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Les héros de l'environnement

Banc Public n° 273 , Janvier 2019 , Catherine VAN NYPELSEER



Ce mois-ci, Banc Public présente à ses lecteurs un percutant petit livre écrit par une femme, la journaliste indépendante Élisabeth Schneiter (qui a écrit notamment pour les quotidiens français Le Monde, Le Figaro, Les Échos). La magnifique photo de couverture de cet ouvrage représente quelques hommes qui forment une chaîne en se donnant la main avec une détermination tranquille devant de beaux arbres tropicaux aux troncs géométriques...


 

Hélas, le contenu du livre est moins paisible, mais le récit qu'il contient a le mérite immense de transmettre la volonté de participer à la lutte pour la sauvegarde de la vie sur notre planète. Il comporte des événements tragiques, scandaleux, mais aussi des exemples de combats victorieux remportés à l'aide de moyens dérisoires au regard des forces en présence.

 

Saccage pour le pétrole

 

Au Nigéria, les Ogoni vivent dans l'État de Rivers au sud-est du pays, particulièrement riche en pétrole et en gaz. Selon Élisabeth Schneiter, cette partie du Nigéria est également détentrice "de plusieurs trésors environnementaux, dont la troisième plus grande forêt de mangroves du monde et l'une des plus grandes forêts tropicales qui subsistent au Nigéria". Hélas, "cette zone humide, cruciale pour les millions de personnes qui y vivent, est exploitée depuis la fin des années 1950, sans aucun respect pour l'environnement ni pour les habitants." (p.49)

 

Les trois quarts des 27 millions d'habitants du delta du Niger, agriculteurs et pêcheurs, dépendent de cet environnement pour leur subsistance. Or, à la suite de l'activité des compagnies pétrolières internationales, comme l'entreprise anglo-néerlandaise Shell, ils pataugent "dans une boue noire et pestilentielle".

 

Le héros présenté dans ce cadre par Élisabeth Schneiter était un Ogoni appelé Ken Saro-Wiwa, écrivain et romancier à succès qui avait été l'auteur d'une série télévisée satirique de grande audience en Afrique dans les années 1980 et menait en outre une action politique puisqu'il avait rédigé une déclaration des droits du peuple Ogoni en 1991. "Indigné par ce qu'il voyait, [il] avait aussi écrit plusieurs pamphlets consacrés aux terribles conditions de vie de sa communauté. Il réclamait pour son peuple des compensations pour les dévastations subies, davantage d'autonomie, une exploitation plus respectueuse de l'environnement et une partie des revenus des ressources pétrolières et gazières extraites de leurs terres." (p.50)

 

Ken Saro-Wiwa a pris la tête d'une "puissante campagne contre le gouvernement fédéral et contre les compagnies pétrolières multinationales" au début des années 1990. Il a fondé le mouvement pour la survie du peuple Ogoni (Mosop), engagé dans des actions non violentes pour la défense de ses droits. Voici comment il décrivait la situation en 1992 :

 

"L'exploitation pétrolière a transformé le pays Ogoni en un immense terrain vague. Les terres, les rivières et les ruisseaux sont en permanence entièrement pollués; l'atmosphère est empoisonnée, chargée de vapeurs d'hydrocarbures, de méthane, d'oxydes de carbone et de suies rejetés par des torchères qui, depuis trente-trois ans, brûlent des gaz vingt-quatre heures sur vingt-quatre tout près des zones d'habitation. Notre territoire est dévasté par des pluies acides, des fuites et des jaillissements incontrôlés d'hydrocarbures. Le réseau d'oléoducs à haute pression qui quadrille les terres cultivées et les villages Ogoni constitue aussi une dangereuse menace." (pp. 50-51)

Peu après que le Mosop eut envoyé un ultimatum exigeant "l'arrêt immédiat des dégradations environnementales" ainsi que 10 milliards de dollars de réparations aux compagnies pétrolières opérant sur l'Ogoland (Shell, Chevron, la National Nigerian Petroleum Company), il fut arrêté une première fois, maltraité et détenu plusieurs mois sans aucun procès. Une manifestation géante réunissant plus de 300.000 personnes fut organisée par le Mosop à sa sortie de prison, ce qui, selon Élisabeth Schneiter, attira l'attention de grandes ONG de l'environnement et des droits de l'homme comme Greenpeace et Amnesty international.

