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LAISSE BETON
Banc Public n° 46 , Janvier 1996 , Catherine VAN NYPELSEER
La construction écologique reste marginale en Belgique, au contraire de pays voisins comme la Hollande, par exemple, où une des administrations du ministère du logement ne s’occupe que du suivi de projets de construction écologique, ce qui inclut, notamment, des logements sociaux ou des lotissements destinés à la classe moyenne. Alex de Boeck, créateur de la première entreprise belge spécialisée en fourniture de produits écologiques pour la construction, ex-sénateur AGALEV, et actuellement directeur d’un bureau-conseil en construction écologique, nous a exposé ses idées en cette matière.
Alex de Boeck : Dans les pays qui nous entourent - particulièrement les pays germaniques et scandinaves: Allemagne, Hollande, Suisse - la “vague verte” ne s’est jamais arrêtée de croître, et la notion de construction durable est devenue une préoccupation importante des fonctionnaires, des politiciens, des entreprises, des architectes, etc. A Lausanne, par exemple, l’architecte en chef de la ville est un architecte en bio-construction. L’architecture en bio-construction est une spécialisation à l’université et dans les académies suisses. En Hollande, à l’université de Eindhoven, il y a un professeur qui donne cours en bio-construction. En Allemagne, il y a des dizaines de professeurs qui donnent aux architectes toutes les notions de bio-construction. Ici, en Belgique, à Saint-Luc, dans les écoles d’architectes de l’État, les académies, il y a quelques élèves qui font leur thèse en bio-construction - ils viennent chercher leurs informations chez nous par exemple - mais ce n’est pas une spécialisation. C’est une notion qui ne vit presque pas. Nos architectes ne savent même pas ce que c’est, à quelques exceptions près. Il y a donc une lacune. Tout le monde attend tout le monde. Il y a un public qui est demandeur. On se plaint toujours que les gens ne veuillent pas consommer. Les gens veulent consommer, mais des matériaux écologiques et sains. Le public n’a plus confiance dans la construction traditionnelle. Parce qu’il y a de l’amiante, par exemple. Il a peur pour sa pension, sa sécurité sociale, mais aussi pour sa qualité de vie: l’air, le bruit, la mobilité. Toutes des choses qui ne tournent pas rond en Belgique. Les gens qui ont les moyens de voir à l’étranger voient que là , c’est différent. Et que cette différence ne fait que s’accentuer. En Hollande, le ministère, les communes se préoccupent de bio-construction dans la construction du logement social (qui est plus répandu que chez nous - nous faisons de grands discours sur la sécurité avec le citoyen, mais le contrat avec le citoyen, c’est aussi une bonne urbanisation, à des prix abordables; dans ce domaine, nous n’avons rien fait). A Aarnhem, le ministère du logement hollandais a créé un grand lotissement écologique. Écologique global, pas seulement en utilisant quelques produits écologiques. Qu’est-ce que c’est, écologique global? Lorsqu’on construit, on influence l’environnement. On peut le dégrader, ou vivre en harmonie avec lui. On construira des maisons bénéfiques pour les gens, ou des maisons qui leur sont nocives mauvaises. Il ne s’agit pas seulement du choix des matériaux, la localisation aussi joue un grand rôle. - Une maison située juste à côté d’une autoroute, sans isolation phonique, c’est une catastrophe. - De même en ce qui concerne l’électromagnétisme : une maison sous une ligne de haute tension, c’est dangereux (en tout cas, selon une partie de la communauté scientifique mondiale, dont on connaît la division en ce qui concerne les problèmes écologiques. Ce n’est pas encore une certitude. Paul Lannoye1 a organisé un colloque au Parlement européen en 1993, auquel 350 personnes ont participé: des médecins des professeurs, les lobbies comme les producteurs d’électricité. Ce que ça a donné, c’est qu’on ne peut pas dire à 100% qu’il n’y a pas de problème. Même au Vlaamse Raad2, tous les partis ont signé une motion décidant de ne pas installer de nouvelle ligne à haute tension.) - On ne va pas construire sur d’anciennes décharges. - La Belgique est un petit pays avec une grande densité de population, et tout le monde veut sa petite villa sur sa pelouse de 10 ares. On devrait construire plus compact, au minimum deux maisons avec un mur mitoyen. L’urbanisme actuel est créateur de gaspillages d’énergie et de problèmes de mobilité. L’isolation thermique est un autre point essentiel. Sinon c’est un gaspillage au niveau de l’environnement, et du budget. La mobilité est à mon avis également un problème qui touche la construction, parce qu’on ne peut pas parler d’une mobilité durable (les bouchons, c’est le contraire de la mobilité!). Les constructeurs