Conférences prohibées ?
En janvier 2018, une lecture d’un texte de Charb, rédac’chef de Charlie Hebdo tué dans les attentats de 2015, était prévue à l'université Paris-Diderot. L'UNEF (2) et Sud-Solidaires, dans un long texte en écriture inclusive, s'indignent, protestent et réclament l'interdiction de cet évènement. En effet, je les cite, il faut voir dans le texte de Charb "une manifestation de l'islamophobie". Et l'islamophobie est, selon eux, "un racisme"! Leur argumentation est imparable: le but de cette lecture est de "stigmatiser les musulman.e.s racisé.e.s". Pour les mêmes raisons et grâce à la vigilance des mêmes, la lecture du texte de Charb a été interdite dans les universités de Lille et d'Avignon. Là aussi, en application de la volonté de protéger les musulmans, on a empêché la diffusion des "idées nauséabondes" de Charb. Plusieurs anciens de l’UNEF estiment néanmoins «avoir affaire à des petits flics de la pensée qui, d'une fac à l'autre, se multiplient et se reproduisent. Ils sont les détenteurs du Bien. De là vient leur arrogance sans limite. De là leur suffisance dominatrice. Ils ont le droit de salir et de piétiner car ils mènent croisade contre "les idées nauséabondes"».
En février 2020, à l’ULB, des associations s'opposent à une conférence organisée avec des représentants du journal Charlie Hebdo, "réactionnaire" à leurs yeux. L'Union syndicale étudiante, une section étudiante et autonome des jeunes FGTB, et le Cercle féministe de l'ULB souhaitent empêcher la tenue d'une conférence dont le thème est : "Charlie Hebdo: cinq ans après - La liberté d'expression, c'est fini?!". Deux membres du journal satirique, le rédacteur en chef Gérard Biard et la DRH, Marika Bret, doivent y participer.
Les deux cercles se moquent du fait que l’évènement doive se faire sous protection et que l'on devra montrer sa carte d'identité et décrètent : "Charlie Hebdo a rejoint depuis longtemps les rangs des réactionnaires de tout poil dans leur dénonciation des "nouveaux censeurs". Ce sont les mêmes qui défendent une "laïcité" à la française, islamophobe, méprisante du droit de chacun·e à disposer de son corps. Charlie Hebdo participerait, selon les deux cercles, «à la censure des minorités en les empêchant d'élever leurs voix et l'ULB se serait rendu honteusement complice des réactionnaires». La conférence aura néanmoins lieu sans déclencher aucun incident.
L'Observatoire des fondamentalismes
L'Observatoire des fondamentalismes, créé en janvier 2020 à Bruxelles, qui se définit comme "une organisation apartisane", qui « se donne pour mission de mettre en commun, diffuser et partager des connaissances théoriques, pratiques et critiques sur les fondamentalismes religieux. Elle agit pour la défense des valeurs démocratiques, la liberté d'expression et la liberté de conscience.»
Pour l’Observatoire, il existe à Bruxelles un maillage de mosquées, d'églises évangélistes qui promeuvent un rapport littéraliste, dogmatique et légaliste aux textes sacrés, qui entraine un certain nombre de ruptures avec les valeurs communes. Ces croyances ultra-prosélytes sapent pour l’Observatoire les fondements de nos sociétés démocratiques. Elles prônent la prière plutôt que la médecine, sont hostiles à l'avortement, à l'homosexualité, etc., favorisent le suprématisme religieux et racial entraînant de graves décompositions du terreau social.
En particulier, le fondamentalisme musulman est, pour l’Observatoire, en augmentation à Bruxelles comme partout en Europe. Il s’y présente sous une forme piétiste visible (wahhabo-salafisme) et/ou sous une forme politique (islamisme). La première est une forme de communautarisme de repli qui s'emploie à créer des enclaves dans la ville. La seconde, peu visible mais très préoccupante, agit par infiltration des institutions qui régulent et animent le tissu social : les partis politiques, les associations culturelles, linguistiques, féminines, sportives, les associations pour l'intégration des étrangers, mais aussi les lieux d'enseignement, écoles et universités, les institutions de soins de santé, les prisons ou encore les entreprises. Pour l’Observatoire, aucune réponse n'est apportée aux personnes qui subissent ou sont témoins des formes plus sournoises d'entrisme et de subversion des valeurs dans les lieux où ils vivent, résident ou travaillent.
