?> Démocratie ou particratie?
Démocratie ou particratie?

Banc Public n° 125 , Décembre 2003 , Catherine VAN NYPELSEER



C'est avec intérêt que nous avons appris la sortie du pamphlet "Démocratie ou particratie " cosigné par un sénateur libéral, un professeur de sociologie de l'ULB, et un avocat "spécialisé dans le droit public et administratif". Il est certainement utile de remettre sur le tapis un diagnostic sans complaisance de notre système politico-administratif, après que l'énergie réformatrice issue notamment de la marche blanche n'aie pas trouvé à s'exprimer dans des réalisations concrètes, faute de diffusion suffisante de l'analyse d'ensemble des causes des dysfonctionnements constatés douloureusement dans chaque dossier individuel: la particratie, le lotissement et le clientélisme de la société belge, un cancer qui ronge toutes nos institutions démocratiques.


A tout seigneur tout honneur, rappelons tout de même in limine que ce diagnostic est posé depuis plus de vingt ans par celui qui nous héberge; courageux mais pas téméraires, les coauteurs du livre se sont bien gardés de citer le Gerfa. Une note seulement fait référence à "diagnostic", mais pour réfuter la position exprimée par l'auteur de l'article cité ! Dans l'état actuel de la société médiatico-politique belge, c'eut été peut-être s'exposer à un silence poli ou gêné des "grands" médias hypercontrôlés par les apparatchiks; cela n'augure malheureusement pas grand-chose de sérieux des propositions de réformes que l'aile politique du trio veut déposer.

Réactions politiques

Le fait que le CdH, par la voix de sa présidente Jo‘lle Milquet, se soit clairement prononcé en faveur d'un pacte de dépolitisation dans le cadre du débat1 (ré)ouvert par ce livre, est plus encourageant. En effet, ce parti, l'ex-PSC - au contraire d'ECOLO avec lequel le Gerfa avait tenté une alliance objective avant de s'apercevoir avant tout le monde (en 1994) de l'incompétence organisée et de la l‰cheté politique de ce parti - ma”trise parfaitement les rouages politico-administratifs de la société belge: au pouvoir sans discontinuer avec son homologue flamand l'ex-CVP pendant plus des trois-quarts du siècle passé, on peut lui accorder le titre d'expert en politisation ou en partisanat, et donc le créditer d'une certaine compétence pour proposer une réforme.

Sans surprise, les deux autres grands partis francophones ont envoyé de petits soldats tenter de régler leur compte à nos trois éclaireurs: dans
Le Soir du samedi 15 novembre dernier, Karine Lalieux pour le parti socialiste (PS), et Jacques Simonet au nom du "mouvement réformateur"2 "étrillaient les trois auteurs", à qui ils reprochaient essentiellement de "cracher dans la soupe".

En effet, vu qu'il est impossible actuellement d'exercer une parcelle de pouvoir dans ce pays sans être soumis à la flétrissure de l'étiquetage partisan, tous les partis "démocratiques" regorgent de victimes consentantes du système, qui n'attendent qu'un claquement de doigts de leur chef pour monter aux barricades le défendre contre les critiques (dans leur optique, des concurrents venant brouter leur pré). Le cas du "pauvre" Jacques Simonet, qui est tombé dedans quand il était petit 3, illustre la difficulté de pouvoir penser un autre système que celui que l'on a toujours connu, et auquel on a dé consacrer la plupart de son temps à s'y placer, sans jamais parvenir à exercer le pouvoir convoité, tant le système étouffe ceux qui en font partie.

