D’après le journal économique, les hausses de salaires les plus fortes s’observent dans les secteurs brutalement privés de travailleurs européens peu qualifiés : des dizaines de milliers d’entre eux ont quitté le pays pendant la pandémie et peinent à revenir en raison des strictes règles d’immigration post-Brexit. Les sociétés de transport routier, par exemple, proposent ces dernières semaines des émoluments 15 % plus élevés qu’en décembre dernier afin d’attirer des candidats britanniques, sur fond de pénurie de chauffeurs.
C’est vrai qu’il y a bien, non un manque de matières ou de marchandises, mais des perturbations dans la transformation et, plus encore, le transport et la distribution de celles-ci, précisément dans les secteurs dont les conditions de travail sont peu enviables et les salaires à pleurer.
Autant d’emplois qui étaient tenus, jusqu’à présent, par des travailleurs étrangers, issus pour une très large part de l’est de l’UE. En 2004, lors de l’élargissement de cette dernière, le premier ministre d’alors, Anthony Blair, avait fait le choix radical de ne même pas mettre en œuvre les garde-fous temporaires qui ont (un peu) limité l’arrivée de Polonais, de Lettons ou d’Estoniens sur le continent. Des centaines de milliers d’entre eux sont venus chercher l’eldorado en Grande-Bretagne, à la grande joie du patronat britannique, avide d’une main d’œuvre prête à accepter des jobs au rabais, faute de pouvoir trouver chez eux – après la « transition post-communiste » – de quoi vivre.
Parmi les secteurs les plus concernés figuraient en particulier l’agro-alimentaire et le transport routier. A la faveur de la pandémie, très nombreux ont été ceux qui sont retournés dans leur pays d’origine, et n’ont pas fait le choix de revenir ensuite dans un État qui ne joue plus le jeu de la « libre circulation de la main-d’œuvre ».
Résultat : un nombre considérable d’emplois « à bas coût » ne sont plus pourvus. Quelque peu paniqués, les employeurs ont implicitement admis qu’ils devraient consentir des salaires plus décents. Et en juillet par exemple, les chaînes de magasins Asda et Tesco ont même promis une prime de 2 000 livres aux nouveaux chauffeurs qu’elles se proposaient d’embaucher.
Ce mois-là, la moyenne des salaires, tous secteurs confondus, a grimpé – hors primes – de 7,4% en rythme annualisé, un record jamais atteint depuis un quart de siècle. S’il fallait une illustration imparable de la pression qu’impose aux rémunérations la présence de travailleurs immigrés – au détriment, du reste, des Anglais comme des étrangers eux-mêmes –, le Royaume-Uni post-Brexit la fournirait aussi clairement qu’une expérience de laboratoire. Sous des formes qui ont certes évolué, le phénomène est aussi ancien que le capitalisme lui-même.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les gros bataillons des électeurs favorables au Brexit se sont recrutés chez les ouvriers et plus généralement dans les milieux populaires, confrontés quotidiennement au dumping social importé et souhaitant en finir avec la libre circulation de la main-d’œuvre et le rapport de force si déséquilibré qu’elle engendre au profit du patronat.