de voitures veulent résoudre ces problèmes par l’électronique, en installant des systèmes de guidage électronique dans les voitures, les feux de signalisation. C’est un pas, mais il en faut d’autres. Il faut de bons transports en commun. Pas comme en Belgique où à Landen, on doit passer à un autre bus parce qu’on est à la "frontière" - pas européenne, mais belge. Quand on voit nos lotissements, c’est une promotion de la voiture. Il n’y a pas suffisamment de commerces, de services, de transports en commun. Chaque ménage est pratiquement obligé de disposer d’une voiture. Les matériaux sont un autre aspect. Il existe en Belgique des marchands de matériaux de construction écologique, des bureaux d’urbanisme qui ont les mêmes critiques que moi. Mais ils sont tous sur leur petite île, c’est marginal. On peut construire une maison mal orientée, mal située, avec des matériaux écologiques, et le maître d’oeuvres croit avoir construit écologiquement, parce que le marchand de matériaux de construction l’a bien rassuré : “le liège est excellent pour la santé, les peintures respirent”, etc. Mais ce n’est pas uniquement les matériaux. Il existe en Belgique des conseillers en environnement, il existe un mouvement et même la vente de matériaux sains, mais il manque une globalisation de la démarche. Ca, c’est la tâche du public. Mon sentiment est que le petit monde marginal, même parfois ésotérique de la bio-construction a également freiné les choses. Ces gens se sont comporté de façon sectaire, intégriste, pas pratique, ce qui a nui à l’image de la bio-construction en Belgique. A côté de cela, une commune comme Delft construit 4.000 maisons écologiques, avec une vision globale. Avec des matériaux écologiques, mais aussi bien situées, bien orientées, bien compactes, pas chacune avec son petit garage, mais avec certaines fonctions en commun, comme des machines à laver, par exemple. Je sais bien que la mode est à l’individualisme, mais si l’on peut partager certains équipements, c’est aussi un moyen d’augmenter la qualité de vie: en libérant des moyens pour aller au théâtre, à l’opéra, pour voyager. La pollution, ça c’est important. En Flandre, Aquafin, une grande société publique qui installe les égouts, les collecteurs, gagne beaucoup d’argent. Plus les gens veulent polluer, plus cette société fait du profit. Vous pouvez utiliser des poudres à lessiver polluantes, vous pouvez évacuer tout. Cette société installera des égouts. Elle va épargner les rivières, mais en épurant à la fin, juste avant la rivière. On ne fait aucune prévention. Le marché écologique qui est en train de se créer est sur une fausse piste, parce qu’il profite de la pollution. Le PNB augmentera si les gens polluent plus. Les économistes à courte vue y voient une possibilité de croissance. Quand les esprits changeront - espérons-le! -, je crains que cela ne se fasse de façon trop partielle. L’un, son dada, ce sera l’urbanisme, l’autre, les constructions compactes. D’autres s’intéresseront aux matériaux, mais moi, je suis économiste, j’ai aussi le souci qu’une bio-construction soit une construction de qualité qui ne soit pas celle d’une minorité. On a intérêt de voir toutes les possibilités qui diminuent les prix. Au lieu de croire qu’il faut importer d’Allemagne, de Suisse, de Norvège, il faut chercher des matériaux en Belgique. C’est bien pour notre industrie, pour notre emploi, et l’élément transport est aussi un des facteurs qui font qu’un matériau soit écologique. Un matériau écologique aux États-Unis, quand il arrive ici, il n’est plus écologique à cause de l’énergie qu’a nécessité son transport. Dans le temps, quand on construisait une maison dans un village, on avait l’argile, on installait son propre four. Je ne dis pas que l’on doit revenir à un tel passé, je ne suis pas nostalgique. La construction en terre est le type de construction le plus répandu au monde. Ce n’est pas du tout utopique! En Turquie, il y a des cathédrales à trois étages en terre. Ici, on dit non, ce n’est pas possible. Pour le Belge, c’est comme dans les trois petits cochons: la maison en paille, la maison en bois et la maison en briques. Le loup a soufflé sur la maison en paille, il a mis le feu à la maison de bois, et seule la maison de briques a tenu le coup. Le Belge a tendance à construire un Bunker, plutôt qu’une maison. Un client m’achète du Trasscalk, un ciment écologique. Mais il met une pelle de Trasscalk pour trois pelles de sable, et encore un petit peu de sable parce que ”on ne sait jamais”. Le linoléum A un moment donné, dans les années ‘50, on a commencé à s’orienter vers des matériaux synthétiques. On pensait que la production traditionnelle s’arrêterait faute de marché. D.L.W., Deutsche Linoléum Werke, une multinationale qui a installé, par exemple, le revêtement de