Wallons nous?

Banc Public n° 42 , Septembre 1995 , Catherine Van Nypelseer



La question du nationalisme - au sens large, c'est-à-dire y compris ses composantes linguistiques, religieuses, ethniques, etc. - est sans cesse posée dans l'actualité politique belge et internationale. Pensons au dernier “pèlerinage de l'Yser” (et de là à l'existence de la Belgique au siècle prochain), au rôle de l'institution intitulée “Communauté française”, mais aussi à la guerre en ex-Yougoslavie, à l'avenir du peuple rwandais, au mouvement zapatiste au Mexique, ou même aux joies du nationalisme français vécu depuis la Polynésie, par exemple.

Si cette question est si souvent posée, alors, par la force des choses, elle est intéressante; l'ouvrage de José Fontaine, “Le Citoyen déclassé - monarchie belge et sociét”1 apporte de nombreux éléments de réflexion que Banc Public souhaite faire partager à ses lecteurs. Bien qu'il ait été publié au cours du premier trimestre de l'année 1995,on en a peu parlé à notre connaissance, ce qui s'explique sans doute par le fait que le thème mis en exergue - le caractère nuisible pour la démocratie de la monarchie belge - est choquant pour certains, mais aussi par la relative complexité de son écriture, qui n'en facilite pas une prise de connaissance rapide.
Voici certaines idées prises dans cet ouvrage, qui nous paraissent susceptibles d'apporter un éclairage intéressant à de nombreuses questions qui ont fait l'actualité récemment, ou qui génèrent les conceptions qui aboutiront à des décisions concrètes dans l'avenir (institutionnel, économique) de notre pays et des différentes entités qui le composent. Notre présentation est forcément simplifiée et subjective.
Une définition de la culture
“La culture est aux sociétés ce que la mémoire, la parole, l'imagination, la raison sont aux individus.” En d'autres termes, c'est “la manière par laquelle une société se comprend elle-même” (pp. 52 et suiv.)
Cette définition nous éloigne de l'image de la “Culture” avec un grand “c” figée dans les musées ou accessible à des élites - cultivées bien entendu - seulement.
Mais elle s'oppose aussi vivement à une définition fort répandue en Belgique francophone ( à laquelle on doit sûrement l'appellation ambigüe “Communauté française de Belgique” ) - dont on apprend qu'elle porte un nom : le lundisme, et qu'elle a été formalisée explicitement en 1937 dans un texte intitulé “Manifeste du groupe du lundi” :
en résumé, la culture des francophones de Belgique serait la culture française, par opposition avec une culture belge de langue française qui est niée.
Mais, “A partir du moment où la Belgique (francophone évidemment) définissait sa culture comme “française”, elle se considérait, peut-être sans le savoir, comme une sorte de corps politique sans tête (...). Une Belgique ayant la culture (...) d'une autre société, c'était une Belgique sans intelligence d'elle même.” (p. 65).
Voilà qui pourrait expliquer en partie le manque d'investissement dans la citoyenneté que l'on rencontre dans de nombreux milieux dans toutes les régions belges, le mépris pour la politique belge présentée systématiquement comme inintéressante et préoccupée d'enjeux médiocres. Il est clair qu'en comparaison avec une culture française idéalisée, vécue comme coupée de la société française (erreur que ne commettent pas les auteurs français eux-mêmes) et préoccupée exclusivement d'enjeux élevés (et donc pas des vulgaires intérêts des personnes et groupes sociaux), la culture belge paraît très terre à terre. Cette conception “lundiste” n'aurait-elle pas favorisé le développement du surréalisme belge?
La monarchie est importante
Conséquence de cette conception: la Belgique francophone serait incapable de se donner un sens dans le domaine symbolique sans recours à la monarchie.
L'institution monarchique est, par essence, incompatible avec les notions de démocratie et d'égalité des citoyens, puisque le choix de la personne qui doit occuper la fonction de chef de l'État est déterminé par le critère génétique exclusivement, contrairement au régime présidentiel où n'importe quel citoyen peut (théoriquement) être élu chef de l'État.
