En pratique, les concepts d'islamophobie et de racisme peuvent se trouver associés par une partie de la population et par suite difficiles à dissocier pour ces personnes. Pour Doudou Diène, rapporteur spécial des Nations unies, « le terme islamophobie se réfère à une hostilité non fondée et à la peur envers l’islam, et en conséquence la peur et l’aversion envers ceux qui se réclament de cette mouvance. Il se réfère également aux conséquences pratiques de cette hostilité en termes de discrimination, préjugés et traitement inégal dont sont victimes des musulmans (individus et communautés) et leur exclusion de sphères politiques et sociales importantes.»
Un terme ambigu
Un autre sens peut être donné à Islamophobie : celui de critique de la religion. Pour Thomas Deltombe, en fonction des définitions possibles des mots utilisés, on doit bien distinguer deux positions : l'islamophobie de type raciste (« musulman » comme catégorie ethnique) ou « xénophobe » (l'islam comme élément « étranger ») et la critique légitime des dogmes religieux, quels qu'ils soient.
La construction du néologisme à partir du suffixe « phobie » est critiquée, car elle associe la notion d'idéologie et le débat à un concept de maladie mentale ; il s'agit de traiter le dissident en malade mental, un peu comme l’Union soviétique à l’époque de Brejnev pour réprimer la dissidence et enfermer arbitrairement des opposants.
Pour Caroline Fourest et Régis Debray, le terme confond la haine de l'islam (et non des musulmans) avec le choix qu'il représente -l'hostilité envers une croyance, une religion, une idéologie relève des appréciations personnelles et de la simple liberté d'expression- et interdit la critique de l'islam au prétexte de défendre les musulmans
Un terme instrumentalisé ?
Pour le politologue spécialisé de l'islam Gilles Kepel, l'islamophobie « est un concept récent qui repose sur une ambiguïté dans la mesure où il se présente comme le symétrique de l’antisémitisme ». Alors que la lutte contre l'antisémitisme criminalise ceux qui s'attaquent aux juifs sans empêcher pour autant la libre critique des textes sacrés, « le combat contre l'islamophobie fait de toute réflexion critique sur l'islam un interdit absolu ». L'ambiguïté entretenue par certaines associations antiracistes qui tendent à confondre antisémitisme et islamophobie est donc, pour Kepel, une imposture : « La lutte contre l'islamophobie consiste à faire encore que la vision la plus rigoriste de l'islam ne puisse plus être mise à distance, y compris par les musulmans eux-mêmes, lesquels, le cas échéant, se font traiter d'apostats »
Le dessinateur Charb, assassiné dans l'attentat perpétré en janvier 2015 contre le journal Charlie Hebdo, dresse un « réquisitoire virulent » contre l'utilisation du mot « islamophobie » avec la « complicité des médias » ; dans un livre posthume intitulé "Lettres aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes" (1), il dénonçait :
« Si demain les musulmans de France se convertissent au catholicisme ou bien renoncent à toute religion, ça ne changera rien au discours des racistes : ces étrangers ou ces Français d'origine étrangère seront toujours désignés comme responsables de tous les maux.
Les militants communautaristes qui essaient d'imposer aux autorités judiciaires et politiques la notion d' "islamophobie" n'ont pas d'autre but que de pousser les victimes de racisme à s'affirmer musulmanes. »
Pour Caroline Fourest, la critique du terme "islamophobie" relève ainsi d'une lutte contre la tendance qu'auraient ces intégristes à mettre leur religion à l'abri de la critique, s'appuyant notamment sur la lutte contre le blasphème.
Pour Isabelle Kersimon et Jean-Christophe Moreau, l’islamophobie est un « leurre heuristique »: « il n’y a pas, comme les lobbies voudraient nous le faire croire, de rejet total de l’islam et des musulmans en France. Une France islamophobe aurait mieux convenu aux théoriciens de l’éternelle culpabilité que sont les partisans de la doxa multiculturaliste et du repli communautaire, et c’est sans doute pour cela qu’ils mettent tant de passion à la fabriquer ». L’islamophobie, « c’est une théorie et un véritable tour de passe-passe. qui prétend révéler les ressorts d’un phénomène social (le rejet de l’islam), mais dont l’objectif est d’influencer l’action politique en faveur de la seule communauté musulmane ».
Une arme anti-laïque ?
Pour le philosophe Henri Peña-Ruiz, la laïcité garantissant la liberté de conscience, il est tout à fait permis d'être "islamophobe", "cathophobe" ou "athéphobe" tant qu'il s'agit de critiquer des idées et non de discriminer des personnes. « Il n’est pas raciste de s’en prendre à une religion, mais il est raciste de s’en prendre à une personne du fait de sa religion ». Mais cette notion élémentaire fait désormais débat à gauche et un courant prêt à se saisir de la moindre occurrence du terme "islamophobie" prospère désormais pour intimider les laïques en les accusant de racisme.
La notion d’islamophobie, est, pour lui, régulièrement mise en scène pour assimiler toute critique de l’islam – qui relève de la liberté d’expression – à une stigmatisation des musulmans. Assimiler l’une à l’autre est un moyen efficace de mélanger les genres et les casquettes en accusant d’ "islamophobie", voire de racisme ceux qui osent se moquer de Mahomet en refusant de se coucher devant « les bigots du religieusement correct ».
« L'islamophobie c'est le rejet de l'islam, pas le rejet des musulmans ni le rejet des arabes ou des maghrébins » déclare le site atheisme.org, qui encourage ses lecteurs à se déclarer publiquement islamophobes « afin de créer un mouvement courageux de contestation de cette religion qui ne vaut pas mieux que les autres ».
