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L'APPLICATION DE LA LOI
Banc Public n° 53 , Octobre 1996 , Serge KATZ
De récentes “affaires” ont pu conduire nombre de lecteurs à remettre en cause leur confiance accordée aux institutions les plus fondamentales de notre pays. Par delà toutes les réactions irréfléchies où la peur et les sentiments des citoyens risquent d’être utilisés à des fins inavouables, il convenait de rappeler par la voix de professionnels les principes et failles d’un modèle belge qui fut voulu et admiré par toutes les puissances de l’Europe. C’est en effet la notion même d’Etat-Nation moderne et démocratique qui peut paraître obsolète et naïve face aux forces parfois terrifiantes que libère l’histoire contemporaine. Or, privé de tels repères, quel citoyen serait assez autonome pour ne pas se laisser aller à un cynisme fort confortable en l’absence apparente de toute loi?
C’est en effet de loi qu’il s’agit, fût-ce comme fantasme. Et puisque des faits ont montré la dangereuse complicité entre les lois morales, les lois juridiques et ce que d’aucuns tiennent pour les lois de la nature, il s’agissait de questionner ceux qui tentent de défendre les hommes contre leur propres normes qui, érigées en lois, engendrent bien des monstruosités. Nous avons interrogé Pierre Chomé, avocat et assistant à l’Université Libre de Bruxelles. Le mois prochain, nous vous proposerons une autre interview et la conclusion de ce dossier.
Banc Public: Vous savez que l’on procède aujourd’hui à une réforme du code pénal en Allemagne. Les autorités de ce pays, comme on l’a vu, se sont fort intéressées aux affaires criminelles récentes de Belgique. Ceci n’est sans doute pas étranger à cela. Il s’agirait donc d’équilibrer les peines pour atteinte à la propriété avec celles contre les personnes physiques. Beaucoup se sont en effet étonnés d’apprendre que, jusqu’ici, un pédophile restait le plus souvent deux ans en prison, alors qu’un voleur moyen en prenait pour six ans. En réalité, il s’agit ici d’augmenter TOUTES les peines pour atteintes aux personnes physiques. On pourrait se demander si, eu égard à ce difficile équilibre juridique entre personnes et biens, il pouvait y avoir des disparités, d’abord selon les pays - ce qui poserait des problèmes au niveau européen - ou même, à l’intérieur du pays, selon les arrondissements judiciaires, quant aux peines effectives pour un même méfait.
Pierre Chomé: Chez nous déjà , nous sommes dans un droit où la propriété est, initialement en tout cas, quelque chose de presque plus sacro-saint que l’atteinte aux personnes. Ca ne se voit peut-être pas pour les crimes de sang mais pour des faits comme des coups et blessures et des violences simples. Il y a parfois des discordances énormes entre les peines possibles. L’application de la loi est difficile à définir parce qu’il n’y a pas de véritables statistiques par juridiction. L’aspect peine/application de la peine est centralisé au niveau du Ministère de la Justice. Je crois que l’on peut difficilement tirer une ligne en fonction du type de délit. Ca dépend de facteurs qui peuvent être purement humains. Souvent la prison joue un rôle important: il y a des prisons où il y a un suivi important de la direction et du personnel. On remarque des libérations conditionnelles qui sont pratiquement épaulées par l’administration pénitentiaire, voire le Ministre.
Banc Public: Les disparités entre les pays ne semblent pas évidentes. L’application de la peine semble beaucoup plus sévère dans le système anglo-saxon. Mais, par contre, en Grande-Bretagne, la présomption d’innocence est beaucoup plus protégée qu’en Belgique.Par rapport à l’Angleterre, est-ce que la séparation des pouvoirs judiciaires et exécutifs vous paraît appliquée en Belgique dans le partage des prérogatives du juge d’instruction et du procureur?
