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L'AGRICULTURE BIOLOGIQUE (1)
Banc Public n° 48 , Mars 1996 , Catherine VAN NYPELSEER
L’agriculture biologique, réservée à une clientèle d’initiés à ses débuts, il y a une trentaine d’années, est maintenant disponible dans les circuits classiques. Des firmes de grandes distribution comme Delhaize ou GB proposent notamment des rayons de fruits et légumes portant le label “Biogarantie”, “système de contrôle CEE”. Les prix de ces produits étant nettement supérieurs à ceux des produits classiques, il nous a paru intéressant de se poser la question de la fiabilité des contrôles effectués. Vous trouverez dans ce dossier une description de la méthode de contrôle originale, élaborée à partir de la pratique de l’agriculture biologique, et des contrôles qu’elle avait organisés elle-même, qui a été reprise à la satisfaction du secteur dans le règlement européen de 1991 - appliqué en Belgique depuis 1993 - concernant les produits végétaux.
En tous cas, cette méthode paraît efficace puisque les analyses réalisées par Test Achats - par ailleurs opposé aux labels en général au nom d’une qualité accessible à tous - n’ont pas découvert de traces de pesticides dans les produits de l’agriculture biologique1. L’agriculture biologique telle qu’elle est organisée actuellement nous parait donc bien plus intéressante que nous le croyions de prime abord, d’autant qu’elle a également des aspects positifs en ce qui concerne les effets environnementaux plus globaux comme la pollution des eaux, ainsi que des aspects sociaux comme l’exode rural ou la quantité de main d’oeuvre supérieure nécessaire à ses pratiques. On lira à ce sujet la discussion avec des représentants de l’a.s.b.l. “Nature et progrès” qui regroupe des producteurs, des consommateurs et des détaillants en agriculture biologique. En ce qui concerne la production animale, il n’existe pas encore de règlement CEE, mais il existe déjà des productions biologiques contrôlées par des labels privés. Et puis la cerise - verte - sur le gâteau, qui déclenchera probablement un intérêt supplémentaire du grand public pour ces produits, ce sera peut-être cette étude danoise2 comparant la qualité du sperme d’agriculteurs membres de l’association danoise des producteurs biologiques à celle de travailleurs de l’industrie - non exposés à des produits toxiques - qui observe une concentration deux fois supérieure en spermatozoïdes! Sachant que la diminution importante de la qualité (reproductrice) du sperme humain préoccupe les gestionnaires de banques du sperme3 et que les pesticides, insecticides et autres herbicides en sont très probablement une des causes4, il est probable que les consommateurs bien informés n’auront pas besoin de campagnes de publicité barnumesques pour acheter plus de produits biologiques. La qualité du système de contrôle de ces produits est donc primordiale. Le règlement5 européen de 1991 définit dans quelles conditions l’étiquetage ou la publicité d’un produit un produit peut faire référence au mode de production “biologique”. Le système de contrôle est établi par les États membres qui peuvent soit désigner les autorités, soit agréer des organismes privés chargés de ce contrôle, auxquels chaque producteur doit avoir accès moyennant contribution aux frais de contrôle s’il respecte le mode de production imposé par ce règlement. Des suites pénales sont prévues en cas d’infraction (en France, un négociant ayant trafiqué de grandes quantités de céréales qualifiées abusivement de “biologiques” a été condamné en octobre dernier à 12 mois de prison). En Belgique, deux organismes privés de contrôle ont été agrées: Ecocert Belgium (sprl), et le Blik (asbl). Ils contrôlent des producteurs, des transformateurs et également des importateurs, par le biais d’accords avec des organismes de contrôle similaires établis dans le pays d’origine des produits. L’agriculture biologique concernait 200 fermes en Belgique en 1995 (pour 50 en 1985), soit 0,20%. Au Danemark, il y en a 0,84%, en France 0,36%.
