L'intelligence des animaux est à la mode dans les milieux scientifiques (voyez notamment "Sommes-nous trop 'bêtes' pour comprendre l'intelligence des animaux" de Frans de Waal présenté dans le Banc Public de mai 2017); Jennifer Ackerman aborde notamment cet aspect, y compris l'utilisation d'outils, mais aussi celui des compétences artistiques – chant, parades de séduction, et même réalisations d'œuvres – , les extraordinaires capacités de "navigation" des oiseaux, leur sociabilité, leurs capacités d'adaptation, leur mémoire, etc.
Malgré le ton un peu impersonnel et froid, on sent que le sujet la passionne et elle réussit à exprimer son admiration pour la gent ailée. Les études scientifiques, souvent dans le domaine de l'éthologie (étude des comportements) ou des neurosciences (observation des zones du cerveau actives selon les tâches), sont décrites avec soin et nuances, complétées régulièrement de rappels des conceptions anciennes, confortées ou réfutées par l'évolution des connaissances.
Observations ornithologiques
On peut noter l'intérêt de certains scientifiques pour les observations documentées par les amateurs dans les revues ornithologiques, notamment pour tenter d'établir un classement des types d'oiseaux selon leur degré d'intelligence tel qu'observé dans la nature et non par des expériences en laboratoire, dont on avait vu dans le livre de Frans de Waal combien elles étaient difficiles à mettre au point.
Dès l'antiquité
Une fable d'Ésope, "La Corneille et la cruche" constitue en fait la trace de ces observations dès l'antiquité. On a en effet pu observer en laboratoire une espèce de la famille des corvidés réaliser la séquence d'actions décrite dans la fable pour atteindre l'eau d'une cruche à moitié remplie : y introduire des objets qui coulent pour faire monter le niveau de l'eau et pouvoir se désaltérer. Pour Jennifer Ackerman, "Cela suggère que ces oiseaux comprennent le déplacement de l'eau, un concept physique assez sophistiqué, dont le degré de compréhension équivaut à la perception d'un enfant de cinq à sept ans" (p. 125).
Le fardeau de la vigilance
L'espèce capable de réaliser cette performance est le corbeau calédonien, connu également pour son extraordinaire capacité à construire des outils complexes à crochets pour capturer les larves d'insectes dont il se nourrit. Une explication de cette intelligence particulière pourrait être le fait que peu de prédateurs représentent une menace pour les corvidés dans l'archipel de la Nouvelle-Calédonie, ce qui les exempte "du fardeau de la vigilance – en d'autres termes, ils ont le temps et la disponibilité d'esprit pour bricoler (…)" (p. 113), et aussi pour enseigner les techniques mises au point à leurs jeunes.
Artiste, l'oiseau ?
L'art serait-il un concept purement humain? Dans le chapitre intitulé "L'oiseau artiste", de nombreuses pages sont consacrées à la pratique extraordinaire d'un oiseau appelé "jardinier" dont le mâle a la particularité de construire des "tonnelles" de brindilles qui ne servent pas de nid mais sont élaborées en vue de l'unique usage de la séduction des femelles. Les mâles élaborent chacun leur propre tonnelle et la garnissent d'objets colorés soigneusement disposés. Lorsqu'une femelle choisit de visiter une tonnelle, son propriétaire y exécute les figures et les chants de sa parade amoureuse. Plus longtemps la femelle reste, plus il y a de chance qu'elle s'accouple avec ce mâle-là.
D'après les fines observations réalisées sur des enregistrements par caméra de parades en présence d'un robot imitant une femelle réalisés par Gail Patricelli (pp. 256-257), il semble que la décision finale de la femelle dépende de la sensibilité du mâle vis-à-vis d'elle, de son adaptation à ses réactions, c'est-à-dire qu'une magnifique parade parfaitement exécutée dans une superbe tonnelle, mais sans interaction avec elle, ne lui convient pas. En effet, les mâles jardiniers dont on savait qu'ils avaient obtenu le plus de copulations avec différentes femelles ont montré une meilleure adaptation de leur parade aux signaux communiqués par le robot imitant une femelle.
Mémoire
Cervelle d'oiseau? Ou tête de linotte? Ces qualificatifs visent les personnes distraites. Pourtant, les oiseaux qui cachent de la nourriture pour leur survie en hiver et le nourrissage des petits ont une mémoire phénoménale. Non seulement ils se rappellent de l'endroit – parfois des milliers d'emplacements distincts - mais aussi de la nature de ce qu'ils ont caché, et consomment préférentiellement les aliments dont la péremption est la plus rapide. Sans compter qu'ils enregistrent également si un de leurs congénères les a vu cacher, et s'il s'agit de leur partenaire. Dans le cas contraire, ils peuvent déplacer ou feindre de déplacer leurs provisions.
Navigation & mutilation
Les extraordinaires capacités de navigation aérienne des oiseaux migrateurs ou des pigeons voyageurs sont décrites dans un chapitre intitulé "Un esprit de cartographe", où Jennifer Ackerman fait le point sur l'état des recherches scientifiques pour déterminer comment ces oiseaux réalisent des prouesses comme naviguer dans la bonne direction par une nuit sans lune après avoir été lâchés au-dessus d'un lieu inconnu d'eux.
Une expérience de William Keeton a prouvé, il y a plus de quarante ans, le rôle du champ magnétique terrestre dans cette capacité, en équipant deux groupes de pigeons de barrettes identiques, les unes magnétiques et les autres pas. La navigation du premier groupe, dont les barrettes modifiaient le champ magnétique autour de l'animal, fut déficiente.
On ne sait cependant pas encore comment les animaux perçoivent le champ magnétique ni par l'intermédiaire de quel(s)s organe(s). Une théorie selon laquelle ils entendraient les champs magnétiques via des cellules spécialisées de l'oreille interne a été réfutée par l'expérience consistant à retirer l'oreille interne à des pigeons puis à constater qu'ils retrouvaient encore leur pigeonnier malgré cette mutilation. Ce genre d'expérience ne rend pas certains scientifiques sympathiques et on peut s'étonner qu'elle soit mentionnée sans aucun commentaire dans un livre sorti en version originale en 2016.
Consolation
La vie sociale des oiseaux est riche. Une activité de consolation a été mise en évidence dans des observations de groupes de freux (corvidés nichant en colonies): "Une étude a révélé qu'après avoir vu son partenaire engagé dans une querelle le freux le réconforte en enroulant son bec autour du sien, durant une minute ou deux" (p. 184)
Justification
Cher lecteur, vous vous demandez peut-être que vient faire un tel sujet dans un mensuel destiné principalement à des fonctionnaires. Pourtant, comme chacun, ceux-ci ont droit à une vie en dehors de leur travail. Ils ont peut-être l'occasion d'observer des oiseaux sur le quai de la gare, sur le trottoir du chemin du travail, ou même dans leur bureau puisque certains organismes acceptent à présent des animaux de compagnie?
Nous, les humains, ne sommes que des animaux particuliers; rester en contact avec les autres espèces nous rappelle de respecter ou faire respecter nos propres besoins vitaux, pour ne pas mourir d'un cancer quelques mois après la pension… Il est parfois bon de se rappeler que le monde ne se limite pas - malgré les apparences - à des bureaux éclairés par des néons, des ordinateurs, des formulaires, des collègues grognons momifiés sur leur chaise.
Joyeux printemps à tous!