Ce qu´en dit le réalisateur
Interrogé par Gaelle MOURY (Le Soir-MAD, Magazine des arts et du divertissement, 7 février 2024), RHALIB exprime sans détours ses intentions :
"Quand j´allais à l´école, au Maroc, on se levait quand le prof rentrait en classe. On n´imaginait même pas contester un cours. J´ai mis ABOU NAWAS" (poète arabe et musulman du VIIIe siècle qui chante l´amour et le vin) "dans le film pour le faire revenir à la vie. Je l´ai étudié à l´école au Maroc, les poèmes étaient explicites et ce n´était pas un problème. Mais aujourd'hui, il a bien sûr disparu des manuels scolaires. Pour moi, les profs sont... sous-payés et sont abandonnés. L´école doit être une forteresse infranchissable. Aucun parent ne peut rentrer sans y avoir été convié. Or, aujourd'hui, les parents vont voir la direction, les profs, contestent, menacent sans prendre le temps de savoir ce qu´il s´est passé. Et l´éducation est la base de tout. La culture est la base de tout. Si on investit dans l´éducation, qu´on emmène les jeunes au cinéma, au théâtre, à la bibliothèque... ils vont comprendre le monde, le respect de l'autre, des biens publics. Mais nos politiques n´ont pas le courage de taper sur la table et de dire : 'ça se passe comme ça '. Il faut appuyer et soutenir les professeurs. Pas faire comme la directrice dans le film qui ne veut pas de vagues. Il faut qu´il y ait un réveil politique. Parce que c'est non-assistance à enfants en danger. (...)
Ces enfants ont besoin de retrouver de la dignité. Il y a d´énormes différences entre les écoles du nord et du sud de Bruxelles, ce qui mène forcément à un sentiment d´injustice. Donc quand quelqu'un vient promettre à ces jeunes qu´ils vont retrouver la dignité, ils vont le suivre. Parce qu'ils n'ont pas d´autre issue.
Les politiques les ont abandonnés. (...)
Amal défend la liberté d´expression mais aussi la liberté d´enseigner. Elle ne veut pas que des parents lui dictent ce qu´elle doit faire, ce qui arrive malheureusement souvent dans nos écoles. Et ce n'est pas que le fait des musulmans. On rentre des États-Unis et c'est la même chose. Le public s´est identifié au film parce qu'il vit la même chose avec les trumpistes, l´extrême droite, les religieux. (...)
Je n´attaque pas ma propre religion, celle de mes parents. J´attaque ceux qui détournent cette religion. Qui interprètent les textes selon leurs besoins, leurs envies, leur stratégie. (...)
Le message que je passe au public, c´est qu´il a le droit de vote. Que c´est un pouvoir et qu´il faut l´utiliser.
Exiger des gens qui viennent vous démarcher de la culture, de l´éducation, une école sûre pour son enfant. Il faut mettre la pression."
À bon entendeur salut !
Une œuvre qui ose aller plus loin
Amal rappellera aux cinéphiles Le jeune Ahmed (2019) des frères Luc et Jean-Pierre DARDENNE, qui décrit la radicalisation d´un garçon de treize ans sous influence, son conflit avec sa mère et sa sœur trop "libres" et ses problèmes scolaires : film plus court, plus sobre et plus distancié, et qui, dans sa description très intéressante des méthodes pédagogiques d´un Institut public de protection de la jeunesse (IPPJ), a un caractère documentaire. Dans les deux œuvres, la fin est ouverte, dans la mesure où le sort du personnage principal, l´adolescent chez les DARDENNE comme l´enseignante Amal chez RHALIB, reste en suspens.
RHALIB est plus lyrique et plus militant, il est habité d´un sentiment d´urgence d´autant plus justifié qu´entretemps deux professeurs ont été l’un décapité, l’autre poignardé à mort en France, Samuel PATY et Dominique BERNARD, dont le nom doit être cité pour honorer leur mémoire.
L´interprétation de Fabrizio RONGIONE en professeur de religion islamique, Belge converti, est remarquable dans l´expression de l´art de tromper (la "takiya" ou la dissimulation dans un but de conquête).
Quant à Loubna AZABAL, qui avait déjà révélé son tempérament de tragédienne dans Incendies du québécois Denis VILLENEUVE (2010) et dans Le bleu du caftan de la marocaine Maryam TOUZANI (2022), c´est trop peu dire qu´elle joue Amal, elle "est" Amal dans sa conviction, sa générosité et sa révolte : une des plus belles colères du cinéma!
