Qui essaye de vendre du Macron ?
Né à Amiens il y a 39 ans, Emmanuel Macron a passé une grande partie de sa vie à l’école. Comme la plupart des dirigeants français, Macron a accumulé des diplômes prestigieux: Sciences Po et ENA, et a été admis en 2004 à l’Inspection générale des Finances. A l’IGF, il s’est fait remarquer par l’influent Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État aux Affaires européennes du gouvernement de François Fillon entre 2007 et 2008, président de l'Autorité des marchés financiers de 2008 à 2012, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations et de président de la Banque publique d'Investissement (BPI) entre 2012 et 2014 et actuellement secrétaire général de l'Élysée.
Jouyet le recommande à Jacques Attali, le plus spectaculaire des gourous de haut niveau, qui, depuis 35 ans, régale les dirigeants de ses visions futuristes. En 2007, Attali a coopté Macron dans sa prestigieuse «commission pour la libération de la croissance française», chargée par le Président de la République (Nicolas Sarkozy, à l’époque) de formuler des recommandations afin de relancer la croissance économique en France.
L’objectif principal de ce cénacle de grands patrons était d’ «instaurer une nouvelle gouvernance au service de la croissance». Les 40 membres de la commission représentaient les intérêts du grand capital, et pas seulement le capital français. Parmi les voisins invités à formuler la liste de 316 propositions pour remodeler la France se trouvaient la Deutsche Bank et Nestlé. Le jeune Macron a un carnet d’adresses bien rempli.
En 2008, sur recommandation d’Attali, Macron passe à la Banque Rothschild, où il devient rapidement millionnaire, grâce à sa commission sur un achat par Nestlé d’un montant de neuf milliards de dollars.
«Très habile, extrêmement apprécié de tous les membres de la commission. Ne contrariant personne» se souvient Jacques Attali, Emmanuel Macron se crée rapidement des relations personnelles; arriver immédiatement à être visible par 40 personnes puissantes, influentes et qui jugent, c’est un accélérateur de carrière extraordinaire.
Alain Minc, un autre bon connaisseur des réseaux du pouvoir, commente la réussite de Macron en expliquant qu’un banquier d’affaires doit être intelligent, souple, rapide et charmant – qualités nécessaires pour «un métier de pute».
Grâce à Jean-Pierre Jouyet, Macron est coopté en 2007 par le club des Gracques, qui se consacre à la propagation des «valeurs» basées sur l’idée que l’Etat social keynésien est dépassé par la globalisation et la construction de l’Europe.
En 2011, Macron est coopté par le Club de la Rotonde, qui conseilla au Président Hollande d’infliger à la France un “choc de compétitivité” – c’est-à-dire de favoriser l’investissement en réduisant les dépenses publiques et le coût du travail.
En 2012, il est accueilli par la French-American Foundation, qui se vante de sélectionner les «jeunes leaders» de l’avenir.
En 2014, les choses se précisent. Le «révolutionnaire» assiste à la réunion annuelle de Bilderberg, aréopage de sommités économiques, politiques et parfois aristocratiques occidentales qui exerce une influence certaine sur l’Union Européenne et dont pas un mot ne sort des réunions.
Macron passe du rôle de conseiller du Président Hollande à ministre de l’Economie, des Finances et du Numérique dans le gouvernement de Manuel Valls, où il fait adopter le programme de la commission Attali, sous prétexte de promouvoir la croissance et, bien sûr, de «créer des emplois». On compte parmi ses exploits la vente du secteur énergie d’Alstom à General Electric, contre le refus de son prédécesseur Arnaud Montebourg.
Au gouvernement, Macron a réussi à faire adopter les mesures les plus impopulaires de la Présidence Hollande, ce qui n’est pas peu dire. Sa «loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques», dite loi Macron, allait dans le sens des directives de Bruxelles exigeant de nombreuses dérégulations de l’économie, mais n’a pas pu obtenir une majorité au parlement. Elle a dû être adoptée par le recours à l’article 49.3 de la Constitution qui permet au Premier ministre d’adopter une loi sans vote du parlement.
Vient ensuite la «réforme» (ou démantèlement) du code du travail. La jeune ministre du Travail, Myriam El Khomri, qui donne un joli visage et une appellation évoquant la «diversité», porte le chapeau. Cette législation va susciter des semaines de protestations, diviser le Parti Socialiste et obliger Manuel Valls à utiliser encore une fois l’article 49.3.
Comment vendre du Macron?
Dans les premiers temps où Emmanuel Macron exerce le poste de ministre de l’Economie, il ne fait pas encore la une de tous les grands quotidiens. Vaguement connu du grand public, il est relativement peu apprécié. Ex-banquier chez Rothschild, libéral, bling-bling, instigateur d’une loi sur la dérégulation du travail plutôt mal reçue par les travailleurs: voilà comment Macron est vu par l’homme du commun.