 

Une première victoire fut alors remportée en 1993: la compagnie Shell, sensible à la dégradation de son image, cessa l'exploitation du pétrole sur le territoire Ogoni ! Hélas, Ken Saro-Wiwa fut à nouveau arrêté en 1994 et "condamné sous des prétextes mensongers par un tribunal spécial", sans que les journalistes n'aient le droit d'assister au procès (p. 51).

Il fut pendu en novembre 1995, avec huit autres militants du Mosop.

 

Héroïne sud-américaine

 

Un des 207 héros évoqués dans le livre d'Élisabeth Schneiter est une héroïne, dont l'histoire est présentée dans le premier chapitre, intitulé "Berta est vivante", de son livre.

 

En Amérique centrale cette fois, au Honduras, la communauté Lenca, un des peuples autochtones de ce pays, s'oppose à un projet de grand barrage hydroélectrique à construire sur la rivière Gualcarque, qui est une rivière sacrée pour les Lenca à qui elle fournit eau potable, poissons et irrigation des cultures.

 

Berta Isabel Caceres Flores a été choisie en 2010 comme porte-parole du peuple des Indiens Lenca. Le 2 mars 2016, la veille de ses 45 ans, elle travaille avec le dirigeant de l'association mexicaine de défense de l'environnement "Otros Mundos" au Chiapas, liée aux "Amis de la Terre". C'est une militante de longue date: dans les années 1980, elle se battait contre les bases militaires américaines au Honduras, et en 1993 elle a cofondé le "Conseil national des organisations populaires et indigènes du Honduras" avec Salvador Zuniga, le père de ses quatre enfants. Elle a défendu le féminisme, les droits indigènes, les LGBT (minorités sexuelles) et l'environnement.

 

Cette nuit-là, elle est assassinée de trois coups de feu dans son lit par un inconnu, alors qu'elle avait dénoncé les menaces dont elle faisait l'objet de la part de voyous locaux à la solde la la Desa, la compagnie hondurienne chargée du projet de barrage. La police prétendra qu'il s'agissait d'un cambriolage qui avait mal tourné, avant de harceler son collègue d'Otros Mundos, seul témoin de la fusillade, qui fut heureusement défendu par Amnesty international.

 

Prix Nobel d'Écologie ?

 

Le court livre d'Élisabeth Schneiter suscite de nombreuses réflexions.

 

Premièrement, ces militants qui tentent de protéger la nature se battent localement pour l'humanité entière, car, après la destruction des écosystèmes qui lui sont indispensables, c'est l'être humain qui disparaîtra d'une planète Terre devenue invivable.

 

Ensuite, dans le cas de l'exploitation du pétrole, de la destruction des forêts pour en extraire les bois précieux ou pour y cultiver de la nourriture pour notre bétail, nous, consommateurs occidentaux, sommes en fait les donneurs d'ordre de ces destructions et des crimes commis contre ceux qui s'y opposent.

 

Enfin, ce massacre est facilité par la distance à laquelle il se produit par rapport aux opinions publiques occidentales. Si, chez nous, une ville ou un comité de quartier peut se mobiliser contre le projet d'abattage d'arbres d'une avenue sans miser sa vie dans ce combat, la lecture du livre d'Élisabeth Schneiter nous expose combien les petites victoires que nous obtenons parfois chez nous – comme par exemple les arbres de l'avenue du Port à Bruxelles qui ont finalement été épargnés – sont dérisoires par rapport à l'ampleur des destructions en cours dans la planète. Le dérèglement climatique est encore plus difficile à visualiser avant qu'il ne soit devenu irréversible...

 

Alors nous pourrions peut-être actualiser nos centres d'intérêt, l'ensemble des matières scientifiques et politiques dont nous estimons qu'elles méritent le prix Nobel.

A côté des prix Nobel de la Paix ou de l'Économie, ne serait-il pas judicieux de créer un prix Nobel d'Écologie? Le prix Nobel d'Économie a bien été ajouté à la liste initiale de 1901 (paix, littérature, médecine, physique, chimie) en 1969 !

 

En effet, si on ne se mobilise pas pour cette science - et cette action - qui n'existait pas à l'époque d'Alfred Nobel, au XIXe siècle, mais qui est depuis devenue vitale pour l'humanité, l'Écologie - , les autres prix Nobel perdront vraiment de leur intérêt, car ils n'auront pas aidé à préserver le socle vital des écosystèmes nécessaires à la survie de l'humanité et de toutes les espèces qui peuplent cette planète...

 

 


Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

Les héros de l'environnement

Élisabeth Schneiter

Seuil - collection Reporterre

Septembre 2018

150 pages – 12€

 
     

     
   
   


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