«Explosion de la déforestation», «facilitation de l’utilisation des pesticides», «élimination des licences environnementales», «dénigrement des militants écologistes»… telles sont les menaces qui pèsent dorénavant sur le Brésil.
Climato-sceptique, Bolsonaro se prononce pour le retrait du Brésil de l'accord de Paris sur le climat et pour la suppression du ministère de l'Environnement, qui fusionnerait avec celui de l'Agriculture. Il entend également construire une autoroute traversant la forêt amazonienne, répondre au lobby agroalimentaire en ouvrant des droits à la culture du soja et à l'élevage, ouvrir les territoires des communautés indigènes aux entreprises minières, assouplir les lois relatives à la protection de l'environnement, expulser des ONG écologistes, faciliter l'utilisation des pesticides, et transférer des fonds au groupe parlementaire de l'agrobusiness. Jair Bolsonaro veut aussi supprimer les organismes de contrôle qui doivent encadrer certaines industries, alors que l'Amazonie est déjà ravagée par les groupes industriels. Les conséquences sur l’environnement pourraient donc être dramatiques.
Déforestation
La déforestation du Brésil a longtemps été la plus importante au monde, et reste préoccupante. Elle conduit à un impact écologique majeur (atteinte au «poumon vert», émission de CO2, développement du réseau routier et fragmentation écologique...).
Les produits agricoles brésiliens participent à une consommation alimentaire mondiale excessive d'un point de vue environnemental (viande bovine ou soja pour alimenter le cheptel étranger), et à la perte de surfaces agricoles pour l'alimentation au profit de biocarburants.
Une étude réalisée par des organisations américaine et britannique montre que la plus grande partie de la déforestation actuelle se déroule dans des conditions illégales, dans le but d’exporter des matières premières - papier et bois, mais surtout désormais soja, huile de palme, viande - vers les marchés occidentaux et asiatiques. L’opacité de ces filières d’approvisionnement fait que la grande majorité des produits vendus dans nos supermarchés présentent un risque d’être liés à la déforestation illégale.
Agriculture et élevage
Le Brésil est le premier exportateur au monde de biocarburants et le deuxième producteur. C'est également le premier producteur mondial de café, de sucre, de jus d’orange, de soja. De 2010 à 2012, c'est le 3e producteur au monde de tabac et, en 2012-2013, le 4e exportateur de coton.
Les productions animales sont également largement excédentaires. Le Brésil est le premier producteur mondial de viande bovine (bœuf) et de volaille. Ces productions ont un impact fort sur l'environnement. Et l'élevage bovin est responsable au niveau mondial de 9,7 % des émissions totales de gaz à effet de serre.
Une large part de la culture de soja est destinée à la production de tourteaux pour nourrir le bétail. Au Mato Grosso (sud de l'Amazonie), des surfaces auparavant utilisées pour l'élevage ont été reconverties dans la culture du soja, ce qui a contribué à repousser vers le nord les étendues dédiées aux bovins et a ainsi induit une nouvelle déforestation.
Construction de barrages
Jair Bolsonaro a évoqué la reprise de certaines études pour la construction de centrales hydroélectriques en Amazonie, qui impliquent la construction de barrages, avec un fort impact sur les cours d’eau et le déplacement de populations. Un dossier sensible, qui a provoqué par le passé des mobilisations populaires d’ampleur et de violents affrontements entre policiers et membres de tribus indiennes. Symbole de ces crispations : le projet de Belo Monte, centrale en cours de construction, avec un barrage qui sera le troisième plus grand au monde.
Industrie minière
Au Brésil, l’Amazonie subit aussi les effets de l’industrie minière. On y exploite déjà de la bauxite, nécessaire pour produire l’aluminium, ainsi que du manganèse ou encore du kaolin, minerai utilisé notamment pour la production de papier, de dentifrice, de cosmétiques et autres produits de la vie quotidienne.
En 2014, des eaux usées issues de l’extraction et de la transformation du kaolin se sont déversées dans les cours d’eau locaux, qui sont devenus tout blancs, et impropres à tout usage pour des milliers de personnes.
Dans le Minas Gerais, à la mine de fer Germano, exploitée par l’entreprise Samarco, des bassins contenant des déchets de la mine ont cédé, déversant un «tsunami de boue» qui a inondé la région. Onze personnes sont mortes, dont sept ont été identifiées, et une quinzaine de personnes sont portées disparues. Samarco n’a pas pris la peine d’évoquer le sort des victimes dans sa communication de crise et a déclaré que la boue n’était pas toxique.
Le niobium est un métal rare que le Brésil est quasiment le seul à extraire (90 % de l'offre mondiale). Le niobium entre dans la composition de certains alliages d'acier, auxquels il donne plus de solidité et de flexibilité, ce qui permet aussi de consommer moins d'acier et d'alléger les matériaux. Il est utilisé dans l'automobile, les réacteurs d'avion, les réacteurs nucléaires, les oléoducs ou les implants médicaux. Jair Bolsonaro est favorable à un essor des mines au Brésil. Il défend en particulier la valorisation du niobium.
Accaparement des terres et régression des droits des indigènes
Les indigènes ont beaucoup lutté pour l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement démocratique et populaire et espéraient que les choses allaient changer, mais, en pratique, on a assisté à une multiplication des grands travaux affectant les terres indigènes.