Pierre Chomé: En Angleterre, il n’y a pas de juge d’instruction. Le procureur a son dossier et la défense a son dossier. En cela il y a un plus grand équilibre qu’ici entre les deux parties. Le juge d’instruction est un personnage plus ambigu. Il est à la fois juge et partie puisqu’il prend des ordonnances comme un juge quand il perquisitionne, quand il arrête et quand il libère et en même temps il est officier de police judiciaire et là , au niveau des actes, il dépend du pouvoir exécutif. La qualité du juge d’instruction dépendra plus du personnage que de l’institution. L’un pourra faire un travail d’une indépendance totale sur des dossiers sensibles comme la délinquance en col blanc dans les hautes sphères économiques. Mais d’autres, parce qu’ils sont plus faibles, plus jeunes et plus proches géographiquement du parquet ont tendance à travailler uniquement dans l’optique du parquet. Et c’est cela le danger. Il y a une évolution du juge d’instruction. Il n’y a plus véritablement de tribunal de l’instruction indépendant.
Banc Public: Est-ce que la pression des parents des délinquants peut avoir une incidence sur la décision d’un juge d’instruction.
Pierre Chomé: J’ai été témoin d’une scène où un juge d’instruction reçoit un coup de téléphone d’un parent et répond en disant “Ne vous en faites pas, Monsieur, on va le mettre six mois en prison et il ira mieux après”. Dans ce cas là , la pression des parents jouerait de manière très exceptionnelle. Cela ferait penser à ces grandes familles qui, il y a 50 ans, enfermaient un membre trublion et éventuellement délinquant sous forme de collocation, un peu pour le cacher de la justice pénale. Mais la plupart du temps le rôle des familles joue plutôt dans l’autre sens. Le juge d’instruction pourra plus facilement organiser une libération s’il y a une famille derrière le détenu. Le décalage va se faire sur le plan d’une justice de classe. Il y a des personnes qui sont sans famille, rejetées etc., et qui n’auront personne pour dire : “Ne vous en faites pas, la clinique l’attend ou le boulot l’attend”.
Banc Public: ;Une dernière question. D’après vous quelles peuvent être les effets juridiques du débat populaire et un peu hystérique issu de l’affaire Dutroux?
Pierre Chomé: La répercussion la plus évidente est l’idée de peine incompressible. Cette idée effraie tout les spécialistes parce que cela signifie presque une mort psychologique pour le condamné. Le débat a déjà eu lieu. Il y a des gens qui ne méritent pas de sortir. Il suffirait seulement d’une bonne application de la loi, parce que la libération conditionnelle n’est jamais qu’une mesure de faveur. Il ne faut pas créer un cadre légal très contraignant qui conduirait au phénomène inverse de dangerosité par évasion ou prise d’otage parce que le condamné n’a plus rien à perdre.Comme autres effets possibles, il y a aussi une réforme du code, comme en Allemagne. Cela peu engendrer n’importe quoi pour calmer la vindicte populaire... Cela peut engendre n’importe quoi. Mais ici, ce qui est mis en cause, c’est surtout la manière dont les gens sont libérés. L’idée que j’ai soutenu avant l’affaire Dutroux, c’est de ”judiciariser”, c’est-à -dire de créer une véritable chambre du tribunal de sorte qu’il y ait toute une série de garanties. Il y aurait des magistrats et tout les intervenants seraient des parties extérieures. Ce n’est pas elles qui prendraient la décision. Le côté dangereux et malsain c’est que l’administration pénitentiaire, par le biais de ses directeurs peut être juge et partie. Souvent les gens les plus dangereux sont les meilleurs détenus parce qu’ils connaissent le rapport de forces. Mais dans la société ils sont très dangereux. D’un autre côté vous avez des petits jeunes qui ont fait un dérapage, sont peut-être des révoltés terribles mais qui pourraient endiguer cela dans une profession qui leur permettrait de se réinsérer. Ils feront toute leur peine simplement parce qu’ils déplaisent à ceux qui dirigent la prison. Et souvent ils y retourneront parce qu’on ne leur donne pas leur chance...
Serge KATZ |
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