|
|
|
|
L'AGRICULTURE BIOLOGIQUE (2)
Banc Public n° 49 , Avril 1996 , Catherine VAN NYPELSEER
Le mois passé (BP n°48, mars 1996), nous vous avions présenté la première partie d’un dossier consacré à l’agriculture biologique, et plus particulièrement aux techniques originales de contrôle de sa production; nous avions également prévu une interview de permanents de “Nature et progrès”1, mouvement d’éducation permanente de promotion de l’agriculture, de l’hygiène et du jardinage biologique, qui situait les techniques biologiques dans le contexte des problèmes environnementaux et sociaux de l’agriculture classique, et attirait notre attention sur les risques récents de dérive de l’agriculture biologique vers un modèle industriel, comme en agriculture “classique”. Vous trouverez dans ce numéro la fin de cette interview, ainsi qu’un compte-rendu de l’affaire du boeuf dit “BIO” de GB, dans laquelle un jugement vient d’être prononcé, et enfin la conclusion de notre dossier.
NATURE ET PROGRES Interview de David Michelante et Éric Van Essche (suite du numéro précédent)
La bio industrielle...
Et donc, ce que certains font, c’est évoluer vers le modèle industriel. Il est normal que, s’il y a une demande pour des produits bon marché, des gens se disent “on va faire des produits bon marché”. Cela pose des problèmes dans les milieux bio puisqu’il y a des agriculteurs pionniers qui ont développé des marchés, qui ont fait de la vente directe, qui ont commercialisé via des coopératives ou sur des marchés, etc. et qui sont arrivés à un certain équilibre entre le temps qu’ils consacrent à leur entreprise et le prix qu’ils ont pour leurs produits, et puis il y a cette bio industrielle qui, à terme, risque aussi de vider les campagnes, de diminuer la population agricole et la qualité des aliments. Cette bio industrielle avance, et prend les parts de marché des agriculteurs qui fonctionnaient. Banc Public: Mais ce sont des produits qui du point de vue de l’analyse restent biologiques? Oui. Qu’est-ce qui est mauvais? C’est que le modèle ne peut pas être généralisé sans que l’on ne poursuive l’exode rural. Donc, ça a tout de même un aspect positif, en ce que cela peut donner un accès à un plus grand nombre de gens aux produits biologiques, plutôt que de les réserver à une élite par leur prix. C’est quand même aussi quelque chose d’important? C’est là qu’il faut arriver à trouver le juste équilibre. Si l’on est repartis dans une spirale où les distributeurs disent “on travaille à tel prix”, on arrive à ce que quelques agriculteurs s’organisent pour boucler leurs fins de mois selon ce mode-là . La pression sur les prix va de nouveau jouer et ... l’agriculteur au bout du compte est souvent le dindon de la farce. C’est comme cela aussi dans l’agriculture traditionnelle... C’est vrai dans les deux modes de production, mais au plus le circuit se rallonge, au plus cela s’industrialise et devient anonyme, au moins le consommateur est enclin à comprendre ou a admettre que son aliment a plus de valeur, qu’il est prêt à payer. Si les circuits se rallongent, l’agriculteur n’aura plus la même possibilité d’expliquer ou de faire comprendre au consommateur en quoi un aliment biologique a plus de valeur qu’un aliment conventionnel.
...contre qualité sociale...
Au niveau de la production biologique, il y a l’aspect qualité globale qui est important. Il y a la qualité en termes de résidus, qualité diététique, il y a également - au niveau de “Nature et progrès”, c’est dans ce sens là que vont nos réflexions - l’aspect qualité sociale qui est important. Si pour permettre au plus grand nombre d’accéder aux produits bio il faut accepter que des producteurs partent au chômage, que les campagnes se vident, et s’il faut favoriser de grosses structures créées par des capitaux importants, qui proviennent notamment - et ça existe déjà actuellement - des secteurs de l’agrochimie, là on se pose des questions. Toute la problématique de l’industrialisation peut se poser dans nos sociétés. On constate qu’on va vers un nombre d’emplois toujours moins important par l’augmentation des économies d’échelle, la rationalisation à tous niveaux. Est-ce que la production agricole peut suivre ce même schéma sachant qu’une de ses fonctions c’est d’occuper le territoire de manière décentralisée?
...et possibilités techniques.
Jusqu’à un certain niveau, c’est bien de rationaliser, d’avoir des unités de production économiquement rentables, mais, à partir d’un certain point, on est en déséquilibre chronique, et le recours à des méthodes classiques pour soigner les animaux malades devient obligatoire. En agriculture biologique, en ce qui concerne l’élevage, on préconise d’avoir d’abord recours à des méthodes de prévention des maladies par rotation des pâturages, et des parcours, en ayant des bâtiments qui soient suffisamment bien adaptés aux exigences naturelles des bêtes (elles ont besoin d’un minimum de superficie, d’une atmosphère suffisamment saine et non chargée de gaz d’ammoniac (issus de leurs déjections), de suffisamment de lumière). A partir du moment où on a une surconcentration d’animaux, on sera obligé - la plupart du temps - d’avoir recours à des médicaments vétérinaires conventionnels pour venir à bout de toute une série de maladies liées à une surdensité de bétail. Une des règles de l’agriculture biologique, c’est d’avoir un nombre d’hectares et un nombre d’animaux par Ha défini avec un maximum qui permet d’absorber la matière organique sans qu’elle ne devienne polluante, et qui permette d’organiser des parcours variés pour inhiber les cycles parasitaires (qui se trouvent dans le sol à certaines phases de leur développement). Si ce n’est pas possible - et plus il y a d’animaux plus la superficie nécessaire est importante - le recours à des vermifuges devient inévitable. Actuellement, en élevage biologique, il n’existe pas encore de réglementation européenne, donc pour le moment on voit des élevages industriels qui apparaissent, et cela nous paraît l’indice d’une certaine dérive de l’agriculture biologique dans ses principes fondamentaux.