Ce travail de sape de la part d'organisations non démocratiques se fait de façon lente et sourde, au quotidien. Des habitants, des employés des institutions et associations peuvent se retrouver au cœur de conflits de loyauté, tiraillés entre les valeurs qu'ils défendent comme citoyen et ce que leur situation de voisinage, leur fonction professionnelle ou leur hiérarchie leur imposent. Division entre médias haram et médias halal; dans l'espace public et politique, le fait d'évoquer le fondamentalisme ou l'islamisme entraîne pour l’Observatoire l'accusation de racisme et les lanceurs d'alerte sont cibles de menaces; l’Observatoire relève aussi une banalisation de la violence et des menaces de mort à l'égard de ceux qui contestent la religion ou désirent l’abandonner ou changer de religion etc.
L’Observatoire estime épuisant d’être sujet à toutes les rumeurs et fausses informations, captures d’écran trafiquées. etc. et «même s’il reçoit beaucoup de soutien, il n’a pas actuellement assez de ressources humaines pour répondre à tout...»
Florence Hainaut, penseuse accréditée
En juillet 2020, la journaliste belge Florence Hainaut publie dans Le Soir une carte blanche favorable à la liberté de porter le foulard. La docteure en anthropologie du CNRS Florence Bergeaud-Blackler lui répond contradictoirement dans le même organe de presse, où elle déclare «être surprise par les simplifications d’un débat sur le hijab (foulard ou voile islamique)», estimant que la plupart de celles et ceux qui s’expriment publiquement à son sujet n’ont pas de connaissance des débats actuels sur les normes islamiques et rappelant que le plus souvent le voile islamique n’est que l’instrument de causes exogènes qui n’ont guère à voir avec sa signification théologique et son histoire.
« Dans un monde normal », remarque Marcel Sel, «la première aurait demandé un droit de réponse à la réponse et ré-argumenté.» Mais, dans le monde surnaturel du débat sur l’Islam, le scénario se déroule différemment : dans un premier temps, la réponse de Florence Bergeaud-Blackler est retirée du site du Soir, puis republiée une fois allégée, à la demande du Soir, des critiques contre la journaliste. Puis l’EFJ (Fédération européenne des Journalistes) saisit le Conseil de l’Europe et accuse l’Observatoire de harcèlement « pour avoir émis une opinion qui ne convient pas à la corporation». « Délit d’opinion », estime Marcel Sel : « Les associations de journalistes, l’AJP (Association des Journalistes Professionnels) et surtout l’EFJ, ont pris délibérément parti pour un camp, dans ce qui aurait dû rester un échange d’opinions.
En canardant l’Observatoire (dont une des fondatrices fait l’objet de menaces de mort), la profession se tire littéralement un missile thermonucléaire dans le pied, parce que si le journalisme lui-même se met à juger des opinions en symbiose avec un parti politique qui leur semble plus juste que les autres, je ne donne pas cher de leur propre liberté à terme.»
Le statut de la journaliste recueillera 924 « likes » et 290 commentaires, pratiquement tous encenseurs à son égard, et parfois très violents envers les critiques. L’Observatoire y est qualifié «d’obscur», présenté comme un «brol».
Un ministère des Médias halal ?
Pendant ce temps, les soutiens à Hainaut affluent. Un parti en particulier est très représenté, et jusque très haut dans sa hiérarchie: Ecolo. Outre les députés Zoé Genot et Olivier Biérin, parmi bien d’autres, la ministre de la Culture et des Médias Bénédicte Linard affiche sa solidarité en proposant à Florence Hainaut, sur le ton de l’humour, de publier un recueil des commentaires de «trolls». Son service Médias, en revanche, est plus direct: Sylvie Lejoly (cheffe de service, ex-AJP) et Maïté Warland (conseillère, journaliste) proposent leur aide.
Maïté Warland explique même qu’elle a signalé à Facebook le profil Laplume Kalam, qui est le compte collectif de l’Observatoire destiné à protéger ses membres individuels, dont certains sont menacés de mort. L’objectif de la conseillère médias de la ministre est de faire fermer le compte.
Plus radicale encore, la députée Ecolo Margaux De Ré demande à Florence Hainaut de lui «donner les liens», précisant «on va leur faire une offensive». Elle dit signaler à son tour le profil Facebook Laplume Kalam.
Florence Bergeaud-Blackler fait savoir sur son compte twitter que le Soir a dépublié la première version de son article sans concertation avec elle. A la demande du Soir, elle a accepté de supprimer des passages interpellant Mme Hainaut, pour s’adresser aux néoféministes en général et ainsi élargir la portée de sa réponse. Mais cela n’est pas tout. On apprend qu’il y a eu tentative (échouée) de censure.
