|
|
|
|
AFFAIRE DUTROUX: Interview de Nathalie Gallant
Banc Public n° 61 , Juin 1997 , Serge KATZ
Banc Public: Suite aux récentes affaires de pédophilie qui ont défrayé la chronique, et après de nombreuses promesses de réformes de l'appareil judiciaire, peut-on s'attendre à des effets concrets et lesquels?
Nathalie Gallant: Je crois qu'on en a parlé beaucoup depuis le mois d'août, avec la découverte de ce qu'on a appellé l'affaire Dutroux. Mais cela s'est un peu enlisé dans la mesure ou trop de médias se sont emparés de l'affaire, ce qui a fini par la banaliser. Il y a eu un effet de saturation sur la population, et sur la vie judiciaire également. Toujours est-il que l'on pouvait penser qu'avec la publication du rapport, cela allait faire bouger les choses. Mais à mon avis ce n'est pas le cas. Pourquoi ? Parce que le rapport a eu un effet précis: la démission du procureur du Roi de Bruxelles, Benoit Dejemeppe. Cet épisode a été très mal ressenti dans le milieu judiciaire, mais également par une partie de la population, qui a eu l'impression que le ministre de la Justice se débarassait de quelqu'un qui occupait un poste important pour éviter de faire tomber des têtes encore beaucoup plus haut placées. Je crois même que c'est à cette occasion quil y a eu cette grève au Palais de Justice. Les magistrats ont été appelés à manifester. Les avocats y ont été conviés, mais il n'y avait pas véritablement de mot d'ordre en ce qui nous concernait. Toutefois, dans les couloirs, lorsqu'un journaliste voulait adresser la parole ˆ quelqu'un, c'était pour s'entendre dire que ce qui le secouait le plus, c'était le problème du procureur du Roi Dejemeppe. Cela signifie que l'on s'est focalisé la-dessus à propos de ce rapport et qu'on a oublié tout le reste... On a beaucoup parlé au mois d'août d'une proposition visant à modifier la fameuse circulaire qui permettait la libération au tiers de la peine, soit automatiquement lorsqu'elle était inférieure ou égale à trois ans, soit sur décision d'une commission de probation. Que je sache, ce n'est pas passé pour l'instant. Le seul effet de l'affaire Dutroux sur le système de libération conditionnelle est le suivant: pour ceux qui n'ont été condamnés qu'à des peines inférieures ou égales à trois ans, la libération reste automatique, sans passer par une commission de libération conditionnelle. Mais s'il s'agit de quelqu'un qui, par exemple, est toujours considéré comme un délinquant primaire (donc pas un récidiviste), mais qui avait déjà dans son casier judiciaire une autre peine inférieure ou égale ˆ douze mois, que fait-on maintenant? On demande au Parquet s'il révoque le sursis (ou la libération conditionnelle) qui avait été d'accord l'époque pour cette première peine. Résultat: certains détenus attendent pendant deux ou trois mois la réponse du Parquet. Tout cela est assez pernicieux, parce que si la personne a une autre peine dans son casier judiciaire, il y a toute une mise en branle de la machine administrative qui fait que le détenu reste en prison plus longtemps que le tiers de la peine. Quant à ceux qui ont une peine supérieure à trois ans, la problématique est la même: s'ils avaient déjà d'autres peines inférieures ou égales à ˆ12 mois, on pense, également à faire tomber le sursis, ou la libération conditionnelle. Il y a pire: la commission de libération conditionnelle qui se réunit pour la peine que le détenu purge actuellement, a tendance aujourd'hui à être beaucoup moins encline à libérer au tiers ou même la moitié de la peine, s'agissant de certains faits précis (pour les affaires de pédophilie, par exemple). Le problème, c'est que cela s'étend quasiment à toutes les affaires judiciaires: les stups, les vols... Tout le monde pâtit de l'affaire Dutroux. Toutefois, nulle proposition qui viendrait entériner ou supprimer le système de libération au tiers de la peine n'est encore passée. Il faut savoir que ce système est également valable pour les récidivistes, mais aux deux tiers de la peine. Tout cela c'est du au problème Dutroux. Un avocat dont le cabinet est situé dans les mêmes locaux que le mien connaît mieux la problématique puisqu'il a été son avocat. Mais je sais que Dutroux a été condamné par la cour d'appel et qu'il n'a pas fait toute sa peine. Il n'est pas sorti après un tiers de sa peine comme on l'a dit. Sur neuf ans il en a fait six ou sept. Mais enfin, c'est vrai, Derochette - on en a beaucoup parlé dans la presse - a été interné puis libéré quasiment six semaines après. Il est vrai que dans son cas, cela ne dépend pas de la commission de libération conditionnelle mais de la commission de défense sociale, composée de responsables de la justice qui statuent sur les internements ou les levées d'internement, puisque l'internement est une mesure judiciaire et non simplement administrative. Et il n'y a pas, ma connaissance, de proposition concernant une révision des pouvoirs de cette commission, ou des modalités de levée de l'internement. C'est assez arbitraire..
. Il n'y a pas eu d'autre effet?