Biogarantie
Le logo “Biogarantie” que l’on retrouve sur les produits portant la mention “agriculture biologique - système de contrôle CEE” est une spécificité belge. Biogarantie est une a.s.b.l. qui regroupe tous les intervenants en agriculture biologique en Belgique: - les agriculteurs bio avec l’U.N.A.B. (francophone) et BELBIOR (en Flandre); - PROBILA-UNITRAB, union professionnelle des transformateurs et revendeurs; - “Nature et progrès” et VELT, mouvements d’éducation permanente regroupant des consommateurs, des jardiniers amateurs, des producteurs, des transformateurs et des commerçants; - Les deux organismes de contrôle, Ecocert et le Blik. Dans d’autres pays européens il existe également des “coupoles” regroupant plusieurs organismes, mais elles ne comprennent pas tous les intervenants comme Biogarantie. En Allemagne, il s’agit d’une coordination des organismes de contrôle, en France c’est plutôt une interprofessionnelle de producteurs-transformateurs. L’existence de l’association Biogarantie permet notamment à la Belgique de financer l’envoi d’un délégué qui répercute les positions belges aux réunions de l’I.F.O.A.M., la fédération mondiale de l’agriculture biologique, qui se réunit pendant 3 ou 4 jours, 3 fois par an, et qui est consultée par la CEE pour l’établissement des normes.
ECOCERT
Nous avons demandé à Blaise Hommelen, ingénieur industriel en agriculture, directeur d’Ecocert Belgique, de nous expliquer comment sont organisés les contrôles.
Les techniques de production
Blaise Hommelen Le règlement CEE définit des techniques de production. Elles sont basées avant tout sur une fertilisation du sol plutôt que l’alimentation directe de la plante. En agriculture classique, le cas extrême, ce sont les cultures en hydroponie, dans lesquelles on bétonne le sol, sur lequel les plantes sont mises dans l’eau avec les substances nutritives. On ne passe plus par la biologie du sol, la transformation de la matière organique en humus, etc. En agriculture biologique, on nourrit le sol pour nourrir la plante. La fertilisation est réalisée sans engrais chimiques. Il y a aussi toutes les bonnes pratiques agricoles au niveau d’une rotation: ne pas mettre tout le temps les mêmes productions, travailler avec des légumineuses qui vont fixer l’azote atmosphérique, restituer avec les déjections animales une certaine quantité d’azote au niveau du sol. C’est un cycle. Ces bonnes pratiques agricoles ont comme conséquence que les plantes étant moins poussées, moins dopées, ont une meilleure résistance. On n’utilise pas d’herbicides chimiques. On utilise des techniques culturales pour limiter l’envahissement par les mauvaises herbes. Concernant la lutte contre les champignons, la résistance est évidemment une notion importante: une plante qui est poussée en azote, dopée, sera beaucoup plus sensible aux attaques de champignons.
Les produits de synthèse
On a aussi la possibilité de lutter contre certains champignons par des produits simples comme le cuivre et le soufre qui ne sont pas issus de la synthèse chimique.
Banc Public Ils peuvent être toxiques aussi. Quel est l’avantage?
D’une part, ce ne sont pas des produits artificiels qui ont été crées par la synthèse organique, et, d’autre part, on emploie des produits qui ont une toxicité faible. On ne va pas employer de la nicotine, qui est un poison, on va employer de l’essence de rophénol, du pyrètre, des produits qui n’ont pas de rémanence. Il faut voir également que l’emploi de ces produits est très limité. Mais quel est le problème si un produit est de synthèse? Il pourrait être moins toxique? Le problème des produits chimiques c’est que ce sont des molécules de synthèse, qu’elles vont se dégrader Comment sont testé ces produits? Il y a le test de la DL, la dose létale. On teste un produit sur des souris. S’il a une DL 50 élevée ça veut dire qu’on peut mettre beaucoup de produit avant que 50% des souris meurent. Mais, en fin de compte on peut se rendre compte bien plus tard qu’il a peut être une DL élevée, mais qu’il est cancérigène à long terme! Les technique d’ionisation ne sont pas utilisées.
Le contrôle
Pouvez-vous nous expliquer comment les contrôles sont-ils réalisés?
Chez le producteur, on commence par identifier toutes les parcelles et leur historique (les produits qui ont été utilisés), on va les visiter, on examine les plans, et on établit un dossier complet au niveau de l’identification. C’est chaque parcelle qui va alors pouvoir produire des produits biologiques, et pour ce faire il faut qu’elle soit d’abord deux années en production biologique. C’est assez contraignant pour le producteur: il ne peut commercialiser ses produits sous le label biologique qu’à partir de la 3e année. Ensuite, on étudie les techniques de production. Il ne suffit pas qu’un producteur dise “je ne mets pas d’engrais”, il faut qu’on voie quelle fertilisation il emploie. L’agriculture biologique, c’est un mode de production. Le technicien sait ce que c’est que l’agriculture biologique, il ne suffit pas de dire “Je ne mets pas de désherbant”, et puis qu’il n’aie aucun système pour désherber.
