?> Austérité et santé en Europe
Austérité et santé en Europe

Banc Public n° 218 , avril 2013 , Frank FURET



La très sérieuse revue médicale britannique The Lancet  dresse,  dans son rapport « Crise financière, austérité et santé en Europe »,un constat alarmant  concernant la santé des Européens : hausse généralisée des suicides et des troubles psychologiques, retour de maladies bannies comme la malaria, menace sur la santé des enfants des familles populaires… En cause selon la revue : l’orthodoxie économique et les plans d’austérité prônés dans toute l’Europe. L’étude dénonce également le silence des ministres de la Santé.

 


Le nombre des suicides en Grèce a augmenté de 40% en un an ;  plans d’austérité, baisse de revenus et chômage mèneraient-ils au suicide ? «Une hausse du chômage de plus de 3% dans un temps relativement court est associée à une augmentation d’environ 5% du taux des suicides et des blessures auto-infligées», estime, froidement, le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), publié début mars et consacré à l’Europe. En Grèce, le chômage a augmenté de 10% en seulement deux ans, pour atteindre 26,4% fin 2012.

 

Pour la  revue médicale britannique, la santé des Européens se dégrade, en particulier dans les pays frappés de plein fouet par les politiques d’austérité. Et confirme la hausse générale des suicides dans l’ensemble de l’Union européenne, dont la courbe s’envole depuis 2007, après une période de sept années de baisse constante.

 

Ainsi, les nouvelles infections au VIH chez les usagers de drogues par injection ont aussi explosé en Grèce ces deux dernières années. Avant l’austérité, sur la période 2007-2010, le pays comptait 10 à 15 nouvelles infections annuelles dans cette catégorie de population. Le chiffre est passé à 256 nouvelles infections en 2011 et à 314 pour les huit premiers mois de 2012,  soit vingt fois plus !

 

En cause, le recul de la prévention, avec, par exemple, l’arrêt des programmes d’échange de seringues depuis 2008. L'étude signale aussi «la réapparition de la malaria et l’émergence de la dengue en Grèce».

 

Les plans d’austérité mis en ½uvre sous l’impulsion de la Commission européenne en Grèce, au Portugal, en Espagne et en Irlande ont touché de plein fouet les systèmes de santé. Le forfait à la charge des patients grecs a par exemple augmenté de 3 à 5 euros par consultation. Et le pays a supprimé 2.000 lits dans les hôpitaux publics. «En Grèce, la troïka (Commission européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne) a demandé que les dépenses de santé ne représentent pas plus de 6% du PIB, créant ainsi un précédent dans l’UE de prise du contrôle sur le système de santé national d’un État membre.»

 

En Espagne, le gouvernement a adopté en 2012 un plan de réduction des dépenses de santé de 7 milliards d’euros sur deux ans. Le pays a ainsi exclu les sans papiers du système de soins, sauf pour les urgences. Et il a fermé ou privatisé des dizaines d’hôpitaux et de centres de santé. Les enfants ne sont pas épargnés : la proportion d’enfants vivant dans des familles sans emploi a été multipliée par trois en Catalogne, avec des conséquences certaines sur leur santé.

 

Au Portugal, l’accord conclu en 2011 entre Lisbonne et la troïka prévoit une coupe de 670 millions d’euros dans la santé. Le reste à charge des patients a doublé – de 2,25 à 5 euros – pour une consultation en ville et s’élève jusqu’à 20 euros pour une visite aux urgences. Seuls les patients à bas revenus, les malades chroniques – si la visite est en lien avec leur maladie – et les personnes handicapées en sont exemptés. En Irlande, la couverture santé a été réduite pour les plus de 70 ans et même les bas revenus doivent maintenant payer un ticket modérateur.

D’autres pays ont réduit leurs dépenses de santé à l’occasion de la crise. En plus de la Grèce et du Portugal, la Lettonie, la Slovénie et le Danemark ont accéléré la restructuration de leur secteur hospitalier. Et les professionnels de santé ont vu leurs salaires réduits en Grèce, au Portugal, en Irlande, mais aussi à Chypre, en Lituanie et en Roumanie.

 

Par contre, l'Islande,  premier pays touché par la crise financière, « a rejeté l’orthodoxie économique qui se faisait l’avocate de l’austérité, a refusé d’être comptable de l’irresponsabilité de quelques banquiers et a investi dans son peuple », et a pu maintenir à niveau ses politiques de santé.

 

Ailleurs, là où les services publics sont sacrifiés sur l’autel des économies budgétaires, la véritable ampleur des conséquences sur la santé des citoyens ne seront visibles que dans plusieurs années, estime l'étude :  alors que les données financières sont mises à jour à la semaine près, il faut environ deux ans pour obtenir les données sanitaires des populations, notamment le suivi du taux de mortalité, ce qui rend l’analyse des effets immédiats de la crise sur la santé «impossible».

 

De plus,  « les voix des responsables de la santé publique sont restées inaudibles dans le débat sur la réponse à apporter à la crise. Nombre de ministres de la Santé sont demeurés silencieux. Le directeur général chargé de la santé et de la protection du consommateur à la Commission européenne a l’obligation légale d’examiner les conséquences des politiques européennes sur la santé. Il ne l’a pas fait pour la politique d’austérité de la troïka. Au lieu de cela, il s’est limité à conseiller les différents ministères de la Santé des pays membres sur comment ils pouvaient couper dans leurs budgets ».

 

« Les professionnels de santé se sont prononcés sur les effets néfastes des coupes budgétaires en matière de santé et de dépenses sociales, mais quelqu’un les écoute-t-il ? », conclut l’étude. Le président du groupe des socialistes et sociaux-démocrates au Parlement européen, l’Autrichien Hannes Swoboda, a quand même  réagi à l’étude britannique.« Tous les rapports de la Commission devraient porter le label “L’austérité tue” », a-t-il déclaré le 27 mars.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Comment les plans d’austérité dégradent la santé des Européens, Bastamag, Rachel Knaebel, 4 avril 2013.

 
     

     
   
   


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