Pour justifier sa démarche, son livre commence par une citation.
« Le vrai complot, dans le secteur financier, c’est le silence » Philip AUGAR
The Greed Merchants
â— Dans un premier chapitre « La loi du silence », il décrit sa méthode de travail qui consiste essentiellement à lancer, par l’intermédiaire d’un blogue, des lignes vers les acteurs de la finance.
Il fait état de ses difficultés, car la réticence à répondre à ses invitations est grande.
Il écrit :
Il est difficile de faire comprendre à quel point cette peur est profondément ancrée. Quand le blogue a décollé, des universitaires, des journalistes et des réalisateurs de documentaires ont voulu savoir si les employés de banque auxquels j’avais parlé accepteraient de les rencontrer.
Chaque fois, la réponse était la même : « Désolé, mais j’ai déjà risqué une fois de perdre mon travail : c’est suffisant. »
Cette stricte loi du silence limite ce que le grand public peut connaitre de la City. Je devais attendre que des volontaires se manifestent pour me révéler les détails de leur métier et de leur vie professionnelle. Ils prenaient un risque parce qu’ils souhaitaient casser tel ou tel stéréotype sur le monde de la finance, sur ceux qui travaillent à la City ou sur leur propre métier – par exemple, l’idée que tout ce qui a trait à la finance est atrocement compliqué. Oui, me disaient mes interlocuteurs, ce que font les génies des maths et de la physique est extrêmement difficile à comprendre. Mais nous autres… (p. 29)
Et à propos des économistes, il nous livre une plaisanterie qui circule dans la City :
Il y a trois sortes d’économistes : ceux qui savent additionner et ceux qui ne le savent pas… Les économistes ont prédit sept des trois dernières crises… Seule la moitié de l’économie est vraiment utile – dommage que les économistes ne se mettent jamais d’accord sur laquelle. (p. 37).
Inutile de préciser que cette réflexion mérite le détour dans une société qui accorde, non aux économistes, mais à leurs prévisions, une surimportance qui bride toutes les initiatives… sans compter que ces économistes sont souvent de véritables gourous.
â—â— Dans un deuxième chapitre « La planète finance et le krach », l’auteur nous avoue d’abord avoir pensé le monde financier comme une entité unique ; c’était une erreur !
Il distingue d’abord dans la planète finance les assurances et les banques et, dans les secondes, les banques commerciales et les banques d’affaires.
Dans ces dernières, vous verrez des traders dans leurs salles de marché, des « introducteurs » qui font entrer des entreprises en Bourse, ceux qui travaillent en financement de sociétés ou sur des fusions-acquisitions, mais aussi les « structureurs » qui conçoivent des produits financiers – par exemple, les obligations adossées à des actifs (CDO) dont on a tant entendu parler à cause du krach. Lehman Brothers était une « pure » banque d’investissement et Goldman Sachs l’est toujours ; vous ne pouvez pas ouvrir un compte épargne chez eux. Il existe des banques purement commerciales et d’autres qui sont actives dans les deux domaines et son appelées « mégabanques » (p. 43).
En ce qui concerne le krach, il en résume la cause ainsi :
Dans les années précédant le krach, les banques commerciales et les organismes de prêts hypothécaires ont prêté bien trop d’argent à des gens qui ne pouvaient rembourser de telles dettes – dans un premier temps dans le cadre d’emprunts immobiliers. Cela s’est déroulé sur une longue période parce que l’argent facile faisait monter les prix des maisons et donnait aux gens l’impression d’être plus riches qu’ils ne l’étaient. En parallèle, les banques commerciales et les organismes de prêts avaient peu de raisons de s’inquiéter d’un risque de défaut de remboursement de ces emprunts, puisqu’ils pouvaient les vendre à des banques d’affaires, qui les découpaient et les reconditionnaient en des produits financiers encore plus sophistiqués. Les gestionnaires de fonds de pension, comme d’autres investisseurs, désiraient en acheter parce que les banques centrales maintenaient les taux d’intérêt bas et que ces nouveaux instruments offraient de meilleurs rendements. Pour se protéger, les fonds de pension comme les autres s’appuyaient sur AIG, le géant américain de l’assurance, qui assurait une bonne part de ces produits – AIG faisant, lui, confiance aux notes excellentes que leur avaient données les agences de notation.
