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La poste doit-elle distribuer les tracts du Vlaams Blok?
Banc Public n° 87 , Février 2000 , Catherine VAN NYPELSEER
LA POSTE doit-elle distribuer les tracts du Vlaams Blok, le parti d'extrême-droite belge? C'est un problème important pour la démocratie parce qu'il touche à la liberté d'expression, qui est un des fondements de ce régime politique. Le problème se pose actuellement à Bruxelles: certains facteurs refusent de distribuer un nouveau tract bilingue français-néérlandais du Vlaams Blok, mais la direction de l'entreprise publique ne voulait pas, vendredi dernier, en refuser la distribution, au grand dam du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, organisme public lui aussi, qui a néanmoins obtenu la suspension de cette distribution (Le Soir du samedi 12 février 2000).
La liberté d'expression est un principe essentiel d'un système démocratique. Elle est inscrite dans des instruments juridiques nationaux et internationaux: la Constitution belge, notamment l'article 25: "La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie; (...)" a représenté un progrès important dans ce domaine en 1831 en instaurant le principe du contrôle a posteriori par les tribunaux, par opposition à la censure préalable (pour pouvoir être publié le texte doit d'abord être présenté à un organe de contrôle) qui a comme chacun sait sévi dans de nombreuses dictatures avant ou depuis cette date. Comme toutes les libertés établies dans un système démocratique, la liberté d'expression a nécessairement des limites, établies par des lois ou par des usages variables dans les différents milieux sociaux. Ces limites doivent notamment préciser la marche à suivre en cas de conflits entre différents droits et libertés ou entre ceux de différentes personnes. Si l'on examine le problème abstraitement, du point de vue des principes, il est évident que la Poste doit distribuer le tract, sinon elle s'instaure en organisme de censure préalable, anticonstitutionnel. La même remarque vaut pour le Centre pour l'égalité des chances etc. dans la mesure où il obtiendrait que la Poste doive obligatoirement le consulter et refuser la distribution s'il y était opposé. Mais il faut aussi se placer du point de vue, plus concret, du brave facteur obligé de distribuer le tract. On connait les ravages que peut exercer l'obéïssance inconditionnelle à la hiérarchie, et il est certainement positif pour tout organisme, public ou privé - et pour la société dans son ensemble - que les personnes qui en font partie se posent des questions sur ce qu'on leur ordonne de faire et refusent d'exécuter certains ordres, à peine de vivre dans une démocratie qui s'arrêterait aux portes des entreprises ou employeurs et serait donc extrêmement limitée. Encore plus concrètement ou prosaïquement, a-t-on le droit au nom des principes démocratiques d'envoyer un "pauvre type" se faire casser la gueule en distribuant un tract raciste, qui affirme par exemple que la violence urbaine est une spécialité Nord-africaine, dans un quartier où vivent des Nord-Africains ? La Poste doit se soucier de la sécurité de ses agents. Elle a d'ailleurs été condamnée par le tribunal du travail de Charleroi en février de l'année passée pour son attitude à l'égard d'un facteur qui s'était fait agresser sept fois en sept ans et avait fini par se suicider. Si un facteur malin se débarasse de la liasse de tracts dans un conteneur à papiers, par exemple, il risque une sanction disciplinaire.
Pourquoi le Vlaams Blok tient-il à faire distribuer son oeuvre par la Poste et ne se contente-t-il pas de diffuser sa propagande fasciste par Internet? Parce que l'électorat qu'il vise par ce média est un public défavorisé qui n'a pas accès aux nouvelles technologies et pour qui un document bien imprimé, distribué par le facteur qui jouit en général d'une excellente image de marque, aura une efficacité maximale. Si le tract déclenche des bagarres, et que de méchants "étrangers" frappent un brave facteur belge, c'est encore mieux ! L'erreur serait toutefois de penser que, pour être de bons démocrates, il suffit de faire le contraire de ce que paraît vouloir le Vlaams Blok . Il serait extrêmement simple de dire à la Poste de ne pas distribuer le tract, comme essaie de l'obtenir le Centre pour l'égalité des chances etc., mais à partir de ce moment-là on créera un précédent et la Poste devra examiner tous les tracts, la couverture des revues d'associations, comme quand elle a refusé il y a deux ans de distribuer la revue du Collectif contre les expulsions, qui luttait notamment contre les drames humains comme l'assassinat de Semira Adamu ou les centres fermés pré-concentrationnaires dans notre pays, et dont la couverture indiquait en grand "REBELLEZ-VOUS!". Je ne vois donc pas pourquoi le Centre pour l'égalité des chances etc. ne respecte pas les procédures judiciaires disponibles pour faire cesser la distribution du tract litigieux dans la mesure où cette interdiction se justifierait. Tout un arsenal de textes limitant la liberté d'expression est applicable et vient encore d'être étendu puisque on a révisé l'année passée l'article 150 de la Constitution - contre l'avis de nombreux démocrates - pour permettre la correctionalisation des délits de presse "inspirés par le racisme ou la xénophobie", qui relevaient de la Cour d'assises, garantie d'un débat démocratique jugée trop lourde par certains. Rappelons également le développement récent spectaculaire des condamnations de journalistes par les tribunaux civils - changement d'humeur qui n'a nécessité aucune modification législative-, qui peut constituer une restriction supplémentaire de fait à la liberté d'expression. La plus grande victoire que pourrait obtenir le Vlaams Blok dans son combat pour l'instauration d'un régime fasciste serait évidemment l'instauration de nouvelles limitations à la liberté d'expression. La participation de nombreux "étrangers" au processus électoral peut d'ailleurs prévenir qu'un banal tract ne provoque des violences, mais s'il servait au contraire à suciter le débat démocratique et une plus grande intégration de tous les citoyens, y compris les pauvres petits vieux belges qui "n'osent plus sortir de chez eux", c'est là que le Vlaams Blok sera contré.
Catherine VAN NYPELSEER |
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