« Bruxelles… renouvelle »

Banc Public n° 220 , Juin 2013 , Kerim Maamer



Le correspondant du journal Libération, Jean Quatremer, a publié une pleine page sur Bruxelles. L’article peu flatteur sur la « capitale européenne » l’assimile à une « capitale pour rire », en justifiant d’une expression de Baudelaire. La ville serait « déprimante, laide, sale, chaotique, aurait peu changé et faisant du sur-place...». Il s’en suivit une polémique aux allures quasi-patriotiques et dénonciatrices du journaliste. La Dernière Heure osa répondre au correspondant « Casse-toi, p’tit con ! », sur le ton de l’ex-premier des Français ! L’article a eu le mérite d’être publié, lu et commenté, suscitant un grand débat sur Bruxelles auprès des médias, des responsables publics  et des Bruxellois dont nous découvrons combien ils tiennent à leur ville.

« Bruxelles, ma belle … Bruxelles, pas belle » ! « Dick Annegarn, Jean Quatremer » ! « Aimer, ne pas aimer »  … l’opinion est dérisoire tant l’appréciation sentimentale est subjective. On peut aimer les bidonvilles de Calcutta et détester le Manhattan de New York, respirer l’air de Tunis ou étouffer à Vancouver. Chaque ville a un cachet, que l’on peut  ou  pas rencontrer. Bruxelles a un cachet unique, incomparable, que l’on peut découvrir ou ne pas découvrir, aimer ou ne pas aimer! Le journaliste semble connaitre la ville et disposer d’amples connaissances sur ses particularités. Il pouvait informer le lecteur, l’enchanter et faire la promotion de la cité. Il préféra porter la critique facile, soutenue d’appréciations personnelles,  et d’erreurs grossières qui déclassent son papier. C’est comme si son intention était volontairement abusive pour décourager le flux de migrants français de toutes les catégories sociales qui arrivent dans notre ville !

 

 

Les prétentions, que Bruxelles aurait peu changé,  que son c½ur historique serait limité, que son modèle urbain serait non unifié, qu’une autoroute traverse la ville, tout en stigmatisant les travaux interminables,  la nouveauté de la ville, la diversité de ses influences et l’obligation de fluidité… s’avèrent contradictoires et peu sérieuses. Le patrimoine de Bruxelles est exceptionnel et diversifié. Il offre en plus le privilège d’un large choix. L’observation d’une ville inchangée serait justifiée pour les lieux de résidence où il n’y a pas de cohérence à modifier les habitations confortables. Il convient d’observer l’ensemble de la dynamique de la cité.  Tout bouge à Bruxelles. Rarement, ville européenne aura subi autant de transformations et de bouleversements. Des ouvrages entiers se consacreraient à expliquer les profondes modifications sur le poids politique de Bruxelles, la puissance de son pouvoir institutionnel, la force de son attraction, la modification de son schéma économique, la structure de sa population, le poids de sa démographie...  Elle vit des mutations déchirantes pour certaines générations et se réadapte rapidement, sereinement et positivement.

 

 

La ville est méconnaissable pour ceux qui la connaissent depuis longtemps. On la voit se transformer dans des courts délais de dix ans. Dans les années soixante, des quartiers entiers furent démolis pour dégager des espaces de rentabilité pour des constructions modernes et fonctionnelles pour les intérêts économiques, administratifs, financiers. Il fallait répondre aux défis futurs, et à la fonctionnalité de capitale de l’Etat belge. A ce moment, il n’était pas encore question d’Europe, ni même de volonté pour en faire une métropole internationale. Rien n’indiquait semblable destinée.

 

 

A ce moment, les maitres architectes et amateurs d’art se désolaient de voir détruire d’authentiques chefs-d’½uvre et de prestigieuses demeures. Il fallait les voir souffrir d’assister à cette réduction en ruine,  d’ouvrages de génie architectural, de savoir-faire artisanal et de styles épiques … à la faveur de projets d’immeubles. Plus l’intérêt fonctionnel dictait l’avènement du béton et la construction de tours, plus Bruxelles gagnait sa mauvaise réputation d’outrage au bâti, jusqu’à  donner son nom,  « bruxellisation»,  pour définir « l’art de faire ce qu’il ne faut pas faire » ! Aurions-nous ri de nous ? Les urbanistes du monde entier lui rendaient visite pour observer l’expérience de la « bruxellisation » et prendre leçon sur « ce qu’il ne faut pas faire ». Entre nous… la partie commençait à se gagner !  La ville servait de référence à un tourisme de formation urbaine, prologue à la formation tout court qui fera l’intérêt de la capitale belge. On vendait encore l’image nostalgique de ces quartiers détruits qui allaient de Trône à Madou, d’Arts-Loi au Berlaymont… Puis, on raflera la mise en gagnant le pouvoir d’accueillir toutes les représentations, institutions ou délégations d’entreprises, de services, de lobbies…  Bruxelles gagnait le poids d’influence mondiale, malgré son faible peuplement.

