Les dégâts possibles sont tellement graves, transformant des territoires énormes en déserts inaccessibles pour des décennies, ruinant l’activité économique et détruisant la vie des individus qui les habitaient, polluant à petit feu le reste de la planète, qu’il serait incompréhensible que la volonté politique de continuer le développement de cette filière industrielle persiste dans les pays démocratiques.
Le délicat démantèlement des centrales existantes sera l’un des chantiers du 21e siècle. Les pays ne possédant pas de centrale nucléaire, ou décidant de cesser de produire leur énergie de cette façon, bénéficieront sans doute d’un important avantage économique sur les plus nucléaristes.
Pour visualiser ce que le monde a perdu suite à la catastrophe, une superbe vidéo de 2007 destinée à la promotion touristique de la province de Fukushima – ses paysages, ses fleurs, ses fruits, sa gastronomie, ses 130 sources d’eau chaude, etc. – est disponible sur le site rue89 (http://www.rue89.com/2011/03/15/fukushima-japon-avant-le-seisme-195131).
Un journal de la catastrophe
Pour réaliser un peu mieux ce à quoi nous avons jusqu’à présent échappé, et en apprendre un peu plus sur l’état d’esprit des Japonais, on peut consulter le journal du mois après la catastrophe d’un Européen habitant au Japon.
Marié à une Japonaise, ce Français âgé d’une soixantaine d’années habite au Japon depuis une quinzaine d’années, à une centaine de kilomètres de la centrale de Fukushima. Il donne des cours de conversation française à l’université et consacre ses loisirs à sa passion, la restauration de meubles japonais anciens.
C’est à cela qu’il travaillait le 11 mars lorsque la gigantesque secousse l’a fait sortir de chez lui dans la neige, complètement paniqué, en oubliant la consigne que les enfants japonais apprennent depuis leur plus jeune âge: laisser la porte de la maison ouverte afin de pouvoir y rentrer après le tremblement de terre, qui pourrait déplacer les murs et bloquer la porte.
Le choc psychologique sera tel qu’il sera incapable de dire un seul mot lorsque plus tard, rentré par la porte-fenêtre qui a volé en éclats, il décroche le téléphone et entend son épouse qui tente de prendre de ses nouvelles depuis son lieu de travail.
Vers 19h, ils apprennent qu’il y a eu un incident à la centrale de Fukushima.
Ensuite, toute la nuit il y a de nouvelles secousses, de magnitude 5 ou 6, toutes les demi-heures environ. Impossible de dormir ou même de se reposer…
La première activité le lendemain est d’allumer la télévision pour tenter de se procurer des informations. De nouvelles vidéos du tsunami, parfois tournées par «des habitants de ces villes englouties qui sont miraculeusement parvenus à trouver refuge sur un toit» (p. 21).
Ensuite, à 15h36, un porte-parole du gouvernement annonce qu’une explosion vient d’avoir lieu dans le réacteur n°1 de la centrale de Fukushima.
Pendant quelques instants, croyant à une explosion atomique comme celles d’Hiroshima et de Nagasaki, Philippe Nibelle croit sa dernière heure venue…
Il consacre le reste de sa journée à zapper frénétiquement devant sa télévision, en quête d’informations. Pour lui, «dans l’attente d’un cataclysme nucléaire, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire que regarder la télé»(p.23)…
Témoin de son anxiété, son épouse japonaise ressent de la honte, parce que c’est à cause d’elle qu’il est dans cette situation qui inquiète les membres de sa famille restés en France! Quelques jours après la catastrophe, elle réussit à lui procurer un billet d’avion sur un vol Air France à destination de Paris. Pour sa part, elle ne souhaite pas quitter le Japon, à cause de ses parents et des personnes âgées dont elle s’occupe dans le cadre de son travail dans un home. Il décide de rester avec elle…
Sa vie est à présent organisée autour des interviews qu’il donne à des chaînes de télévision françaises et européennes, par internet, avec le logiciel Skype. Parfois, cette activité lui joue des tours comme lorsqu’il craque émotionnellement en direct suite au fait que Tepco a annoncé qu’il faudrait au moins un mois pour maîtriser le réacteur n°3, dont l’état reste extrêmement préoccupant… son père qui vit en Espagne s’en aperçoit et lui téléphone directement après l’interview.
L’instrument qui lui sera le plus utile, après l’appareil de mesure de la radioactivité reçu de l’ambassade de France, sera…la girouette installée dans le jardin pour vérifier si le vent ne vient pas de la direction de la centrale accidentée.
Le couple reçoit parfois des nouvelles de l’oncle de l’épouse qui est ingénieur à la centrale de Fukushima.
Philippe Nibelle termine son livre au moment où le gouvernement du Japon réévalue la gravité de l’accident nuclé¬aire au niveau 7, comme Tchernobyl, et conclut sur l’expression japonaise qui signifie «ça va aller»: Sasekene.