Les auteurs


Ce qui a permis à nos trois auteurs de s'exprimer, c'est:
- pour Destexhe, un solide diplôme universitaire donnant accès à une profession indépendante (médecine), une expérience professionnelle internationale (au service de Médecins Sans Frontières), ainsi qu'une entrée tardive en politique partisane, sans devoir gravir tous les échelons (et se faire éjecter avant de commencer), résultant d'une volonté d'ouverture du PRL en 1995 à la société civile et aux voix que recueillent ceux dont l'opinion publique salue la compétence et le dévouement.
- Pour Monsieur Eraly, on connait la quasi-inamovabilité des professeurs de l'ULB et il jouit donc de la stabilité de l'emploi malgré la politisation de cette institution;
- Ma”tre Gillet se veut un défenseur des droits de l'homme et donc sa clientèle ne se limite pas à la juteuse représentation des différents niveaux de pouvoir devant le Conseil d'Etat, pour défendre notamment leurs opérations de politisation - on vise ici l'affaire des Principes Généraux et des questions préjudicielles farfelues et dilatoires qu'il fit poser à la Cour d'Arbitrage par le Conseil d'Etat, avant sans doute la révélation de la politisation de cette dernière juridiction, qui l'incita à cosigner ce brélot.

L'ULB

Une certaine indépendance donc, mais avec un pied dans le système, condition d'en avoir une expérience personnelle - la plus douloureuse étant sérement celle d'Eraly en chef de cabinet du Ministre, ex-recteur et président du conseil d'administration de l'ULB, Hervé Hasquin 4. Il faut savoir que cette université dispose d'une faculté de droit dominée par le fétichisme du droit civil et son dernier mandarin, le tristement célèbre Pierre Van Ommeslaghe (dont plusieurs générations de juristes conservent le souvenir cuisant, qui entra”na la réorientation de nombreux étudiants en droit de l'ULB vers l'UCL). Quelques professeurs isolés ont une solide compétence en droit public et administratif, comme Michel Leroy, Marc Uyttendaele, et jadis le professeur Flamme pour les marchés publics, mais la plupart ignore tout de ces disciplines méprisées, alors que le titulaire du cours de droit administratif avait consacré la plupart de ses publications à démolir les concepts patiemment élaborés par la jurisprudence du Conseil d'Etat et la doctrine des grands auteurs francophones de cette discipline, issus de l'Université de Liège.
Il est donc difficile de trouver à la faculté de droit de l'ULB un membre du corps professoral familier avec les arcanes du statut, d'autant qu'il faut également une solide force de caractère pour maintenir ses cotes en délibération, cette faculté n'ayant pas hésité à rouvrir une session pour tenter de repêcher une brillante étudiante souffrant d'un blocage psychologique face au contentieux administratif. (Par contre, la faculté de sociologie du Professeur Eraly héberge depuis 1985 un certain... Michel Legrand, pour un cours du soir en "organisation administrative des services publics" - mais il n'investit jusqu'à présent que peu de temps dans la vie universitaire).
Ceci permet de comprendre à quel point Monsieur Eraly a dé tomber de haut lorsqu'il a franchi le pas entre la théorie universitaire et l'affreux cambouis de l'exercice du pouvoir en Belgique, inimaginable pour celui qui ne se serait documenté que via la législation en vigueur, et ses commentateurs subsidiés. D'autres victimes récentes de cette incompétence furent malheureusement les étudiants qui avaient mis sur pied le projet "legal team" d'équipes de juristes informant les manifestants de leurs droits face à la police, qui avait fonctionné à l'admiration générale lors des manifestations anti-mondialisation à Bruxelles: in extremis, la doyenne de la faculté de droit a réussi à empêcher l'Union des anciens étudiants de lui décerner son prix, et les euros, dont ils auraient fait un très bon usage; cette année, elle a proposé la candidature (non retenue) d'étudiants organisant des après-midis de Saint Nicolas pour enfants défavorisés.
La charité, à l'ULB, il vaut mieux en rire qu'en pleurer.
Le livre