Toutefois, il est bien évident que la Belgique est une démocratie et que certains régimes présidentiels n'en sont pas. Un chef d'État “génétique” comme le Roi d'Espagne a même déjoué les plans post -mortem du dictateur local en se révélant démocrate!
Pour José Fontaine, la monarchie en Belgique est importante pour deux raisons:
- d'une part, son importance symbolique comme incarnation de la nation, avec tout le prestige et les honneurs (pouvoirs symbolique et politique ne sont-ils pas interdépendants?),
- d'autre part, son énorme influence:
Comment imaginer “qu'un homme normalement constitué, disposant, tel le Roi des Belges, des conseils et des services d'un cabinet étoffé, associé (certes, discrètement) à tous les actes du gouvernement, à même de rencontrer, quand il le veut, tous ceux qui sont aux sommets du pouvoir non seulement politique, mais aussi économique, administratif, judiciaire (...) puisse rester sans influence” ?(p 12)
Sa principale critique contre la monarchie belge est la suivante:
dans une monarchie, il est nécessaire qu'une part du processus de la décision politique reste cachée, alors que la démocratie est un système où l'argumentation conduisant à une décision est publique.
Ce “manque total de transparence de la plus haute fonction politique et symbolique en Belgique” condamne toute une société “à un silence qui l'étouffe et la déclasse”. (p 15)
La Wallonie
Les différentes théories contradictoires de la culture en Belgique nient la Wallonie.
Dans la plus ancienne, “la Belgique se définira culturellement de manière diffuse (...) comme un pays flamand de langue française.”
La plus récente de ces théories de la culture est la belgitude. Représentée notamment par Pierre Mertens, elle est basée sur la notion de métissage, et se revendique d'une identité en demi-teinte, et présente la Belgique comme “un doux paradis de l'entre-deux et de la médiocrit”.
Pour José Fontaine, cette théorie, qui est peut-être la culture propre à l'”ici” bruxellois, oublie encore la Wallonie, dont l'identité provient notamment de ses luttes ouvrières historiques.
La belgitude convient à la monarchie:
“Minimiser la Belgique, (...) faire de cette appartenance minimisée, de cette identité faible, la caractéristique belge par excellence, permet à la monarchie (...) d'apparaître à nouveau comme la seule référence forte (...). (p 70)
Monarchisme catholique et conclusion
“Pourquoi les catholiques soutiennent-ils tant la monarchie? Parce qu'ils ne sont pas catholiques.” Mais “c'est sans doute des rangs des catholiques authentiques que s'élèvera, un jour, la plus solennelle protestation contre le caractère superstitieux du culte de la monarchie” (p. 150)
La conclusion de José Fontaine est la suivante:
“Pour nous, Wallons, qui voulons participer à la grande aventure démocratique et républicaine de la construction de l'Europe (...) un préalable s'impose : la destruction de l'État monarchique belge.”
“Il n'y a pas de démocratie qui puisse se reposer sur un roi sans se renier. La Wallonie doit rompre avec cette félonie” (pp. 175 - 176)
Discussion et commentaires
Une autre solution est cependant suggérée: une monarchie “vouée à inaugurer les chrysanthèmes” comme la Reine du Danemark, dont “même les documents officiels disent qu'elle ne joue aucun rôle politique”. Gageons qu'avec le sens du compromis qui nous caractérise souvent, c'est vers cette solution que nous finirons par nous diriger. L'exécution publique aurait certes plus de “grandeur”, mais elle n'est plus dans l'air du temps. Ne nous méprenons pas: le fait de contraindre une famille à vivre constamment dans le champ de l'intérêt médiatique passionné n'est pas nécessairement moins cruel. Quel effet cela fait-il d'être statufié de son vivant? Les tribulations de la famille royale britannique répercutées par les médias anglo-saxons peuvent nous faire percevoir quelle agressivité envieuse sous-tend l'attraction profonde qu'exercent les têtes couronnées sur leur peuple. Heureusement, une autre culture médiatique en Belgique nous épargne les révélations fracassantes sur la vie privée des personnalités publiques. Tant que celles-ci ne se posent pas en parangons de vertu, détenant l'unique vérité et manoeuvrant pour l'imposer aux autres (ou tant que leur vie privée n'interfère pas avec les décisions qu'elles sont amenées à prendre), nous ne voyons pas l'intérêt de les livrer en pâture à notre voyeurisme inconscient.
