L'Union européenne a fixé un calendrier et prend ses conseils auprès de puissantes multinationales. Pour Gaspard Denis, cet accord pose des questions d'ordre démocratique, politique, éthique et social qui rappellent l'Accord multilatéral sur les Investissements (AMI) négocié depuis 1995, en secret, au sein de l'OCDE, et qui avait échoué dès que l'opinion publique en avait pris connaissance, et la directive services (appelée aussi «directive Bolkestein») votée une première fois en 2003, mais qui fit l'objet d'une vive protestation citoyenne.
C'est à l'initiative des plus grosses entreprises privées européennes et américaines, regroupées au sein du TransAtlantic Business Dialogue (TABD), qu'a été lancé le projet d'un grand marché sans entraves, qui implique une harmonisation des législations entre les deux puissances. C'est donc d'un choix politique qu'il s'agit, soulevant des questions fondamentales quant à la société dans laquelle nous voulons vivre. Dans un processus «démocratique», relèvent Poncelet et Cherenti, on pourrait s'attendre à ce qu'un large panel d'interlocuteurs soit associé aux décisions afin de trouver une sensibilité proche de celle de la population.
Mais on est loin du compte. Pour libéraliser leurs échanges, les USA et l'UE ont créé en 2007 une nouvelle institution: le Conseil économique transatlantique (CET). Composé paritairement d'Européens et d'Américains, cet organe n'a aucun élu européen parmi ses membres, mais uniquement des représentants de la Commission européenne. Les travaux du CET n'ont jamais fait l'objet d'un débat avec la société civile, ni même été traduits, ce qui révèle un manque de transparence. Alors que le Parlement européen appelait en 2007 à une participation active des industries, des syndicats ou des groupements des consommateurs au projet transatlantique, dans les faits, à l'heure actuelle, seules les multinationales pèsent sur les décisions. Le TABD est, de l'aveu même des gouvernements, le principal conseiller des Etats en matière de commerce. Selon le Conseil européen: «Les relations transatlantiques vont au-delà des gouvernements. Les liens entre les milieux d'affaires et les sociétés en constituent le fondement» .
Sur le plan économique, on peut craindre que ces accords n'accouchent d'une nouvelle vague de fusions et d'acquisitions d'entreprises, lesquelles donneront naissance à des multinationales privées titanesques, sur fond de licenciements massifs et d'euphorie boursière (comme on l'a vu dans les années '90), avec, à la clé, une impuissance grandissante du monde politique à peser favorablement sur l'emploi. Cette impuissance consentie discrètement laissera les multinationales avec de moins en moins d'opposition capable de les réguler.
Le Livre vert de la Commission européenne « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle » estime que « les marchés du travail européens doivent être à la fois plus favorables à l'intégration et plus réactifs à l'innovation et au changement, à des formes d'emploi plus souples assorties d'une protection moindre contre le licenciement ». Ces politiques aboutiront à une multiplication des contrats précaires. La perspective qui se dégage est celle d'une évolution du droit européen vers un système législatif à l'américaine, où les entreprises ont toute liberté pour recruter et pour licencier, où les contrats sont précaires et non assortis de garanties juridiques ou financières pour protéger les salariés. A voir le nombre de travailleurs pauvres aux USA, on peut s'inquiéter pour la qualité des emplois à venir en Europe.
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