auteurs intéressés par cette question remarquent que ce n'est pas la première fois dans l’histoire de l’humanité, que technologie et  savoir-faire humain entrent en concurrence.
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Des pays comme le Japon ou l’Allemagne ont des taux de chômage faibles si on les compare avec d’autres pays. Pourtant ce sont les deux pays les plus robotisés du monde avec la Corée du Sud. En réorganisant le secteur industriel et donc en multipliant les points d’échanges et de production, leurs performances se sont améliorées, ce qui entraîne une activité compétitive et créatrice d’emplois. Avec les robots, les entreprises assurent une production plus que performante, en les laissant travailler sans aucune pause,
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Les sociétés utilisant la robotisation ont, certes,  au départ licencié du personnel, mais grâce à la robotisation, ces sociétés ont connu des phases d’expansion qui ont entraîné par la suite, la possibilité d’embaucher à nouveau.  La robotisation crée de nouveaux emplois, comme par exemple des postes de contrôle , de surveillance de robots.  Une étude conduite par le cabinet Metra Martech pour le compte de l'International Federation of Robotics a avancé le chiffre de deux à trois emplois à temps plein par nouveau robot installé.
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L'enquête de PewResearch
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PewResearch a  interrogé  un panel de plus de 1. !00 experts sur ces évolutions qui semblent désormais inéluctables. Les robots et les algorithmes vont-ils détruire plus d’emplois que l’économie, plus performante, pourra en créer ? Les réponses sont partagées sur la question.
Deux visions s’opposent quant à l’impact de l’automatisation sur le travail
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Les constructeurs de robots cherchent à combattre  l’idée reçue que les robots détruisent des postes de travail. « Robotiser une entreprise », arguent-ils, « c’est la rendre plus compétitive et donc préserver l’emploi, le meilleur moyen de contrer les délocalisations dans les pays à faible coût de main-d’œuvre ».
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Pour 52%, la robotisation ne détruira pas plus d’emplois qu’elle n’en créera. Pour 48%, les postes de cols blancs et de cols bleus supprimés ne pourront être contrebalancés par l’amélioration de l’efficacité des entreprises.
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Pour les premiers, le progrès technologique crée de l’emploi. Comment en serait-il autrement, puisque nous sommes bien plus nombreux qu’avant, et que nous avons tous un emploi, à 10% près en France, à 5% près en Allemagne, alors que la technologie et la robotisation n’ont cessé de se développer ? Une opinion selon laquelle la robotisation tuerait l’emploi ne tient donc pas dans les faits. La robotisation créerait plus d’emplois qu’elle n’en détruit, mais plus  qualifiés que le sien comme des postes d'ingénieurs nécessaires à créer, maintenir, réparer, améliorer, breveter, etc. les machines en question. Sans parler des gains de productivité créés qui permettent de créer de l’activité par ailleurs, en utilisant le temps de travail ainsi libéré.
Dans son analyse, PewResearch a identifié quatre raisons d’être optimiste quant à l’avenir. D’une part, historiquement les avancées technologiques ont toujours créé de nouveaux postes. D’autre part, nos sociétés s’adapteront à ce changement et créeront de nouveaux emplois typiquement « humains ». Cette robotisation va entrainer un nouveau rapport au travail.
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Depuis les débuts de la révolution industrielle, l’automatisation a effectivement conduit à supprimer des postes pénibles ou répétitifs, dont la disparition était célébrée en période de croissance mais  devient un sujet de crispation dans un contexte de chômage élevé.
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Enfin, ces analystes estiment que nos sociétés maîtrisent leurs choix et leur destin.
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Le plan Montebourg en France
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Les Français figurent parmi les pays les plus hostiles aux robots avec des pays marqués par un taux de chômage élevé (Grèce, Portugal, Espagne), mais ils ont tort, affirme Robin Rivaton, auteur d'un rapport sur le sujet pour la Fondapol.
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Arnaud Montebourg , ministre français  du redressement productif à l 'époque, et persuadé que l'avenir appartient à la robotique, a ainsi lancé en 2013  un plan de soutien de 100 millions d'euros pour la filière, puis inauguré en 2014 le premier fonds d'investissement dédié à la robotique, baptisé Robolution Capital. Ce fonds, doté de 80 millions d'euros, doit permettre le financement de start-ups et d'entreprises françaises innovantes positionnées sur la création de robots dits de services (aspirateurs, voitures autonomes, drones civils, assistants de chirurgiens...). Avec l'objectif avoué de faire émerger des géants du secteur en France, et au passage, l'opportunité de créer des centaines de milliers d'emplois.
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Il s'agit ici de rendre plus compétitif le processus de production et donc d'assurer la viabilité des sites industriels nationaux par rapport à la concurrence internationale. La robotisation serait une alternative aux délocalisations.
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Pour Montebourg, ce  mouvement de robotisation, même massif, de l'appareil industriel en France aura un impact positif sur l'emploi. Cela n'aurait pas été vrai dans la France des années ‘80, de même que ce n'est pas vrai actuellement dans un pays comme la Chine, mais ce l'est dans la France d'aujourd'hui où l’emploi industriel n’a cessé de se dégrader, avec un recul de quasi 800.000 emplois rien que sur la dernière décennie : c'est que la robotisation en France sur cette période a été plus faible que chez ses voisins. L'Allemagne s'est équipée de six fois plus de robots que la France sur la même période et l'emploi l'industriel y a progressé.
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De la conception à l’installation, la fabrication de robots industriels requiert l’intervention de plusieurs entreprises avec des emplois à forte valeur ajoutée localisés sur le sol national, notamment dans les phases d'ingénierie et d'entretien : les robots, même une fois installés, ont besoin d’opérateurs humains.
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Enfin, l’investissement en robots industriels peut aussi tout simplement se révéler un outil de gestion des ressources humaines, un moyen de contrer un déficit en main d’œuvre dans des secteurs qui souffrent d’une pénurie de candidats par manque de compétences ou d’envie, du fait de l’image dégradée des emplois industriels auprès des jeunes et de leurs familles, en remplaçant des travailleurs dans le cadre d’un départ à la retraite ou en débarrassant des ouvriers des tâches les plus pénibles génératrices de maladies professionnelles.
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