LA RÉFORME DE L’ARRONDISSEMENT JUDICIAIRE DE BRUXELLES

Banc Public n° 220 , Juin 2013 , Jean-François Goosse



Pour le cinquième de ses déjeuners-débats, organisés avec l’appui de la Ligue wallonne de la Région de Bruxelles (LWRB), Bruxelles Métropole Francophone (BMF) avait invité, le 10 janvier 2013, Frédéric Gosselin, avocat au Barreau de Bruxelles, assistant en droit public à l’ULB et consultant auprès des partis francophones lors des négociations sur la sixième réforme de l’État, pour expliquer clairement un sujet complexe : la scission de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde (*). Bien qu’il ait précisé qu’il s’exprimait en technicien, non en politique, l’orateur a brillamment relevé le défi dans le temps bref qui lui était imparti.La loi du 19 juillet 2012 portant réforme de l’arrondissement judiciaire, qui modifie le code judiciaire et la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire, met en ½uvre, à la virgule près, l’accord institutionnel du 11 octobre 2011. L’arrondissement judiciaire de BHV, qui, contrairement à l’arrondissement électoral, n’a jamais été contesté par le Cour constitutionnelle, comprend comme lui 54 communes : 19 communes bilingues, 7 communes à facilités (les six périphériques plus Biévène) et 28 communes unilingues flamandes. Frédéric Gosselin estime que la loi est un compromis plutôt favorable aux Francophones, grâce à la pression vigilante de la magistrature et du barreau.

 

Il s’agit, en vertu de l’article 157bis de la Constitution, d’une loi spéciale, qui a donc été adoptée et ne peut être modifiée qu’à la majorité absolue dans chaque groupe linguistique et à la majorité des deux tiers de l’ensemble dans les deux Chambres. Critiquée en projet par le Conseil supérieur de la Justice, elle est attaquée devant la cour constitutionnelle par l’Ordre des barreaux flamands et le jeune barreau flamand de Bruxelles, ainsi que, nous l’avons appris depuis, par la N-VA.

 

Contenu de la réforme

 

La réforme comprend trois axes.

 

1. Le dédoublement des juridictions (celui du barreau a été réalisé dès 1984) en tribunaux unilingues compétents pour tout le territoire de BHV. Le dédoublement du siège correspond au souhait des Francophones : ce n’est pas la scission que prévoyaient les propositions flamandes, c’est-à-dire des tribunaux francophones compétents dans les seules 19 communes et des tribunaux flamands compétents pour Hal-Vilvorde et les affaires flamandes à Bruxelles !

Le découpage des justices de paix et des tribunaux de police (dont la compétence s’étend au territoire de plusieurs justices de paix) n’est pas modifié, car il tenait déjà compte des régions linguistiques ; seul le tribunal de police de Bruxelles (19 communes) est dédoublé.

 

2. La scission du parquet et de l’auditorat du travail en un parquet de Bruxelles (19 communes) et un parquet de Hal-Vilvorde (35 communes), conformément à la revendication des Flamands, qui considèrent que la nature de la délinquance exige des politiques criminelles différentes…

 

3. La révision de loi sur l’emploi des langues en matière judiciaire, qui étend les droits linguistiques des justiciables dans BHV, mais aussi dans l’ensemble du pays.

 

Les défendeurs domiciliés dans les 19 communes bruxelloises et dans les six communes à facilités (les habitants de Biévène bénéficient de « facilités » en matière administrative, mais non judiciaire) peuvent obtenir le changement de langue, sauf s’il est contraire à la langue de la majorité des pièces pertinentes du dossier ou à la langue de la relation de travail.

Un nouveau recours, autre que le recours en cassation, inusité en l’espèce vu son cout et sa lourdeur, est prévu en cas de contestation devant les tribunaux d’arrondissement F et N réunis, mais il s’apparente quelque peu à une loterie (comme le recours devant l’assemblée générale du Conseil d’État pour les communes à facilités de la périphérie !), puisque, dans cette juridiction paritaire, la voix du président, alternativement F ou N selon l’ordre d’inscription des affaires au rôle, est prépondérante en cas de partage.