Questionnaires
Lors du contrôle annuel on discute avec le producteur et on note tout dans notre questionnaire de synthèse. Il comprend des rubriques “observations de non-conformité”, fertilisation, entretien de la matière organique, lutte contre les adventistes (désherbage), protection des cultures (contre les maladies), multiplication végétales (il y a maintenant des plans de pommes de terre biologiques ou des petits oignons: il est obligé de les acheter s’il n’en achète pas il aura une remarque), etc.. Après la production végétale il y a la post-récolte: on suit toute la filière: étiquetage, procédés de transformation, façonniers éventuels (par exemple, les jus de pomme ne sont pas pressés à la ferme, ils sont traités dans une entreprise qui doit aussi être contrôlée), désinfection, transformations, comptabilité, stockage, commercialisation, analyses... En production animale, c’est la même chose: renouvellement de cheptel (s’ils achètent des animaux classiques), logement, alimentation, prophylaxie...
Les sanctions
Vous avez les critères de non-conformité?
C’est le principe de la certification. Il y a un barème de sanctions. Pour chaque non conformité, il y a une sanction.
Qui peut aller jusqu’Ã l’interdiction de commercialisation?
Si un produit n’est pas biologique, il est déclassé, ça c’est incontournable. Si y a vraiment des fraudes, on peut suspendre: on peut dire au producteur: “Maintenant, vous ne pouvez plus produire en bio pendant 6 mois”. Actuellement on a le cas avec certains producteurs. C’est d’abord un mois, puis six mois, ça dépend de la gravité de la fraude, et puis après on peut dire: “maintenant c’est fini”. A ce moment-là , il est rayé, et son nom est repris au ministère de l’agriculture. Il pourrait contacter un autre organisme de contrôle, mais comme on est en relation, c’est fini, il ne peut plus produire en bio. Ce sont des cas extrêmes. Nous avons des fiches de prélèvement standard. C’est très important quand on fait un prélèvement que le producteur aie une copie et qu’il soit d’accord. On prélève en trois exemplaires, dont un est envoyé au labo, le producteur garde un échantillon et nous un autre. On peut faire une contre-analyse, il y a toute une procédure. Un autre questionnaire reprend la comptabilité, la vente, les achats. Il y a des l’établissement des normes.
Les techniques de production
Blaise Hommelen Le règlement CEE définit des techniques de production. Elles sont basées avant tout sur une fertilisation du sol plutôt que l’alimentation directe de la plante. En agriculture classique, le cas extrême, ce sont les cultures en hydroponie, dans lesquelles on bétonne le sol, sur lequel les plantes sont mises dans l’eau avec les substances nutritives. On ne passe plus par la biologie du sol, la transformation de la matière organique en humus, etc. En agriculture biologique, on nourrit le sol pour nourrir la plante. La fertilisation est réalisée sans engrais chimiques. Il y a aussi toutes les bonnes pratiques agricoles au niveau d’une rotation: ne pas mettre tout le temps les mêmes productions, travailler avec des légumineuses qui vont fixer l’azote atmosphérique, restituer avec les déjections animales une certaine quantité d’azote au niveau du sol. C’est un cycle. Ces bonnes pratiques agricoles ont comme conséquence que les plantes étant moins poussées, moins dopées, ont une meilleure résistance. On n’utilise pas d’herbicides chimiques. On utilise des techniques culturales pour limiter l’envahissement par les mauvaises herbes. Concernant la lutte contre les champignons, la résistance est évidemment une notion importante: une plante qui est poussée en azote, dopée, sera beaucoup plus sensible aux attaques de champignons.
Les produits de synthèse
On a aussi la possibilité de lutter contre certains champignons par des produits simples comme le cuivre et le soufre qui ne sont pas issus de la synthèse chimique.
Banc Public Ils peuvent être toxiques aussi. Quel est l’avantage?
D’une part, ce ne sont pas des produits artificiels qui ont été crées par la synthèse organique, et, d’autre part, on emploie des produits qui ont une toxicité faible. On ne va pas employer de la nicotine, qui est un poison, on va employer de l’essence de rophénol, du pyrètre, des produits qui n’ont pas de rémanence. Il faut voir également que l’emploi de ces produits est très limité.
Mais quel est le problème si un produit est de synthèse? Il pourrait être moins toxique?