 

 

La Belgique a une forte densité de population, mais elle est un  pays de villes moyennes dont la plus grande ne dépasse pas 1 million d’habitants fin des années 70. Aujourd’hui, 1,2 million en 2013. A l’époque, le taux d’accroissement naturel était des plus faibles, avec un solde migratoire négatif. La cité semblait se vider de sa population. Tout était à vendre ou à louer. Les Flamands n’aimaient pas cet endroit enclavé dans leur territoire qui se francisait malgré tout et qui le clamait ! La capitale belge était en mutation, si ce n’est en crise. Les écoles, les entreprises, les industries fermaient leurs portes. Les Francophones eux-mêmes finissaient par migrer vers les zones de « banlieues » du Brabant wallon et flamand et dont les noms n’ont pas la même connotation qu’en France.

 

 

Bruxelles n’est qu’un lieu de travail et d’échange, de pauvreté et de métissage. Les nombreuses gens faisaient la navette quotidienne, de leur domicile provincial à leur lieu de labeur. Les « banlieues », la périphérie ou les provinces belges sont encore des lieux de confort et de qualité de vie, d’aisance et de richesse, de nature et de bien-être, privilégié par la bourgeoisie et la classe moyenne.

 

Jean Quatremer critique cette autoroute à quatre voies au c½ur de la ville (Arts-Loi) ! … Or, cette artère permet la fluidité du trafic pour transporter les nombreux cadres, en voiture, de leur domicile provincial à leur lieu de boulot. N’est-ce pas un luxe de pouvoir se transporter en automobile d’un garage de villa, à un garage de bureau? Critiquer le moyen de fluidifier le trafic est dérisoire. Seuls des ingénieurs justifieraient de son optimisation par de savants calculs. Il aurait été mieux reçu de critiquer la pollution atmosphérique, la consommation d’énergie ou le coût pour la nature, auxquels on rétorquerait la possibilité du choix, pour préférer le véhicule personnel, le transport commun en train ou en bus, le covoiturage ou même le vélo. Bruxelles offre le choix de plusieurs possibilités et c’est un indicateur de qualité. Si l’objection était l’éradication de la pollution, les fonctionnaires européens sont bien placés pour définir des quotas de pollution. L’affaire ne semble pas d’actualité !

 

 

Bruxelles n’avait pas l’’ambition de devenir une métropole, ni même une capitale européenne. Elle n’était même pas une grande ville, mais un ensemble de 19 communes, autonomes, avec leurs  pouvoirs de gestion et de règlementation propres, etc. Le statut institutionnel est donc original. Elle ne peut pas s’étendre dans l’espace. Ce fut une performance d’inclure cet ensemble dans l’unité d’une Région de Bruxelles-Capitale. Nous devons ce travail à Charles Picqué et aux socialistes qui sont facilement critiqués.

 

 

Au cours des années quatre-vingts, la donne se modifia. La ville attire l’investissement étranger, les entreprises, les représentations, les institutions, les groupes d’intérêts. L’accroissement démographique est nourri d’un solde migratoire positif. Le centre ville redevenait attractif. Le trafic devenait inconvénient. Le poids institutionnel de l’Europe en construction renforçait l’intérêt économique, doublé d’une inévitable spéculation immobilière. C’était le temps où les Bruxellois voyaient croître leurs loyers, en l’espace d’un bail de location, de 200 à 500 euros (8.000 à 20.000 FB) pour un appartement deux chambres … et ce n’était qu’un début. L’immobilier allait se multiplier par dix dans les vingt ans qui suivaient!  Le m2 à Bruxelles devenait un précieux investissement, aux dépens de la traditionnelle activité commerciale des Belges.