Le député Georges Dallemagne, membre de l’Observatoire, s'interroge: « Florence Hainaut bénéficierait-elle d’une immunité empêchant toute réplique alors qu’elle publie une carte blanche (comme n’importe quel citoyen) dans un média qui n’est pas le sien, sous prétexte qu’elle est journaliste ? »
Pour Marcel Sel, «une chape de plomb menace la liberté d’expression en Belgique, et ce n’est pas Florence Hainaut, la victime. [...] Le jugement express, le tribunal populaire, constitué sur les réseaux, lance désormais ses anathèmes comme le faisaient jadis les inquisiteurs et les puritains.» «Quant à l’intervention d’un ministère dans cette affaire, elle transforme la tentative de censure institutionnelle en tentative de censure d’État.» «Quand les pouvoirs réels s’en mêlent, on entre dans une autre dimension [...]»
« La presse devrait à présent sérieusement s’alarmer de la consanguinité devenue évidente entre le parti Ecolo, les intersectionnels ou néo-féministes, et les associations de journalistes professionnels, qui ont », selon Sel, « uni leurs forces et usé de leur influence dans le seul but de faire taire des opposants ».
La saisine du Conseil de l’Europe est un acte grave pour Marcel Sel qui dénonce une ambiance de tribunal révolutionnaire et estime que l’EFJ a abusé de son pouvoir de saisine pour régler les comptes personnels du secrétaire général, clairement acquis à la même idéologie que Florence Hainaut alors que lui-même est aussi mis en cause pour des relations et des complaisances envers le fondamentalisme dont, en journaliste chevronné, il aurait dû répondre sérieusement.
Sus aux hérétiques
Pour avoir couvert l’affaire Florence Hainaut, Marcel Sel sera accusé publiquement d’avoir harcelé la journaliste, mais aussi la romancière et chroniqueuse Myriam Leroy (sur Twitter et Wikipedia), ainsi que d’autres « jeunes femmes » (par le député écolo Olivier Biérin).Il a enduré insultes, menaces de violences physiques et incitations au suicide. Un journaliste de la RTBF balancera même le nom de ses enfants sur les réseaux sociaux, leur mère recevant également des menaces.
L’écrivain algérien Kamel Bencheikh, qui a beaucoup écrit sur la décennie noire en Algérie, est un fervent partisan de la laïcité. Il collabore régulièrement au Matin d’Algérie, site d’information héritier du Matin, journal issu de la gauche algérienne et qui se bat sur deux fronts, le pouvoir et les islamistes. Il a subi récemment une censure de la part de La Libre Belgique, qui avait pourtant, dans un premier temps, accepté une carte blanche qu’il avait écrite. Il y évoquait les collaborateurs de l’extrême droite islamiste qui n’hésitent pas à traiter les universalistes de fascistes et qui entraînent des gogos qui, sous prétexte que leur pitance est payée par telle ou telle organisation, se sentent obligés de suivre les arcanes douteux des officines de propagande. La Libre lui avait pourtant envoyé le lien de sa publication pour ensuite la supprimer, au prétexte qu’il apportait son soutien à l’Observatoire des fondamentalismes.
En juin 2020, quelques grenouilles de bénitier de l’antiracisme fantasmé ont même accusé Marc Metdepenningen et Dominique Demoulin de racisme, pour une plaisanterie qui n’en contenait pas un gramme, et ces journalistes ont été traînés dans la boue par une autre rond-de-cuir écolo, Sarah El-Ghorfi (qui a également pris part à la cabale contre l’Observatoire), ainsi que par deux personnes liées à la RTBF et par un professeur de sociologie de l’UMons, qui ont partagé et incité à signer une pétition adressée aux employeurs des deux journalistes.
Happy end ici, les perspicaces Torquemadas de l’inclusivité, à qui l’esprit et l’intention de la plaisanterie des journalistes avaient, semble-t-il, échappé, n’ayant pas réussi à nuire professionnellement aux deux journalistes, malgré une plainte au Conseil de déontologie journalistique (CDJ).
Nadia Geerts, maître-assistante en philosophie et en morale à la Haute école de Bruxelles reçoit, elle, régulièrement des messages d’insultes et des menaces à la suite, notamment, de ses publications sur les signes convictionnels.
Vers une sociologie halal ?
Il y a peu, dans un article paru sur le site de la RTBF, Corinne Torrekens (ULB), poids lourd académique de l’islamologie, dénonçait la diffamation dont elle se dit victime de la part de l'Observatoire des fondamentalismes et se plaignait qu'aujourd'hui des opinions sur les réseaux sociaux «ont le même droit de cité qu'une opinion issue d'un travail scientifique et empirique».