Le problème des produits chimiques c’est que ce sont des molécules de synthèse, qu’elles vont se dégrader Comment sont testé ces produits? Il y a le test de la DL, la dose létale. On teste un produit sur des souris. S’il a une DL 50 élevée ça veut dire qu’on peut mettre beaucoup de produit avant que 50% des souris meurent. Mais, en fin de compte on peut se rendre compte bien plus tard qu’il a peut être une DL élevée, mais qu’il est cancérigène à long terme! Les technique d’ionisation ne sont pas utilisées.
Comme nous l’avons mentionné dans notre introduction, la finalité de l’agriculture biologique dépasse l’aspect de la pure consommation - c’est-à -dire acheter le meilleur produit au meilleur prix. Cette problématique est apparue lors de notre entrevue avec deux permanents de l’a.s.b.l “Nature et progrès”, David Michelante et Éric Van Essche, dont on trouvera ici la première partie. Les agriculteurs qui ont commencé le mouvement de l’agriculture biologique étaient des idéalistes. Au début, ils n’avaient pas de marché, ils ont souvent été obligés de commercialiser à des prix conventionnels. Et puis ils ont fait l’effort ensemble de faire connaître leurs produits à une certaine clientèle qui était prête à payer le supplément de prix pour le supplément de qualité. Ils ont développé des circuits de commercialisation, mais ce sont des agriculteurs qui travaillent souvent à une échelle familiale. Il y a un mouvement important en agriculture traditionnelle: c’est l’industrialisation. En agriculture biologique, puisque l’apport d’engrais des végétaux vient principalement du compost qui est fait à base de déjections animales, il faut un équilibre entre le nombre d’animaux qu’on assume dans une exploitation agricole et la quantité d’hectares qui sont cultivés pour avoir une fertilité équilibrée.
L’agriculture portuaire
Dans un modèle industriel, on se spécialise en production végétale ou en production animale. Si on fait de la production animale, on quitte la campagne et on va près d’un port, là les aliments viennent du tiers monde, ils sont bon marchés il y a peu de frais de transport et les déjections vont directement dans la mer. Je caricature, mais la production industrielle animale c’est comme ça: ce sont des unités de production immenses -des milliers de bêtes rassemblées, qui ne bougent pas, qui ne sortent pas, qui sont justes nourris jusqu’à ce qu’on les abatte, si elles arrivent encore à marcher jusqu’à l’abattoir. Les agriculteurs qui font eux la spécialisation en production végétale apportent des engrais, il est beaucoup plus facile de passer avec des granulés que d’épandre un fumier, qu’il faut encore parfois composter. C’est beaucoup de travail en moins, de ne faire que la fertilisation avec des granulés. L’agriculture biologique prend vraiment le contre-pied de cette évolution en agriculture conventionnelle. Mais le prix de base auquel nous sommes habitués est calqué sur le modèle industriel, ce qui fait que tous les gens qui continuent à travailler sur le modèle familial où il y a un équilibre entre l’élevage et la culture, sont moins rentables. Et ils n’ont plus la possibilité de survivre économiquement.
La bio industrielle
Tout ce processus peut être appliqué dans une certaine mesure en agriculture biologique. Il y a moyen de faire de la production végétale en utilisant uniquement des fientes de poules qui ne sont pas produites dans la ferme, d’avoir donc des grandes surfaces, avec peu d’animaux et de travailler sur le modèle industriel. Il y a moyen également de produire des poules biologiques sur un modèle industriel où la même entreprise est responsable de la production des aliments, de la fourniture des aliments aux éleveurs et de la commercialisation des oeufs. Toute la chaîne appartient à un seul groupe et on travaille à grande échelle. Ce sont toutes les dérives vers lesquelles la bio peut aller, vers lesquelles certaines formes vont pour l’instant. Il y a un cercle vicieux qui est difficile à casser: le consommateur bio dit que les produits sont chers, donc il n’en prend pas, et le producteur bio ne trouve pas de débouchés. Il faut arriver à baisser les prix, mais dans une mesure qui permette quand même encore aux agriculteurs de fonctionner. Et donc, ce que certains font, c’est évoluer vers le modèle industriel. C’est normal que s’il y a une demande pour des produits bon marché que des gens se disent “on va faire des produits bon marché”. Cela pose des problèmes dans les milieux bio puisqu’il y a des agriculteurs pionniers qui ont développé des marchés, qui ont fait de la vente directe, qui ont commercialisé avec des coopératives ou sur des marchés, etc. qui sont arrivés à un certain équilibre entre le temps qu’ils consacrent à leur entreprise et le prix qu’ils ont pour leurs produits, et puis il y a cette bio industrielle qui, à terme, risque aussi de vider les campagnes, de diminuer la population agricole et la qualité des aliments. Cette bio industrielle avance, et elle prend les parts de marché des agriculteurs qui fonctionnaient...