Dans l’ensemble du pays, les parties peuvent de commun accord comparaitre devant le tribunal de la langue de leur choix, ainsi que demander le changement de langue ou le renvoi à un tribunal de l’autre langue.

 

Embuches et inconvénients

 

L’intéressant débat qui a suivi l’exposé a permis de pointer divers problèmes.

 

Le cout de la réforme comprend une première dépense d’infrastructure de 4 millions : il faut aménager la caserne de l’ancienne gendarmerie d’Asse pour y installer le parquet de Hal-Vilvorde. Ceci multipliera les déplacements de magistrats du parquet, d’avocats, de prévenus…

 

La réforme n’entrera en vigueur que lorsque les nouveaux cadres linguistiques transitoires seront pourvus à 90 % : or, on ne se bouscule pas pour postuler à Asse, qu’il s’agisse des magistrats flamands ou des substituts francophones bilingues détachés à raison de 20 % ; après l’appel aux volontaires, il faudra sans doute procéder à des désignations d’office…

 

Par ailleurs, aucun emploi existant ne sera supprimé : les places en surnombre disparaitront progressivement, par non-remplacement des départs.

 

La fixation des cadres linguistiques définitifs est tributaire de la mesure de la charge de travail, problématique qui n’est pas propre à BHV, mais est une pierre d’achoppement pour l’amélioration du fonctionnement du système judiciaire dans son ensemble.

 

Quoi qu’il en soit, les clés de répartition provisoires sont déjà contestées : 80F/20N en ce qui concerne les magistrats du siège, sauf au tribunal de commerce (60F/40N), dont un tiers de bilingues (connaissance fonctionnelle), parmi lesquels les chefs de corps (connaissance approfondie) ; 80F/20N au parquet de Bruxelles, dont un tiers de bilingues (connaissance fonctionnelle), un procureur F et un procureur adjoint N (connaissance approfondie) ; 80N/20F au parquet de HV, étant entendu qu’un tiers du cadre N, dont le procureur (connaissance approfondie), et tous les F sont bilingues. Ces substituts francophones sont détachés du parquet de Bruxelles, donc placés sous l’autorité hiérarchique du procureur de B et sous l’autorité fonctionnelle du procureur de HV. Le volume total de l’emploi au parquet est réparti entre Bruxelles et Hal-Vilvorde à raison de 80/20. Enfin, il ne faut pas oublier que ces règles doivent être appliquées non seulement aux magistrats, mais adaptées à l’ensemble du personnel des greffes et du parquet.

 

La réforme devrait en principe contribuer à réduire l’arriéré judiciaire du côté francophone, mais une évolution en sens inverse est redoutée, à tort ou à raison, du côté flamand.

 

Conclusion

 

La mise en ½uvre de la réforme avant les élections législatives de mai 2014 est loin d’être entièrement acquise, compte tenu des difficultés à surmonter (notamment réaliser 90 % des désignations en temps utile) et de l’incertitude que font peser les recours en annulation de la loi devant la Cour constitutionnelle.

 

Or, rien ne dit que la majorité qui soutient la sixième réforme de l’État résistera au scrutin : le dernier sondage de La Libre Belgique/ RTBF, en février, qui confirme une tendance constante depuis mars 2011, indique que la N-VA recueille 39 % des intentions de vote en Flandre, soit autant que les trois partis traditionnels réunis, et l’ensemble des partis nationalistes (N-VA, Vlaams Belang et Lijst Dedecker), 48,4 %...

 


Jean-François Goosse

     
 

Biblio, sources...

(*) Ceux qui souhaiteraient approfondir leurs connaissances peuvent se référer aux actes de la journée d’études organisée par la Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles le 15 novembre 2012 : La réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, Larcier, 110 pp., qui contient des contributions de Frédéric Gosselin, Benoît Dejemeppe, conseiller à la Cour de cassation (et ancien procureur du roi de Bruxelles), Henri Funck, auditeur du travail à Bruxelles et Jean-Marc Meilleur, substitut (et futur procureur du roi de Bruxelles).

 
     

     
 
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