Visible et palpable: non. Si ce n'est que l'on remarque chaque jour dans les prétoires que les affaires de pédophilie se multiplient. Je ne sait pas si l'on poursuit plus qu'avant. Je crois surtout qu'on en découvre plus qu'avant parce que les victimes parlent plus, compte tenu d'une certaine banalisation. Mais je suis persuadée que l'on poursuit également plus et que certains cas n'ont pas été suivis de près à l'époque. J'ai eu une affaire récemment: un type qui a pris neuf ans la semaine passée, pour des faits de viols sur plusieurs enfants notamment. C'est assez symptomatique, parce qu'il comparaissait pour la première fois en correctionnelle, et il avait trois dossiers à sa charge. Le premier dossier avait été ouvert en 1990, le deuxième en 1994 et le troisième en 1996. En 1990, le dossier comportait ˆ la base le témoignage de deux enfants de moins de dix ans. C'éttait intéressant parce qu'ils donnaient une description précise de ce qu'ils avaient subi, et leurs déclarations étaient tout ˆ fait concordantes". Pourtant, on avait déféré le prévenu en question devant le juge d'instruction, qui l'avait remis en liberté le jour même, sans mandat d'arrêt, au motif qu'il n'y avait pas d'indice s´rieux de culpabilité, malgré les deux déclarations concordantes dans le dossier. En 1994, c'est sa propre fille qui porte plainte contre lui. Là , on prend la chose un peu plus au sérieux. Il passe neuf mois en détention préventive. Mais au bout de neuf mois, on va le libérer avec comme seule condition de résider chez sa maman. Aucun suivi thérapeutique, rien du tout. 1996: nouveaux faits sur la même fille, parce qu'il est retourné la voir - avec ˆ mon avis la complicité de son épouse qui l'a laissé rentrer alors qu'elle en avait l'interdiction formelle, en tout cas dans les institutions où avait été placée la gamine. Et lˆ on est passé à l'opposition de 1990 dans la mesure où cette fois il va passer plusieurs mois en détention préventive sur base des nouvelles accusations de sa fille. Mais on va également le renvoyer devant le tribunal correctionnel pour toute une série d'affaires de moeurs sur des enfants qui n'ont même pas été interrogés, qui n'ont pas été examinés par un médecin, et sur lesquels il n'a pas été lui-même interrogé! On est vraiment passé dans l'extrême contraire. Et avec ce qui se passe actuellement... je connais plusieurs cas où des enfants ont porté des accusations qui se sont avérées totalement fausses, vraiment purement diffamatoires. Je dirait qu'il n'y a pas que du bon dans les effets de l'affaire Dutroux. On a beaucoup parlé de creer de nouvelles structures, notamment afin de garantir l'indépendance des magistrats... Est-ce que ça sert à quelque chose? Il faudrait déjà éviter qu'ils soient nommés. Il est clair que la position des magistrats n'est pas toujours due à leurs compétences. Et il est clair que tant que l'on ne change pas le système de nomination des magistrats, il en sera toujours ainsi. Quand c'est politisé, fatalement... Evidement je ne connais pas suffisemment l'arsenal législatif pour savoir qu'elle serait le meilleur système de désignation. Mais à mon avis tout ce qui est concours, etc... serait beaucoup plus à même de... Au moins on serait sûrs d'avoir des magistrats compétents.
Avez-vous observé des effets de psychose à l'égard d'un certain milieu? N'y a-t-il pas plus de dénonciations, de sorte qu'il semble que l'on voit le crime partout ?
Il y a effectivement un effet corbeau très sensible. En tout cas avec cette ligne verte-Dutroux. On dénonçait tout et n'importe quoi. J'avais un superbe dossier d'escroquerie financière, où était impliqué un directeur de la CGER, qui a démarré par une dénonciation anonyme sur cette ligne Dutroux alors qu'il ne concerne pas une affaire de pédophilie. Et je disais souvent en riant qu'avec cette ligne verte, si l'on a envie de faire passer 24 heures désagréables à un voisin il suffit de dire qu'il a des cassettes de pédophilie à son domicile. On est sûr qu'il y aura une perquisition illico. Peut-être un peu moins maintenant. Mais, en tout cas, il y a quelques mois, c'était automatique. On a mis sous mandat d'arrêt tout une série de fonctionnaires, notamment de la Communauté Européenne, pour détention de cassettes à caractère pornographique, dans des cas où, parfois, on pouvait effectivement douter que l'un ou l'autre acteur ait atteint sa majorité civile. De plus, toute une série de cassettes étaient considérees comme légales jusqu'en 1995. Et, depuis cette date, le code pénal punit le détenteur de telles cassettes d'une peine d'un an de prison maximum. Or, il faut savoir que, pour pouvoir décerner un mandat d'arrêt, il faut que les faits soient susceptibles de faire au moins l'objet d'une peine d'un an de prison. En un sens, on peut dire que l'affaire Dutroux, plutôt que de mener aux réformes effectivement nécessaires, a plutôt dévoilé l'incohérence du système actuel.
Serge KATZ |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Biblio, sources...
(1) Interview de Pierre Chomé, Banc Public n¡ 53, octobre 1996
|
|
|
|
|
|