Il ne nous reste probablement plus beaucoup de place, ces préalables étant posés, pour commenter le livre lui-même. Disons-le d'emblée: il est achetable, son prix ni son nombre de pages n'étant dissuasifs, et nous vous conseillons donc l'effort intellectuel - à la portée de ceux qui supportent les livres sans images - de vous forger une opinion par vous-même. Rassurons les cabinettards tentés de se l'offrir aux frais de la princesse: au contraire d'une de ses sources, le malpolitiquement correct "diagnostic", il ne cite quasiment aucun nom, sauf par exemple, celui de l'auteur d'une étude fran�aise au titre alléchant 5.
Pour le reste, comme l'ont bien valorisé les journaux, le constat posé est assez "hard" et vaut la lecture, en tout cas la première partie, "Gouvernement et gouvernance", où l'on reconnait la patte d'Eraly, élagué des lourdeurs des répétitions dans son précédent ouvrage. I n'a pas la rigueur d'une thèse universitaire, mais il renouvelle le style de la dénonciation du partisanat, pour ceux que la lecture de "diagnostic" finissait par déprimer.
Au contraire, les 120 propositions vantées, fruit de trois cerveaux seulement, relativement inexpérimentés, d'idéologie libérale - un courant peu actif pour promouvoir les services publics ces dernières décennies - n'ont pas du tout la qualité, la solidité et la cohérence du Memorandum du Gerfa, fruit de longs débats impliquant de nombreux fonctionnaires de toutes tendances politiques, ainsi que d'une longue et patiente pratique administrative. Certaines de ces propositions, qui visent à éviter l'écueil d'une dénonciation qui ne proposerait pas de solution, sont d'une faiblesse qui déforce l'ouvrage: par exemple,
- celle qui conseille, pour dégager les parlementaires de l'emprise de leur parti, tout puissant sur leur carrière, de généraliser la pratique du vote secret (actuellement réservé aux questions de personnes). On appelle cela jeter le bébé avec l'eau du bain, cette opacité rendrait bien plus faciles encore les dérives que l'on voudrait combattre;
- suite à quel spaghetti intellectuel en arrive-t-on à proposer que les agents contractuels devraient pouvoir évaluer les statutaires?
- on peut également stigmatiser l'obsession de la sanction comme outil de gestion du personnel et l'accent mis sur l'évaluation individuelle 6, une fois de plus, sans originalité ni réflexion aucune, le discours néo-managérial dans lequel se sont englués tous les ministres de la fonction publique qui ont succédé à Charles-Ferdinand Nothomb (1982-1984) resurgit.
C'est lassant, et on enrage de voir ces autorités dépenser des sommes en croissance exponentielle, jusques et y compris l'affreux Van den Bossche, pour financer les premiers pas de consultants privés na•fs, incompétents et inexpérimentés, qui disent tous la même chose que l'on savait déjà, dans le maquis rémunérateur (pour eux) de la fonction publique, tandis que l'on refuse avec l'obstination des imbéciles (merci Louis Tobback) ne fut-ce que de rencontrer le petit Gerfa - même pas subsidié - et de se faire expliquer ses propositions de réforme.


Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

1. L'Echo, mardi 25 novembre 2003, p. 4

2. MR=PRL+FDF+MCC (=l'ex président à vie de l'ex-PSC Gérard Deprez, et Cie)

3. feu son père Henri Simonet, une stature, fut un tranfuge PS -> PRL

4. qu'il ne cite pas nommément dans son précédent bouquin, "Le pouvoirencha”né-être ministre en Belgique", dont nous avions fourni une critique favorable.

5. Daniel-Louis Seiler, "Un Etat entre importation et implosion : consociativité, partitocratie et lotissement dans la sphère publique belge", in Gouverner la Belgique. Clivage et compromis dans une société complexe , Paris, PUF, 1999. A vue de nez, un autre sociologue universitaire. A lire pour savoir à quelle sauce notre puissant voisin accomodera les restes de l'Etat belge, si nous échouons à nous réformer?. L'unique appel de la note qui mentionne un numéro de "diagnostic" se trouve d'ailleurs dans un paragraphe où les auteurs contestent le fait que l'évaluation du travail des services soit plus importante que l'évaluation individuelle des agents

 
     

     
   
   


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