Mais ce sont des produits qui du point de vue de l’analyse restent biologiques?
Oui.
Qu’est-ce qui est mauvais?
C’est que le modèle ne peut pas être généralisé sans que l’on ne poursuive l’exode rural.
Donc, ca a tout de même un aspect positif, c’est que cela peut donner un accès à un plus grand nombre de gens à des produits biologiques plutôt que de les réserver à une élite par leur prix. C’est quand même aussi quelque chose d’important?
C’est là qu’il faut arriver à trouver le juste équilibre. Si on est repartis dans une spirale où les distributeurs disent “on travaille à tel prix”, on arrive à ce que quelques agriculteurs s’organisent pour boucler leurs fins de mois selon ce mode-là . Ils ont développé un marché et les producteurs sont captifs. La pression sur les prix va de nouveau jouer et ... l’agriculteur au bout du compte est souvent le dindon de la farce. Quand il n’y a pas un équilibre entre le producteur et le distributeur.
CVN C’est comme ça aussi dans l’agriculture traditionnelle
C’est vrai dans les deux modes de production, mais plus le circuit se rallonge, au plus ça s’industrialise, ça devient anonyme, au moins le consommateur est enclin à comprendre ou a admettre que son aliment a plus de valeur, qu’il est prêt à payer. Si les circuits se rallongent, l’agriculteur n’aura plus la même possibilité d’expliquer ou de faire comprendre au consommateur en quoi un aliment biologique a plus de valeur qu’un aliment conventionnel.
Qualité sociale
Au niveau de la production biologique, il y a l’aspect qualité globale qui est important. Il y a la qualité en termes de résidus, qualité diététique, il y a également - au niveau de “Nature et progrès”, c’est dans ce sens là que vont nos réflexions - l’aspect qualité sociale qui est important. Si pour permettre au plus grand nombre d’accéder aux produits bio il faut accepter que des producteurs partent au chômage, que les campagnes se vident, et s’il faut favoriser de grosses structures créées par des capitaux importants, qui proviennent notamment - et ça existe déjà actuellement - des secteurs de l’agrochimie, là on se pose des questions. Toute la problématique de l’industrialisation peut se poser dans nos sociétés. On constate qu’on va vers un nombre d’emplois toujours moins important par l’augmentation des économies d’échelle, la rationalisation à tous niveaux. Est-ce que la production agricole peut suivre ce même schéma sachant qu’une de ses fonctions c’est d’occuper le territoire de manière décentralisée?
Impossibilité technique
Jusqu’à un certain niveau, c’est bien de rationaliser, d’avoir des unités de production qui sont économiquement rentables, mais, à partir d’un certain point, on est en déséquilibre chronique, et le recours à des méthodes classiques pour soigner les animaux qui sont malades devient obligatoire.
En agriculture biologique, en ce qui concerne l’élevage biologique plus précisément, on préconise d’avoir d’abord recours à des méthodes de prévention des maladies par rotation des pâturages, et des parcours, en ayant des bâtiments qui soient suffisamment bien adaptés aux exigences naturelles des bêtes (elles ont besoin d’un minimum de superficie, d’une atmosphère suffisamment saine et non chargée de gaz d’ammoniac (issus de leurs déjections), de suffisamment de lumière). A partir du moment où on a une surconcentration d’animaux, même en élevage biologique on sera obligé - la plupart du temps - d’avoir recours à des médicaments vétérinaires conventionnels pour venir à bout de toute une série de maladies liées à une surdensité de bétail.
Une des règles de l’agriculture biologique, c’est d’avoir un nombre d’hectares et un nombre d’animaux par Ha défini avec un maximum qui permet d’absorber la matière organique sans qu’elle ne devienne polluante, et qui permette d’organiser des parcours variés pour inhiber les cycles parasitaires (qui se trouvent dans le sol à certaines phases de leur développement). Si ce n’est pas possible - et plus il y a d’animaux plus la superficie nécessaire est importante - le recours à des vermifuges devient inévitable.
On constate actuellement qu’en élevage biologique il n’existe pas encore de réglementation européenne, donc pour le moment on voit des élevages industriels qui apparaissent et ça nous paraît l’indice d’une certaine dérive de l’agriculture biologique dans ses principes fondamentaux.