sol de l’aéroport et de la poste de Tokyo, a failli stopper complètement sa production de linoléum dans les années ‘80. Le linoléum est plus difficile à poser que le vinyle, par ce qu’il est plus rigide et plus sensible à la température (ça vit, quoi), et ils ont envisagé à un moment donné de stopper leur production de linoléum et de se concentrer sur la production de vinyle et de moquette. Suite à la vague verte, ils n’ont pas installé la ligne de production de vinyle et ont doublé la ligne de production de linoléum, comme l’autre grande société hollandaise. Les deux usines de linoléum qu’il y a au monde réfléchissaient à la suppression du linoléum. Au lieu de cela, ils ont doublé leur capacité de production. Pourquoi le lino est-il plus écologique que le vinyle? De quoi est-il constitué? Le vinyle est un dérivé du pétrole. Le linoléum est composé d’huile de lin, de farine de liège, et de colopholium, qui est une résine naturelle extraite des arbres, comme les pins des landes. Il est plus durable que le vinyle: dans un château de Suède, j’ai vu un linoléum qui datait de 80 ans. Je vous avoue que c’était dans la salle du trône, on n’y faisait pas des surboums tous les jours! Mais il y en a aussi dans les escaliers des maisons 1900, à Bruxelles, par exemple. La température de surface Pourquoi le succès des matériaux synthétiques pour remplacer les matériaux traditionnels? On a cherché des matériaux plus faciles. On a fait des plâtres plus légers que la chaux et les plâtres traditionnels. Dans le temps, on plafonnait avec de la chaux, sur laquelle on ajoutait une mince couche de plâtre. La chaux, c’est plus élastique, c’est antiseptique, cela a une haute température de surface, comparé au béton, par exemple. Le liège a également une température de surface élevée. Or, le confort thermique d’une pièce dépend de la différence entre la température de l’air et les matériaux qui nous entourent. Avec une différence peu élevée, on doit moins chauffer pour se sentir à l’aise. C’est une notion que les gens ont oubliée. Si la pièce où nous nous trouvons était en béton ou en aluminium, on devrait chauffer bien plus. Dans les pays scandinaves, on le sait très bien: dans un sauna, on n’installe pas du carrelage, mais du bois. Les sols des cuisines et des salles de bains, en Scandinavie, sont aussi en bois, parce que c’est plus chaud, on doit moins chauffer. En Italie, on installe beaucoup de carrelage, du marbre, parce qu’il fait trop chaud en été. Certains architectes ne pensent qu’à l’aspect des matériaux. Il faut avoir une pensée globale.
Les corps de métier manquent donc de prestige en Belgique. Dans les écoles, il y a un manque de techniciens, de bons peintres, par exemple. (Je ne veux pas plaider pour une société corporatiste. En France, il n’y a pas de menuisier qui fait tout comme ici en Belgique. Il y a un ébéniste, un couvreur, et c’est protégé. Le système en Allemagne est encore plus fort. Pour devenir luthier, il faut douze ans. Un peintre, c’est un maître-peintre. Chez nous un peintre, c’est Delvaux, un artiste. Sinon, c’est un “façade klacher”, comme on dit à Bruxelles.) Or, il faut parfois plus de savoir-faire pour certains matériaux naturels, qui demandent des soins particuliers. Pour ce qui est de la chaux, elle pèse plus lourd que le plâtre. C’est plus dur à porter, c’est plus de poids sur la truelle. Un deuxième aspect très important du choix qui a été fait par le marché en faveur du plâtre, c’est que l’on avait découvert qu’on pouvait y incorporer des déchets de production des engrais comme l’acide phosphorique, et cela faisait du plâtre plus léger, donc plus facile à poser, à la portée d’un simple bricoleur. Les ouvriers l’ont réclamé aussi. Ce qui est négatif, c’est que les produits que l’on y incorpore augmentent son taux de radioactivité. Autre exemple similaire: le ciment. Les cendres volantes des incinérateurs augmentent sa résistance mécanique et son étanchéité. Ce sont les Romains qui ont découvert ce principe avec le tuft, les cendres volcaniques. Mais les cendres des incinérateurs sont également radioactives. En Suisse, un grand holding financier qui intervient dans des domaines très divers (le chocolat, les matériaux de construction) a investi dans les matériaux écologiques uniquement parce qu’ils en escomptent un rendement. Chez nous, on a parfois le contraire. Des gens de qualité, qui ont du pouvoir, qui sont écologistes, et qui, par ignorance, investissent encore dans des domaines contraires à leurs idées. C’est le grand industriel qui se ballade à bicyclette avec sa famille, qui retape sa petite fermette dans les Ardennes, le week-end, mais qui investit dans les matériaux nocifs. Bien sûr, il s’agit d’une caricature!
Catherine VAN NYPELSEER |
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