 

Bruxelles s’est imposée comme la capitale européenne aux dépens de Strasbourg. La ville ne devait même pas plaider sa cause. Les fonctionnaires européens défendaient sa position. Ceux-là n’appréciaient pas les voyages ponctuels jusqu’à Strasbourg, pour participer à de périodiques sessions parlementaires, transporter la documentation, se loger dans des hôtels au complet, tandis qu’un vaste hémicycle les narguait à 200m de leurs bureaux bruxellois! Le gaspillage d’argent, de temps, d’énergie convainquait les partisans de Strasbourg de cette préférence inévitable.

 

 

Elle s’est imposée là où aucune ville n’aurait pu le permettre. Son espace a été vidé, par une stratégie urbaine, probablement critique et douloureuse pour ses habitants, mais gagnante pour l’Etat au final. La ville a été capable d’offrir des facilités et une fonctionnalité exemplaire, pour les transports, la sécurité, le logement, les services… Il suffit de voyager en Europe pour se rendre compte d’une banalité de fonctionnalité qu’on ne trouve ni à Athènes, ni même à Paris.

 

 

Dans les années 90, les projets de tours ont trouvé un nouvel  intérêt. Les démolitions de l’ancien quartier rouge de la gare du Nord, actuel boulevard Albert II, ont mis du temps à le rendre fonctionnel. Il fallait bien laisser passer une génération. Il est difficile de se souvenir qu’une dense population vivait dans ces quartiers d’habitat moyen, totalement détruits à la faveur de tourelles sur gazon, à la manière d’un Le Corbusier. Il fallait attendre les années 2000 pour voir se valoriser le quartier de l’Yser jusqu’à la basilique.

 

L’Atelier de rénovation et d’action urbaines (ARAU) critiquait l’accroissement des bureaux aux dépens de l’habitat, faisant disparaître  toute vie sociale de quartier, au profit d’une exclusive fonction professionnelle. Cette vision a été considérée, dans l’aménagement de la gare de Luxembourg. Le monument du guichetier et la place ont été préservés. Des activités commerciales se sont développées pour de nouvelles populations bruxelloises.  Ce n’est pas le cas du Boulevard Albert II. A quelques pas de ses tours futuristes, il y a des immeubles sociaux et des quartiers exotiques, où se côtoient sans se rencontrer les travailleurs navetteurs et populations marginalisées. Les uns vivent en « province», accèdent à l’emploi et vivent des difficultés de stress. Les autres sont au c½ur de la ville, écartés de l’emploi, ils survivent. Les conséquences psychologique, sécuritaire et autres de cette ségrégation sont cependant peu étudiées et critiquées.

 

 

La ville des « Zinnekes » a pris une dimension belgo-internationale, stupéfiante par sa diversité.  Il ne s’agit plus d’un mélange de fortes minorités flamandes, marocaines ou italiennes, mais d’une multiplicité de nationalités d’Afrique, d’Amérique, d’Asie et d’Europe avec des lieux pittoresques. Il y a une étonnante variété de quartiers, qui permet de vivre ensemble, dans divers milieux de culture, de richesse, d’habitation, de nationalité...  Bruxelles offre le privilège du choix pour mêler l’exotisme à nos vies.

 

Un circuit humain virtuel à travers le pays des zinnekes nous amènerait de la place Flagey où se côtoie une intelligentsia francophone, vers le quartier africain de la Porte de Namur ; on rejoindrait sur la droite l’élite administrative du quartier Arts-Loi ; sur la gauche, la bourgeoisie d’affaires du chic quartier Louise. En poursuivant vers le Midi, les quartiers hispaniques et portugais de Saint-Gilles côtoient les Marolles qu’on ne présente plus, pour traverser les parfums du Maroc de l’avenue de Stalingrad, et rejoindre l’îlot flamand de la Bourse. On continue vers les grossistes du pont de l’Yser, pour retrouver les histoires étonnantes des réfugiés à Molenbeek. Puis, on revient vers le paysage manhattanéen au bord d’un canal qui a du mal à drainer des gens. Puis, nous reprenons par la gare du Nord pour côtoyer une diversité de cultures de l’Europe orientale que nous aurions tant de mal à placer sur une carte géographique.

 

Bonnes vacances.


Kerim Maamer

     
 

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