Les nitrates
La problématique des nitrates est un autre aspect important. Il y a actuellement 10% des captages d’eau potable dans lesquels on trouve des doses de nitrates qui tournent autour de la norme européenne de 50 mg/L. Une des grandes sources de nitrates dans les eaux potables, sont ceux qui proviennent de l’agriculture conventionnelle. Il y a eu pendant toute une période des méthodes de fertilisation qui aboutissaient souvent à des surdosages d’engrais solubles. L’azote sous forme nitrique est extrêmement soluble, donc elle est facilement lessivable. On la retrouve dans les eaux de surface: il y a alors eutrophisation, ou bien dans les eaux de nappes aquifères qui sont destinées à la consommation. Actuellement, il n’est pas rare que la SWDE soit obligée de mélanger des eaux de provenances diverses pour diluer des eaux trop chargées en nitrates. Il y a pas mal de sources qui proviennent de nappes relativement superficielles qui sont actuellement tout à fait non potables du fait des teneurs en nitrates. Ce sont des enjeux importants, qui touchent directement chacun dans sa vie de tous les jours et par rapport auxquelles l’agriculture biologique a toujours cherché à se positionner et à rechercher des solutions viables et durables, tant en termes de pollution de l’environnement par les nitrates par les pesticides qu’en termes d’épuisement des ressources naturelles, que ce soient les engrais minéraux ou bien les énergies non renouvelables.
Conclusion
Il est clair que le contenu du règlement européen en préparation pour les productions biologiques animales sera un élément très important pour l’avenir de ce secteur. Selon le calendrier établi par la CEE, il aurait déjà dû être établi. Les intérêts qui sont en jeu au niveau de la viande, par exemple, augmentent évidemment en même temps que les préoccupations des consommateurs-acheteurs pour leur santé et pour l’environnement.
Le contentieux entre les agriculteurs biologiques belges et le boeuf dit “bio” de GB (qui ne correspond pas du tout aux critères de l’agriculture biologique, mais répond à un cahier de charges et des contrôles en ce qui concerne les hormones seulement), en est une illustration intéressante. Une action introduite devant le tribunal de commerce de Gand pour concurrence déloyale sera jugée prochainement, alors que la commission européenne a entamé une procédure en infraction contre la Belgique pour non-application d’une directive européenne sur la protection du consommateur pour le même problème.
Il reste à espérer que le secteur de l’agriculture biologique pourra continuer à se développer harmonieusement tout en devenant accessible au plus grand nombre. Le développement de labels, rejeté par Test achats, a tout de même encouragé l’expérimentation et l’élaboration progressive de méthodes de production et de contrôle qui ont permis à la CEE d’établir une réglementation valable pour les produits végétaux, qui pourrait servir davantage d’outil de promotion pour le secteur, si elle était mieux connue. Au niveau des prix, une meilleure promotion des produits, une extension du marché limiteraient les invendus et permettraient des économies d’échelle. Le consommateur averti dispose actuellement, par sa simple faculté de choix, d’un levier pour orienter l’évolution de la politique agricole globale, et pour agir sur l’environnement et la santé publique.
Catherine VAN NYPELSEER |
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Biblio, sources...
(1) “L’alimentation biologique”, Test achats n°376, avril 1995 Test de farines, de pommes, de carottes et de laitues. Trois farines sur 26 contenaient des pesticides, mais pour le reste les produits étaient irréprochables du point de vue des pesticides. (2) Étude de A. Abell et collaborateurs en 1994, dont nous avons trouvé la référence dans un article scientifique de chercheurs de l’université de Copenhague qui tentait d’en vérifier les résultats. (3) Voir par exemple l’article “Le sperme est en perte de qualité” dans “Le Soir” du 30/1/96 (4) Cf par exemple l’article de “Science et vie” de juin 1994 sur l’influence des pesticides sur “la diminution de moitié de la fertilité masculine en cinquante ans”, ou “Le Soir” du 20/2/96 sur une proposition de résolution d’Écolo en la matière. Pour être objectifs signalons tout de même que certains incriminent dans cette baisse de fécondité la mode des pantalons trop serrants, qui provoquent un échauffement des testicules dont la température de fonctionnement idéal est plus basse que celle du corps. (5) au contraire d’une directive qui doit être transposée dans le droit des États membres, un règlement y est d’application immédiate (6) Société wallonne de distribution des eaux
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