Émotion populaire
Ceci nous amène à une autre remarque: ne pourrait-on expliquer le regain d'intérêt pour les têtes couronnées par la “crise de valeurs” liée à la remise en cause (publique) de l'indissolubilité du mariage? Le progrès de valeurs “individualistes” comme l'épanouissement personnel aux plans affectif et sexuel - recherché désormais dans la transparence et non plus honteusement et en secret (éventuellement de polichinelle) confronte plus fréquemment les citoyens que nous sommes - et les enfants que nous avons été - à la rupture du couple parental. C'est ce couple idéalisé que nous présentent les chromos des cérémonies de contes de fées dans des chateaux (ou de majestueuses églises), devant lesquelles le “peuple” transporté d'émotion bon-enfant clame sa joie et son amour inconditionnel!
Le nationalisme
Autre thème de réflexions (annoncé au début de cet article): celui du nationalisme. Il s'agit le plus souvent d'un terme négatif, et notre siècle nous a montré à quelle folie collective il pouvait mener. Mais le même concept est vécu aussi avec des accents positifs, quand il s'agit d'un sentiment d'appartenance à une “nation” favorisant un investissement des structures collectives, l'émergence de valeurs comme l'intérêt général, l'élaboration d'un projet de société commun soumis à un débat public.
Où se situe la limite entre les deux visages de la “nation”? Sans doute quand elle cesse d'être une valeur relative pour devenir absolue. Vous êtes fier d'être Wallon, Flamand, Papou2? Tant mieux. Mais comment définit-on un Wallon? Y a-t-il de bons et de mauvais Flamands? (les Flamands “fédéraux” sont très suspects pour l'instant, dans les milieux nationalistes). A quel “peuple” appartiennent les francophones de Flandre? Les Bruxellois sont-ils vraiment ces affreux zinnekes 3 qui tendent d'entraîner les “deux nations qui composent la Belgique” dans leur médiocrité envieuse?
Les Bruxellois
A propos des Bruxellois, un passage du débat Collignon-Picqué publié dans Le Vif/l'Express daté du 14 septembre dernier nous a fait sursauter. Dans le but - louable - de renforcer les liens entre Bruxelles et la Wallonie, Picqué4 rappelle que Bruxelles est actuellement “composée de 85% de francophones”, puis il affirme que “les Bruxellois sont soit francophones, soit Flamands. Ils peuvent constituer une communauté originale de francophones et de Flamands qui sont mobilisés par les mêmes intérêts, comme la gestion de la ville, mais, même s'il y a une communauté d'intérêts, il n'existe pas une communauté culturelle bruxelloise.”
Ca, alors! Le mécano institutionnel aurait-il fait perdre la boule à celui qui incarne et symbolise la région de Bruxelles-capitale? Ce n'est pas parce que les ratés de la fédéralisation ont abouti à la création d'entités aussi peu porteuses de sens pour les Bruxellois que celles qu'ils qualifient ironiquement - quand ils en ont entendu parler - de COCOF5, de COCON6 ou de COCOC7, que celles-ci auraient gommé le fait qu'il existe encore une culture8 bruxelloise qui intègre notamment des apports Wallons et Flamands, ni celui qu'il existe encore de nombreux bilingues à Bruxelles, dont certains ne savent même pas s'ils sont flamands ou francophones. En témoignent par exemple les journaux toutes-boîtes de la capitale fédérale, qui comportent parfois des articles dans les deux langues, et où les termes flamands apparaissant dans les articles en français ne sont pas traduits.
A Bruxelles, il semble que l'on tente plus d'adapter la réalité aux structures institutionnelles que l'inverse. Pourtant, ce contact avec la langue flamande qu'ont vécu de nombreux Bruxellois, à l'inverse de certains Wallons qui n'en ont aucune représentation affective, joue un rôle important dans la perception de l'autre communauté. Malheureusement, l'implantation de la culture populaire bruxelloise a diminué suite, notamment, à la hausse des loyers dans la capitale de l'Europe, qui a provoqué le départ de nombreux habitants. Une épuration linguistique douce, en quelque sorte


Catherine Van Nypelseer

     
 

Biblio, sources...

Belgitude, culture Wallonne, à propos du livre de José FONTAINE,

 
     

     
 
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