Un islam diversifié
La critique de l'islam en tant que religion est rendue difficile par la variété de ses formes. Selon l'intellectuel américain Edward Said, le terme « islam », tel qu'il est utilisé par les médias et les « experts », recouvre en effet des réalités politiques, sociales, géographiques extrêmement variées (et parfois contradictoires). Mais puisque, par définition, toutes ces formes ont le Coran en commun, une critique de celui-ci rend possible une critique globale de l'islam sous l'angle théologique et philosophique.
Éric Conan, journaliste à L’Express, estime que le terme relève de la « guerre des mots » qui serait prise dans une lutte idéologique, voire une guerre, au sein de l'islam lui-même, où l'islamisme tendrait en sous-main à imposer un point de vue contraire à la fois à la tendance strictement religieuse de l'islam et à sa composante libérale.
Le Mouvement des musulmans laïques de France (MMLF) avec Kebir Jbil soutient qu’« en Iran et au Soudan, pour éliminer les musulmans progressistes, il suffit de les qualifier d’islamophobes. Ainsi, ce terme ne désigne pas un racisme, mais stigmatise toutes celles et tous ceux qui résistent à l’islam radical et archaïque. ».
Pour le sociologue Jean-Pierre Le Goff, « tout un courant intellectuel gauchisant » aurait, au nom de la lutte contre l'islamophobie, accusé « la République, la laïcité et l’ histoire de France de tous les maux, renforçant le sentiment victimaire et le ressentiment existant chez une partie des musulmans français ». De cette manière se serait créée « une police de la pensée et de la parole » traitant nombre d'intellectuels et de journalistes d' islamophobes, « faisant pression et rendant plus difficile toute critique, toute réflexion et débat sur l'islam et son adaptation difficile à la civilisation européenne, réflexion et débat indispensables à son intégration ».
Islamophobie et racisme
Le terme est dénoncé par de nombreuses personnes et associations comme permettant de qualifier de racistes, qui donc tombent sous le coup de la loi, les critiques formulées à l’encontre de l’islam. L'usage du terme constituerait également une transformation indue de la lutte antiraciste, comme l'affirme par exemple le site athéisme.org.
En France, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) remet en mars 2004 un rapport au Premier ministre où l'on peut lire que « certains courants intégristes tentent d'obtenir la requalification du racisme anti-maghrébin en islamophobie pour mieux tirer bénéfice des frustrations, jouer sur les replis identitaires religieux de la population d'origine maghrébine et faire du religieux le critère absolu de différenciation, de partage». Il faut donc, pour la CNCDH, manier ce terme avec la plus grande précaution.
Pascal Bruckner interprète ainsi l'assimilation au racisme : « Il s'agit de réhabiliter le délit d'opinion afin de clouer le bec aux contradicteurs et déplacer la question du plan intellectuel au plan pénal, toute objection ou réticence étant immédiatement passible de poursuites. Or l'assimilation de l'esprit d'examen avec le racisme est trompeuse sachant que celui-ci s'adresse aux personnes en tant qu'elles existent et pour ce qu'elles sont, le Juif, le Noir, l'Arabe, autant la discussion critique porte sur de notions mobiles, variables, les idées, les dogmes, les principes, toujours susceptibles de transformations ».
Un racisme respectable ?
Selon Anne-Marie Thiesse, le terme « musulman » aurait longtemps désigné, en France, durant la période coloniale, non pas une catégorie religieuse mais une catégorie ethno-raciale : les Arabo-Berbères d'Afrique du Nord, qu'ils soient ou pas de confession musulmane. Cette définition ethno-raciale est encore parfois utilisée pour désigner des personnes qui ne sont pas de confession musulmane mais en référence à leur origine arabo-berbère. Ainsi, selon Vincent Ferry et Piero-Galloro, pour Nicolas Sarkozy, le terme "musulman" « n'a aucune connotation religieuse » mais une connotation ethnique.
Ce type de proposition, où la foi religieuse individuelle disparaît derrière une catégorisation ethnicisante, favorise les glissements sémantiques entre, par exemple, « arabes », «musulmans» et, par suite, «islamistes». Ainsi peut se développer, sous couvert d'une critique de la foi et des dogmes religieux, ce que le sociologue Saïd Bouamama appelle « un racisme respectable ». De même, pour Rokhaya Diallo, « l'islamophobie est une reformulation polie et respectable d'une arabophobie ancienne et très ancrée ».
Musulmans laïques
« Les médias ne donnent pas assez la parole aux musulmans progressistes », estime Nasser Ramdane Ferradj. Au lieu de faire entendre ces voix qui condamnent l’islamisme, qui défendent le droit des femmes, qui approuvent le principe précieux de la laïcité, des journaux de gauche privilégient des organisations communautaristes comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). « Cette fausse association antiraciste n’est qu’un groupe politico-religieux sectaire répercutant de plus ou moins loin les idées des Frères musulmans. Camouflé en promoteurs de "l’intersectionnalité des luttes", ce n’est en fait que le masque d’un communautarisme victimaire et agressif. ». Dans l’islam pratiqué par ces musulmans laïques, la critique est libre et le débat démocratique essentiel. La religion est intime et les organisations qui militent pour que ce soit l’islam qui gère les vies d’Arabo-Berbères et de banlieusards en France ont pour lui des visions obscurantistes de la culture et de la religion.