Les nitrates
La problématique des nitrates est un autre aspect important. Il y a actuellement 10% des captages d’eau potable dans lesquels on trouve des doses de nitrates qui tournent autour de la norme européenne de 50 mg/L. Une des grandes sources de nitrates dans les eaux potables, est l’agriculture conventionnelle. Il y a eu pendant toute une période des méthodes de fertilisation qui aboutissaient souvent à des surdosages d’engrais solubles. L’azote sous forme nitrique est extrêmement soluble, donc elle est facilement lessivable. On la retrouve dans les eaux de surface (il y a alors eutrophisation2), ou bien dans les nappes aquifères qui sont destinées à la consommation. Actuellement, il n’est pas rare que la S.W.D.E.3qui sont alimentées nappes relativement superficielles, qui sont actuellement non potables du fait des teneurs en nitrates. Ce sont des enjeux importants, qui touchent directement chacun dans sa vie de tous les jours, et par rapport auxquelles l’agriculture biologique a toujours cherché à se positionner et à rechercher des solutions viables et durables, tant en termes de pollution de l’environnement par les nitrates ou les pesticides, qu’en termes d’épuisement des ressources naturelles, que ce soient les engrais minéraux ou bien les énergies non renouvelables. (fin de l'interview) Le Boeuf “BIO” de GB Bien qu’il n’y ait pas encore de règlement européen en matière de productions animales, des produits issus de l’agriculture biologique sont commercialisés en Belgique sous le label “biogarantie”, et jouissent d’une certaine protection puisque le contentieux concernant le boeuf “BIO” de GB s’est soldé - provisoirement peut-être4 - à l’avantage du secteur de l’agriculture biologique. En effet, le 11 mars dernier, le tribunal de commerce de Gand, siégeant en référé, a imposé à GB de retirer dans les 48h toute mention de ce label dans son circuit de distribution, pour infraction à la loi sur les pratiques commerciales, en faisant référence, dans ses attendus, à la réglementation européenne en préparation, et au mode de production et de contrôle des produits de l’élevage biologique. L’affaire avait éclaté dans les médias en juillet dernier, dans la foulée du scandale des hormones et de la mobilisation du public contre les assassins du vétérinaire Van Noppem: la campagne de promotion de GB pour une nouvelle variété de boeuf appelée “BIO”, commercialisé à côté de viandes classiques, et contrôlé par ses soins, était fortement critiquée: en effet, le cahier de charges que devaient respecter les agriculteurs produisant cette viande de boeuf se limitait essentiellement au contrôle de l’absence d’utilisation d’hormones (interdites par la loi), sans que les règles de production très contraignantes de l’agriculture biologique soient respectées.
Conclusion
Pour les produits végétaux, l’attribution du label “biogarantie” (qui est une spécificité belge) applique un règlement européen de 1991. Par contre, pour les produits animaux, le règlement européen, qui était prévu au plus tard pour le 30 juin 1995, se fait toujours attendre (le projet a été élaboré à la Commission, mais doit encore passer par le Parlement et le Conseil). Ces règlements européens sont très importants pour le secteur de l’agriculture biologique, puisqu’ils lui permettent de certifier au consommateur la qualité des produits, dont le prix de revient est en général plus élevé qu’en agriculture “classique”, et qui prévoient des sanctions pénales pour les opérateurs qui se prévaudraient, à tort, de ce mode de production très exigeant. Il reste à espérer que le secteur de l’agriculture biologique pourra continuer à se développer harmonieusement tout en devenant accessible au plus grand nombre. Le développement de labels, rejeté par Test achats, a tout de même encouragé l’expérimentation et l’élaboration progressive de méthodes de production et de contrôle qui ont permis à la CEE d’établir une réglementation valable pour les produits végétaux, qui pourrait servir davantage d’outil de promotion pour le secteur, si elle était mieux connue. Au niveau des prix, une meilleure promotion des produits, une extension du marché limiteraient les invendus et permettraient des économies d’échelle. Le consommateur averti dispose actuellement, par sa simple faculté de choix, d’un levier pour orienter l’évolution de la politique agricole globale, et pour agir sur l’environnement et la santé publique.
Catherine VAN NYPELSEER |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Biblio, sources...
(1) Nature et progrès Belgique, rue de Coquelet, 24 5000 Namur (tel 081/ 22 60 45). Cette a.s.b.l. édite une revue, gère un centre de documentation, et édite des listes de points de vente respectant ses normes.
(2) Désoxygénation
(3) Société wallonne de distribution des eaux
(4) En effet, GB a introduit un appel, tout en appliquant le jugement (exécutoire dès sa signification).
|
|
|
|
|
|