Ils affirment qu’il est possible de nourrir plus de 9 milliards d’êtres humains en 2050 avec 100% d’agriculture biologique, à deux conditions: réduire le gaspillage alimentaire et limiter la consommation de produits d’origine animale. Et ce, sans hausse de la superficie de terres agricoles et avec des émissions de gaz à effet de serre réduites. Un défi de taille, alors que le bio ne représente que 1% de la surface agricole utile dans le monde.
L’intensification de l’agriculture, si elle a considérablement accru la quantité de nourriture disponible au cours des dernières décennies, a dans le même temps conduit à des «impacts environnementaux négatifs considérables (hausse dramatique des émissions de gaz à effet de serre, déclin de la biodiversité, pollutions de l’eau et des terres)». Or, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), la production agricole devra encore augmenter de 50% d’ici à 2050 pour nourrir une population mondiale de plus de 9 milliards d’humains.
Comment produire autant mais autrement? En se basant sur les données de la FAO, les chercheurs, financés par l’institution onusienne, ont modélisé les surfaces agricoles qui seraient nécessaires pour obtenir le même nombre de calories (2.700 par jour et par personne) en 2050, avec différentes proportions d’agriculture biologique (0%, 20%, 40%, 60%, 80% ou 100%), et en tenant compte de plusieurs niveaux d’impact du changement climatique sur les rendements (nul, moyen, élevé).
Première conclusion : convertir la totalité de l’agriculture au biologique nécessiterait la mise en culture de 16% à 33% de terres en plus dans le monde en 2050 par rapport à la moyenne de 2005-2009 – contre 6% de plus dans le scénario de référence de la FAO, essentiellement basé sur l’agriculture conventionnelle. Car les rendements du bio sont plus faibles. En découlerait une déforestation accrue (+8% à 15%), néfaste pour le climat. Mais dans le même temps, l’option avec 100% de bio entraînerait une réduction des impacts environnementaux: moins de pollution due aux pesticides et aux engrais de synthèse et une demande en énergies fossiles plus faible. L’un dans l’autre, les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture bio seraient de 3 à 7% inférieures à celles du scénario de référence, «un gain faible», notent les auteurs.
Pour contrebalancer les effets négatifs du tout bio, les chercheurs proposent d’introduire deux changements dans le système alimentaire: réduire le gaspillage – aujourd’hui responsable de la perte de 30% des aliments de la fourche à la fourchette – et limiter la concurrence entre la production de nourriture pour les humains et celle pour le bétail. Un tiers des terres cultivables de la planète sont utilisées pour nourrir les animaux d’élevage de soja, maïs, blé, etc., alors que ces céréales pourraient aller à l’alimentation humaine.
Un tel changement reviendrait à réduire la quantité de bétail et donc la consommation de produits d’origine animale (viande, poisson, œufs, laitages) qui pourrait être divisée par trois «Nous consommons deux tiers de protéines animales pour un tiers de protéines végétales. Il faudrait faire l’inverse et diviser par deux notre consommation de produits animaux», détaille Philippe Pointereau, l’un des coauteurs, qui dirige le pôle agroécologie de Solagro. Un changement est d’ailleurs déjà engagé chez les consommateurs de bio.
«Une agriculture 100 % bio est également possible, mais on ne l’a pas présentée pour ne pas rebuter les gens», glisse Philippe Pointereau. Un optimisme que partage Harold Levrel: «La baisse des rendements entraînée par le bio, de 25% en moyenne, n’est pas rédhibitoire. On peut récupérer des terres, notamment dans les 100.000 hectares transformés chaque année en friches.»
Ces modèles présentent toutefois une limite. A l’inverse du système actuel, dans lequel les excès de nitrates dus aux engrais polluent l’environnement, le scénario de 100% bio engendre un déficit en azote, pourtant indispensable à la fertilisation des cultures. Des solutions existent, comme semer des légumineuses qui fixent l’azote de l’air ou maintenir des sols couverts, mais elles sont encore insuffisantes.
Reste une interrogation, qui n’est pas abordée par l’étude: la faisabilité économique d’une telle révolution. Dans un monde 100 % bio, les agriculteurs seraient-ils rétribués comme aujourd’hui – la concurrence entraînant une baisse des prix? Les consommateurs pourraient-ils payer cette alimentation qui est actuellement plus chère? «L’agriculture reçoit beaucoup de subventions publiques. Il paraîtrait logique que cet argent aille vers une production et une alimentation durables afin de minimiser les coûts externes comme la pollution de l’eau ou les impacts sur la santé publique », juge Philippe Pointereau. « Pour les consommateurs, l’alimentation peut coûter un peu plus cher même en réduisant la part de viande et de produits laitiers. Mais, compte tenu des bénéfices, peut-être seront-ils prêts à investir un peu plus.»