Au fil du temps, ces produits sont devenus de plus en plus complexes et « exotiques », mais gardaient leur triple A. Les banques, quant à elles, faisaient figurer sur leurs propres bilans certains de ces produits dérivés – souvent dissimulés derrière des « sociétés écrans » délibérément opaques situées dans des paradis fiscaux. Les contrôleurs de gestion n’ont rien vu, ou ont pensé que cela ne posait pas de problème, ou bien ont préféré regarder ailleurs, tout comme les régulateurs et les politiciens (pp. 45-46).
â—â—â— Dans un troisième chapitre, « Le risque du caméléon », l’auteur nous fait part de l’anesthésie actuelle qui consiste à affirmer que « désormais tout est sous contrôle ».
Nous savons pourtant que ce n’est pas la vérité et les soubresauts qui agitent aujourd’hui les banques allemandes -et la plus grande d’entre elles- et italiennes nous rappellent régulièrement que le risque de défaut d’une grande banque n’est pas aussi théorique que l’on pense.
Et à travers de multiples contacts et constats, l’auteur nous explique que rien n’a vraiment changé dans les banques d’affaires…
â—â—â—â— Dans un autre chapitre, il nous explique la structure des banques entre le « front office », le « middle office » et le « back office ».
Le « middle office » qui surveille les opérations et les risques de conformité est mal vu et a relativement peu de pouvoir sur le front office, qui apporte les opérations et l’argent. Il en va de même des gens du « back office » (support) qui sont intimidés par les traders et se révèlent incapables d’imposer leur vision ou leurs conseils de prudence. « Personne ne défie jamais le front office », ce qui signifie qu’il est peu contrôlé quand il ne l’est pas du tout !
â—â—â—â— A propos des ressources humaines, l’auteur décrit l’instabilité des emplois et le risque de se faire virer du jour au lendemain, ce qui crée une mentalité anxiogène parmi le personnel.
L’auteur décrit également la nécessité permanente de protéger ses arrières. Il faut garder des traces écrites de tout et ne jamais détruire ses courriels. Se protéger les fesses est essentiel si on veut survivre dans la finance.
La mobilité du personnel est énorme :
Votre horizon ne peut pas dépasser les cinq minutes puisque c’est le temps qu’il faut pour vous mettre à la porte. Voilà ce qui ressortait de tous ces témoignages sur l’absence de sécurité de l’emploi. Il n’y a ni loyauté ni continuité. On ne peut s’appuyer sur personne ; les meilleurs peuvent être débauchés à tout moment, ce qui n’empêche pas que chacun ait une épée de Damoclès au-dessus de sa tête : vagues de licenciements, exécutions et abattage annuel. C’est la conséquence de cette loi – ou plutôt cette absence de loi – de la jungle. Dans un tel contexte, est-il réaliste d’espérer que les « contrôles internes » fassent leur métier ? (p. 105).
Une exception à cette culture, Goldman Sachs :
« Regarder la plupart des types qui sont au sommet là-bas : ce sont des mecs qui ont fait leur carrière chez Goldman. Il y a moins de court terme chez eux – je pense que leur encadrement cohérent est une de leurs grandes forces » (p. 105).
Et quelques réflexions…
â—Amoral ou immoral, les activités de banquier ?
Amoral signifie simplement que les concepts de « bien » et de « mal » n’entrent pas dans le processus de prise de décision. A la City, vous ne vous demandez pas si un projet est moralement bon ou mauvais. Vous pensez au degré de « risque en matière de réputation ». Utiliser les failles du code des impôts pour aider de grandes entreprises ou des familles fortunées à échapper à l’impôt est de l’« optimisation fiscale », faite à l’aide de « structures fiscales efficaces ». Les avocats d’affaires et les régulateurs qui acceptent tout ce que vous proposez sont « bienveillants », les cas de fraude ou d’abus avérés deviennent des « ventes abusives » et exploiter les incohérences en matière de règlementation entre deux pays est de l’« arbitrage règlementaire » (p. 112).
Bref, le jargon est homéopathique et travestit en langage courant chaque opération.