Commence alors la surexposition médiatique d’Emmanuel Macron. Choyé par les élites intellectuelles et journalistiques, il ne tarde pas à devenir un sujet d’actualité privilégié pour la grande presse. Macron a été, et de très loin, la personnalité politique la plus médiatisée durant les deux dernières années. Libération, le Nouvel Observateur, le Monde et l’Express totalisent plus de 8.000 articles évoquant Emmanuel Macron de janvier 2015 à janvier 2017; à titre de comparaison, la totalité des articles évoquant Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon dans les mêmes quotidiens et sur la même période de temps ne s’élève qu’à 7.400.
Une béatification médiatique
«L’iconoclaste» Macron incarne selon les éditorialistes le «renouveau» et la «modernité».
Les journalistes s’enthousiasment, les rédacteurs en chef jubilent. Emmanuel Macron inspire des élans lyriques à Laurent Joffrin et Nicolas Beytout, directeurs de Libération et de l’Opinion.
Ce sont les mêmes raisons qui sont avancées par les actionnaires de ces médias pour justifier leur sympathie vis-à-vis d’Emmanuel Macron. Ainsi, si Pierre Bergé (actionnaire au Monde et à l’Obs) et Vincent Bolloré (actionnaire à Canal+) lui apportent leur soutien, c’est parce qu’ils sont respectivement charmés par sa «jeunesse» et sa «modernité».
Pendant plusieurs semaines. la vie sentimentale du ministre va devenir une question essentielle et âprement débattue au sein de la presse politique et de la presse « people ».
Le couple est conseillé par Michèle Marchand, aussi connue sous le nom de «Mimi». A la tête d'une des plus grandes agences photographiques françaises, le Point la décrit comme «la grande prêtresse des scoops people de la presse française».
L’idylle du couple Macron, devient sous sa coupe, la réminiscence d’une forme d’amour courtois à la française. C’est ce qu’incitent à penser le Monde ou le Figaro, selon lesquels la relation entre Brigitte et Emmanuel Macron permet d’expliquer le succès du ministre de l’économie auprès de l’électorat féminin; Libération y voit le signe d’une égalisation des conditions; plus analytique, l’Express estimera que l’accueil négatif que recevrait ce couple serait symptomatique du refus qu’opposent les Français à la modernisation de leur système politique et social, pas moins... Et hop.
Un vrai rebelle, ce Macron...
La barbe de trois jours du ministre de l’économie défrayera également la chronique journalistique.
Ainsi, selon les Echos, le port de la barbe constituerait une «transgression» de la part d’Emmanuel Macron. Un élément qui permet de comprendre pourquoi la presse trouve un caractère «subversif», «iconoclaste» et «anti-système» à Macron?
Macron avait beau faire, son parcours incarnait à lui seul les collusions entre le monde politique et les grands intérêts financiers; même François Bayrou a pu s’en émouvoir, avant de retourner sa veste et de l’adouber. Rien de tel, lorsqu’on est porté par le système, que de se déclarer «anti-système» pour se refaire une virginité. Que cette information loufoque soit relayée avec autant de sérieux par la grande presse pose question.
En janvier, le magazine Foreign Policy présentera le jeune rebelle au public étatsunien comme «le politicien français anglophone et germanophile que l’Europe attend».
Jeune, romantique, anti-système: après avoir présenté l’ex-ministre sous ces traits élogieux pendant des mois, après avoir fait de sa démission le point de départ d’une nouvelle révolution, la presse n’a plus qu’à se féliciter du travail accompli en constatant le progrès d’Emmanuel Macron dans les sondages.
Conséquence de ce bourrage de crâne intense et systématique, Emmanuel Macron est désormais crédité de plus de 20% et considéré comme la personnalité politique préférée des Français dans un sondage réalisé pour BFM-TV.
Libération, le quotidien «progressiste» «de gauche» financé par Patrick Drahi et Edouard de Rothschild, qualifie le phénomène Macron d’«incontestable» et le jugent même - après plus de 17.000 articles, des centaines de reportages élogieux à la télévision et le soutien constant et systématique des élites médiatiques françaises – «imprévisible».
Prophétie auto-réalisatrice
L’efficacité de la prophétie auto-réalisatrice repose sur la force de conviction que possède un horoscope, une prédiction politique ou un sondage. Si le succès d’un politicien est prédit par un chroniqueur influent, il a de fortes chances de se concrétiser.
Les semaines passent et se ressemblent: Macron fait la une des médias, il obtient le soutien de nombreux analystes, politologues et «experts» invités sur les plateaux télés. Prenant sans doute la surexposition médiatique d’Emmanuel Macron pour le symptôme d’un engouement populaire, un nombre croissant de journalistes plaide, implicitement ou directement, pour une candidature du poulain de Jouyet, Attali & Cie.
L’annonce de la candidature d’Emmanuel Macron étant prononcée à une heure de grande écoute (plusieurs millions de téléspectateurs), elle deviendra effectivement, comme sa démission du ministère de l’économie (17 et 22 minutes au JT de TF1 et France 2), un moment important pour la campagne présidentielle.