EN VOOR DE VLAMINGEN IS HET NIET HET ZELFDE?

Banc Public n° 52 , Septembre 1996 , Isa LAFLEAU



Lorsque, après des décennies de lutte, le peuple flamand obtint de l’Etat belge francophone la reconnaissance de certains de ses droits, à savoir la traduction en langue néerlandaise des textes officiels, les grands bourgeois et les officiers fracophones ne l’entendirent pas de cette oreille et se mirent à ajouter au bas des textes de lois, ordres, décrets et discours en français, au lieu d’une traduction flamande, la petite phrase bien connue : «En voor de Vlamingen, hetzelfde !»(1)

C’était l’amorce d’un dialogue de sourds en deux langues qui continue encore aujourd’hui, même si bien des choses ont changé, que le rapport de force a basculé - un dialogue de sourds qui sûrement continuera aussi longtemps que la Belgique.
Il existe des expressions figées, des sortes de clichés médiatiques que les journalistes de tout bord (ou presque) utilisent, délibérément ou inconsciemment, pour se référer à une personne, un évènement... Ces expressions qui semblent anodines et neutres peuvent insidieusement orienter notre perception du monde. Ainsi par exemple les communes brabançonnes de Kraainem, Wemmel, Wezembeek-Oppem, Drogenbos, Linkebeek et Rhode-Saint-Genèse sont appelées «communes à facilités», «communes à facilités de la périphérie bruxelloise» dans la presse francophone, et «randgemeenten» ou «Vlaamse randgemeenten»2 dans la presse flamande. Désignations habituelles, qui semblent après tout être objectives, et surtout aller de soi. Et qui charrient deux idéologies (peut-être) irréconciliables.
Parce que, tout d’abord, les références géographiques choisies indiquent clairement les visées des deux communautés quant au sort des ces communes : rattachement à Bruxelles pour les francophones, renforcement de leur caractère flamand... pour les Flamands. D’ailleurs, le mot «rand» (bord, bordure), peut aussi bien désigner la périphérie de Bruxelles que le bord sud de la Flandre, la «frontière linguistique», et les Flamands sont très préoccupés par l’»invasion» francophone de ce morceau de leur patrie coincé entre Bruxelles et la Wallonnie. Alors que, au sud du pays , la présence d’une importante minorité francophone dans ces régions signifie que malgré leur statut actuel, et malgré leur histoire, elles ne sont pas vraiment flamandes.


Et puis, c’est surtout dans ce qui n’est pas dit que le malentendu est flagrant. La presse flamande fait un usage extrêmement réduit du terme «facilités», (sauf lorsqu’il s’agit d’envisager de les supprimer), et cela reflète et renforce l’opinion régnante au nord du pays que les facilités ne sont qu’un statut intermédiaire sans réelle conséquence, une concession temporaire faite, peut-être à tort, aux francophones.
Du côté francophone, ce sont les références à la Flandre qui sont gommées. On a longtemps laissé courir l’impression que le terme de facilités signifiait que ces communes étaitent bilingues et donc, pour ainsi dire, ni wallonnes ni flamandes. Impression que les Flamands se sont chargés de détruire à coups de poing (métaphoriques), et qui pourtant subsiste encore dans l’esprit d’un certain nombre. (Il y a des francophones à Rhode qui croient par exemple que la commune était flamande lorsqu’elle était au mains du CVP, et que, maintenant qu’elle a un bourgmestre francophone, elle est «française».)
Les communes à facilités ne sont qu’un exemple, un détail presque insignifiant. Mais des malentendus de ce type, la presse en charrie tous les jours. Et celui qui lit régulièrement la presse des deux langues aura souvent l’impression qu’il ne s’agit pas là seulement d’opinions divergentes, d’accents mis sur des choses différentes, mais de deux réalités qui ne communiquent pas.
Ainsi lors les récentes inondations qui, selon les médias tant flamands que francophones, avaient «frappé toute la Belgique», chaque communauté n’a bien sûr couvert que les dégâts qui avait eu lieu de son côté de la frontière qui court au milieu du pays, et rend les mots «toute la Belgique» plutôt vides de sens.
On peut aussi mentionner les réactions aux déclarations d’un Claude Eerdekens à la veille de la fête nationale flamande, à propos de la présence future des Français aux portes de Bruxelles. Si elles ont choqué beaucoup de francophones, et notamment de Bruxellois, qui ne se reconnaissaient pas du tout dans ces propos et y voyaient une sorte de main-mise sur leur ville, elles ont fait aux Flamands l’effet d’une quasi-déclaration de guerre à eux adressée par la communauté française dans son ensemble. Alors que le Soir détaillait les réactions francophones plutôt mitigées à l’égard d’Eerdekens, présenté comme tenant d’une doctrine très minoritaire, le Morgen du même jour étalait sur plusieurs pages un historique du mouvement nationaliste wallon où «séparatistes» et «rattachistes», d’ailleurs quelque peu confondus, semblaient représenter la majorité des Wallons et/ou des francophones - cette dernière distinction étant aussi souvent perdue dans la presse flamande. On aurait tort de voir ici de la désinformation
délibérée ; les Flamands, soudés par un mouvement nationaliste de longue haleine, ont tendance à percevoir les francophones comme un bloc et à leur prêter les sentiments qu’ils ont eux-mêmes. Pour les journalistes du Morgen, des prises de position anti-flamandes ne peuvent avoir de sens que dans un contexte nationaliste, et l’incompréhension règne souvent face à cette curieuse attitude francophone qui en même temps prêche l’unitarisme et exsude une hostilité radicale à l’égard des Flamands.


Par contre, il y eut bien désinformation le jour où fut annoncée la mort de Julie et Mélissa. Ce jour-là, il n’y avait qu’un titre au journal télévisé de la RTBF. A la BRTN il y en avait deux ; le deuxième était «de plus en plus de Belges réclament la réintroduction de la peine de mort», et faisait l’objet d’un reportage séparé. Comme si la concurrence avec VTM les forçait à en imiter le style. A un moment, alors que le speaker parlait de nombreuses pétitions signées dans ce sens, la caméra montrant en effet des badauds signant des pétitions à Grâce-Hollogne, il y eut un bref zoom sur une feuille où l’on pouvait lire les mots «peine de mort»... et j’ai pu reconnaître à sa mise en page le texte d’une pétition qui a maintenant fait le tour de la Beligque et qui commence par ces mots : «Nous sommes d’accord avec le décret ordonnant la suppression de la peine de mort, mais nous demandons que soient mises en place des peines incompressibles etc... etc...» Une telle manipulation de l’information est extrêmement grave.De façon générale, tout au long de l’affaire Dutroux, la presse flamande (avec quelques exceptions) a, sans tricher sur les faits, plutôt insisté sur le côté monstrueux de l’individu Dutroux et les aspects plus sensationnels de l’affaire, et a souvent donné la parole aux partisans de la peine de mort, alors que la RTBF et une bonne partie de la presse francophone ont souligné que la peine de mort ne servirait à rien et que d’ailleurs seuls quelques énergumènes la réclamaient, et ont mis l’accent sur les protections de Dutroux et les vices de l’enquête. Cela n’est pas sans effet sur le public : à lire le courrier des lecteurs de certains journaux flamands, on a l’impression que l’opinion flamande n’est pas vraiment plus en faveur la peine de mort que les Wallons, mais les gens qui sont contre s’y sentent minorisés, alors qu’en Belgique francophone on a l’effet inverse.



Isa LAFLEAU

     
 

Biblio, sources...

(1) «Et pour les Flamands, la même chose !»
(2) «communes de la périphérie», «communes

 
     

     
 
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