Corinne Torrekens, souvent invitée dans les médias, alimente régulièrement la réflexion et vient de classer l’Observatoire à l’extrême droite. Pour elle, il n’y a aucun empirisme dans le chef de l’Observatoire, or « ce doit être le b.a.-ba de la recherche scientifique [...] et les médias qui leur offrent une tribune devraient y réfléchir à deux fois.[...] Je ne suis pas spécialiste », continue-t-elle, « mais je pense que les réseaux donnent de la force et du pouvoir aux opinions qui appartiennent habituellement au café du commerce.». C’est oublier qu’une des membres du conseil scientifique de l’Observatoire, Florence Bergeaud-Blackler, docteure en anthropologie du CNRS dont les recherches portent principalement sur les normativités islamiques, le consumérisme religieux et les relations entre le politique, le religieux et l'économique, a sans aucun doute une légitimité scientifique équivalente à la sienne. Florence Bergeaud-Blackler remarque notamment que Corinne Torrekens accuse à tort les chercheurs Bernard Rougier et Hugo Micheron, auteurs de monographies de terrain sur le salafisme et le djihadisme en France, de « négliger les règles méthodologiques les plus élémentaires des sciences sociales et le fait en mobilisant un argument d'autorité (une citation d'un ouvrage théorique qui n'a rien à voir avec le sujet) ».
La sociologue de l’ULB accuse également le gouvernement français de s'attaquer au CCIF (collectif contre l’islamophobie en France), de "régler son compte à une association musulmane qui dérange pour les combats qu'elle mène (burkini, foulard, etc.)". Or, pour Florence Bergeaud-Blackler, il n'est plus sérieusement contestable que le CCIF soit proche des Frères Musulmans et «quand un chercheur ou une chercheuse s’exprime, son discours n’est pas automatiquement scientifique. C’est bien le positionnement de Corinne Torrekens dans le débat sensible et grave de l’islam politique en France et la question de l’implication éventuelle d’associations comme le CCIF dont il est question dans cette polémique, et non pas de "recherche scientifique"».
L’excommunication de Fadila Maaroufi
Dans un article récent, à la suite de l’affaire Paty, Corinne Torrekens épingle deux politologues, Bernard Rougier et Hugo Micheron, qui affirment tous deux que le CCIF appartient à la mouvance des Frères Musulmans. Elle estime qu’ils n’apportent aucune démonstration empirique à leur affirmation. Ce qui est contesté par l’Observatoire qui estime que «contrairement aux affirmations de Madame Torrekens, il n'est plus sérieusement contestable que le CCIF soit proche des Frères Musulmans et en empêchant toute critique de l'islam facilite les idéologies de l'islam politique [...]».
A la suite de ces affirmations, Corinne Torrekens affirme qu'elle aurait été victime d'insultes et d’attaques sur les réseaux sociaux, dont elle accuse l’Observatoire d’être responsable. L’Observatoire estime n'être nullement responsable de la diffamation qu'elle prétend avoir subie, et estime nécessaire «d'ouvrir un débat citoyen sur l'islamisme qui ne peut rester dans l'entre-soi d'un milieu académique qui, non seulement nie la légitimité d'un tel débat, mais ne défend plus la liberté de conscience et d'expression qui est pourtant sa condition d'existence».
Il importe pour l‘Observatoire «que la liberté académique et d'expression s'exerce dans le cadre d'investigations approfondies et sans langue de bois», «en investiguant sérieusement et en nommant les réalités qui fâchent» afin «de contribuer à un débat d'intérêt général. [...] la liberté d'expression ne saurait se soumettre à l'islam politique. Encore faut-il prendre conscience de celui-ci et avoir le courage de le dénoncer sans ambages.»
Fadila Maaroufi dont la famille est installée en Belgique depuis trois générations, a subi l'islamisme dans les quartiers de Bruxelles depuis 40 ans Son combat est profondément laïque. Fadila Maaroufi était, jusqu’il y a peu, une salariée du Centre d’Action Laïque où elle dirigeait une équipe ​dans une Fondation d’Assistance Morale aux Détenus. Elle subissait depuis quelques mois une pression due à son engagement au sein de l’Observatoire des fondamentalismes, à la dénonciation par l’Observatoire de la publication d’un tutoriel Hijab financé par la Commission communautaire française et soutenu par le délégué général aux droits de l’enfant et Corinne Torrekens, aux positions de l’Observatoire sur les émeutes d’Anderlecht et sur la publication de la carte blanche de Florence Hainaut qui estimait avoir été diffamée et harcelée.
Le 28 octobre 2020, en matinée, son employeur, le CAL (Centre d’Action Laïque), lui a annoncé son licenciement. Le soir même, le CAL publiait sur twitter «son plein soutien à Corinne Torrekens» et critiquait l’Observatoire des fondamentalismes «qu’il n’a pas initié, qu’il ne finance pas et dont il ne cautionne pas les méthodes».