â— La banque sur une ile
Le livre décrit également l’isolement et l’impossibilité de contrôle des PDG ; en effet, les algorithmes utilisés par la salle des marchés sont incompréhensibles dans le cadre d’une gestion quotidienne. Les contrôles internes sont donc pratiquement inefficaces, comme d’ailleurs les contrôles externes.
Rien n’est donc sous contrôle ! même si on donne l’apparence du contrôle et qu’on multiplie les règlementations complexes et diverses.
â— L’organisation informatique
A ce propos, l’auteur observe :
« Vos lecteurs seraient scandalisés s’ils découvraient à quel point l’organisation informatique est pourrie dans bon nombre de banques, d’entreprises et de ministères ! », m’a avoué un homme qui travaillait depuis une dizaine d’années chez un éditeur de logiciels. « On s’en aperçoit parfois quand une société est bloquée pendant des jours à cause d’un « problème informatique ». Est-ce que vous avez remarqué que ce genre de choses dure toujours plus longtemps que prévu ? Ce ne sont pas les réparations qui prennent du temps. Comprendre quel est le problème – « l’analyse des causes profondes » -, c’est presque toujours ça le plus long. Personne n’a une vue d’ensemble approfondie… » (p. 146).
â— La loi du silence
C’est la loi du silence qui prime, associé à une méconnaissance profonde de la théorie et de la pratique du marché financier.
Depuis 2008, on a multiplié les règlementations, mais « les incitations perverses sous-jacentes au système financier (à savoir faire de l’argent en élaborant des produits de plus en plus sophistiqués) demeurent quasiment inchangées » (p. 178).
Exemple de la passivité du contrôle :
Lors du krach de 2008, il s’est avéré que les banquiers d’affaires dans des mégabanques spéculaient avec l’épargne que des particuliers avaient confiée à la division commerciale de celles-ci. Les mégabanques ont-elles été contraintes de se scinder en deux, avec, d’un côté, les activités de banque d’investissement, à haut risque, et, de l’autre, la banque de détail plus traditionnelle, qui gère les comptes épargne de tout un chacun et le système de paiement ? Absolument pas : une « électrification de la cloison » doit simplement être mise en place entre les deux branches – tout du moins au Royaume-Uni, et pas avant plusieurs années. (…)
La quasi-totalité des grandes banques reste cotée en Bourse ou fait tout pour revenir sur les marchés boursiers le plus tôt possible. Le système d’absence de sécurité de l’emploi régit toujours la City, tout comme le caveat emptor et la loi du silence. Les trois grandes agences de notation restent un cartel, tout comme les quatre cabinets d’audit qui continuent à faire de lucratives missions de conseil auprès des banques qu’elles sont censées auditionner (p. 180).
Et de conclure…
â–„ D’abord, les banques doivent être découpées en unités ni trop grosses ni trop complexes pour faire faillite – ce qui signifie qu’elles ne pourront plus nous faire chanter…
â–„ â–„ Ensuite, les banques ne doivent plus concentrer en un même lieu des activités qui génèrent des conflits d’intérêts, que ce soit entre le trading, la gestion d’actifs et les rapprochements d’entreprises ou les introductions en Bourses , ou entre la banque commerciale et la banque d’investissement, plus risquée…
â–„ â–„ â–„ Troisièmement, les banques ne doivent plus être autorisées à concevoir, vendre ou posséder des produits financiers excessivement complexes, afin que les clients puissent saisir ce qu’ils achètent et les investisseurs comprendre le bilan d’une banque…
Enfin, les « malus » doivent atterrir sur la même tête que les bonus : l’idée des risques qui courent le capital ou la réputation de la banque ne doit réveiller, la nuit, personne plus que les banquiers qui prennent ces risques.
Ce n’est pas de la science sophistiquée : on serait en droit d’attendre de tous les grands partis politiques de toutes les démocraties du monde occidental qu’ils aient déjà fait connaitre leur conception d’un secteur financier stable et fructueux (p. 254).
On en est malheureusement loin et les soubresauts de la Deutsche Bank nous rappellent qu’un nouveau krach bancaire peut survenir rapidement et que les mesures prises sont insuffisantes pour faire face au naufrage d’une banque systémique.