Les réserves indigènes représentent environ 13 % du territoire brésilien. Elles sont une des meilleures protections contre la déforestation. A en croire Jair Bolsonaro, qui a multiplié les sorties racistes, elles seraient un frein au développement économique du pays. En février, le candidat d’extrême droite avait affirmé : «Si j’assume le pouvoir, l’Indien n’aura plus un centimètre de terre», sans que l’on sache s’il s’adresse aux démarcations de terres indigènes à venir ou existantes.
Et pour ce faire, le nouveau président souhaite retirer à la Funai, l’agence en charge de la protection des Indiens, le droit de délimiter leurs terres. Il a donc aussi proposé de soumettre au Parlement un projet de loi visant les exploitations commerciales sur les terres autochtones. «Il y a beaucoup de réserves surdimensionnées et les Indiens veulent faire sur leur terre ce que les fermiers font sur la leur», a-t-il estimé.
En jouant sur la pauvreté de son peuple et en mettant l’accent sur le profit, plutôt que sur l’écologie et la protection des Indiens, Bolsonaro pourrait donc avoir mis le feu à une vraie poudrière. D'autant que son programme - certes flou - prévoit de libéraliser le port d’armes.
Agrobusiness et politique
Bolsonaro prévoit de fusionner le ministère de l’Environnement avec le ministère de l’Agriculture. En d’autres termes, de supprimer le premier au profit du second. Le portefeuille de ce ministère sera très certainement confié à un membre du BBB («bœuf, balles et Bible», qui regroupe les bancadas représentant l'agrobusiness, les militaires et les églises évangélistes, dont il est très proche). Derrière ce nom évocateur se cache l’un des plus grands groupes de pression du pays, pro-armes, évangéliste et agro-industriel. Là où le bât blesse, c’est que pour élever des bêtes ou dresser des champs de soja, il faut bien entendu libérer de la place et donc déforester au maximum. Alors que l’Amazonie a déjà perdu 7 000 km2 de forêt en 2017.
Des organisations existent pour protéger la forêt, mais Bolsonaro semble avoir décidé d’entrer en guerre frontale avec elles. Lors d’une visite dans l’Etat amazonien de Roraima, le nouveau président brésilien avait ainsi dénoncé les contrôles des agences Ibama et ICMbio, "qui nuisent à ceux qui veulent produire". Avant d’affirmer qu’il voulait en finir avec "l’industrie des amendes" (les agences qui sanctionnent les bûcherons illégaux).
La population brésilienne dans son ensemble bénéficie du développement du secteur de l'agrobusiness, qui représente plus d'un cinquième de l'économie du pays. Mais la déforestation profite avant tout à une minorité de grands propriétaires terriens, à qui Bolsonaro propose dans une de ses déclarations de chasser à coup de fusil les paysans sans terre qui oseraient s'aventurer sur leurs immenses propriétés.
Contre « l'activisme environnemental »
Les grands propriétaires terriens et éleveurs avaient tout à gagner dans cette élection. 45% de l'espace rural brésilien est occupé par seulement 1% des propriétés.
Le PT (le parti des travailleurs de Lula et Dilma Roussef) soutenait l'engagement, pris par le pays lors de l'accord de Paris sur le climat, de réduire ses émissions de gaz à effet de serre et de replanter 12 millions d'hectares de forêt amazonienne d'ici 2030; il contrôlait l'application des lois et accords en faveur de la protection du territoire des Indiens d'Amazonie et menait une politique favorable au demi-million de familles paysannes sans terre.
Ainsi, si l'on ajoute à l'influence dominante du BBB sur le pouvoir législatif un président qui clame sur les réseaux sociaux sa haine des populations indigènes, son mépris des paysans sans terre et sa volonté de mettre fin à ce qu'il qualifie d'activisme environnemental, on ne voit pas bien ce qui pourrait arrêter la fièvre expansionniste des éleveurs de bovins et des planteurs de soja et de canne à sucre.
L'Amazonie est-elle un bien commun?
La question de l'environnement du Brésil est hors-norme à plus d'un titre : première zone de biodiversité au monde, la forêt brésilienne joue un rôle important dans le cycle du carbone mondial. L'Amazonie est essentielle à l'équilibre écologique de notre planète et à la survie de l'humanité.
Cependant, l’ingérence de la communauté internationale est difficilement acceptable. En particulier pour un pays dont l'histoire a été marquée par l'esclavage et l'exploitation de ses richesses au profit de nations européennes. Et celles-ci sont bien peu légitimes dans le rôle de donneur de leçons alors qu'elles n'ont conservé que 0,3% de leur massif forestier originel contre 69% au Brésil.
Le droit de regard que voudraient s'arroger des pays qui sont aujourd'hui dans une situation de développement que l'on ne peut décemment pas dissocier d'un passé émaillé de surexploitation de leurs propres ressources et de celles issues des périodes de colonisation pourrait être interprété comme une volonté de freiner l'émergence du Brésil sur la scène économique mondiale.
C’est ce qui a nourri l'un des principaux arguments de Jair Bolsonaro pour le rejet des institutions internationales.