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Réflexions sur la mort, douleurs de privilégiés
Banc Public n° 178 , Mars 2009 , Kerim Maamer
Mon père vient de décéder ce 13 janvier 2009… C’est une rupture définitive et une profonde tristesse. Pourtant, il n’est pas mort à la guerre ou dans un bombardement de Gaza, ni dans un accident de voiture ou à la suite d’une longue maladie. Il est mort à 79 ans dans son lit, en fin de matinée… Il est parti le plus discrètement possible, sans avertir et sans se plaindre. Depuis quelques temps, il manquait d’appétit et perdait du poids. Nous n’imaginions pas que cela allait générer l’irrémédiable. J’avais remarqué que cet homme sociable avait perdu le goût des autres.
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Tout au long de sa vie, il s’est préoccupé d’autrui, pour les chérir ou apaiser leurs rancunes. Arriva ce moment où il souhaita qu’on le laisse tranquille dans sa méditation et dans ses prières. Il devait affronter une ultime épreuve, pour élever son âme vers le ciel. Il ne voulait déranger quiconque. Lorsque maman lui demanda « s’il souhaitait qu’on appelle ses enfants », il répondit de « l’inutilité de les déranger car son état s’améliorait ». Effectivement, pour rassurer tout le monde, la veille de son départ, il se fit couper les cheveux, mangea d’un bon appétit, prit un bain, mit son beau pyjama de soie et s’endormit. Le lendemain au réveil, il salua tout le monde et réclama qu’on lui apporte la télévision dans sa chambre. Tandis que les gens s’activaient dans leurs folles journées, papa rendit son dernier souffle vers 11h.
Le récit de ce deuil est personnel mais il concerne tous les humains. Toutes les organisations ont développé un rituel de la mort. Celui de mon expérience me donne l’occasion d’apprécier le profond de notre civilisation et de notre culture. Le rite de la mort tient d’une philosophie active, qui donne un sens à la perte, contribue à resserrer les liens de l’entourage et entretient par là , un esprit de solidarité et de renforcement du lien communautaire. Des valeurs qui fondent notre culture et qui justifient notre longue paix civile en Tunisie. Il convient d’apprécier ces valeurs, pour les transmettre et préserver cet esprit auprès des futures générations. La philosophie de la mort me fut enseignée par Montaigne à l’école. Mon père avait entretenu le devoir de rendre hommage aux familles endeuillées. J’ai toujours gardé une anxiété de perdre un parent. C’est donc à un âge mature, avec une pleine conscience de la mort que je vis ce sentiment du deuil et ma douleur reste réelle. La perte d’un cher nous oblige à arrêter le temps pour une philosophie essentielle sur le genre humain. Que de choses futiles rendues essentielles par nos vies actives, qui nous font oublier l’essentiel de notre affection humaine. Aurai-je dû être mieux présent auprès de mon père ? Lui laisser une meilleure satisfaction de nous-mêmes et de notre devenir ? Notre doute l’aurait-il rassuré ?
Au premier jour de deuil, face à ce corps inanimé, j’appelai vainement mon papa pour qu’il se relève. J’ai massé sa main pour favoriser sa circulation sanguine. J’ai espéré qu’il chauffe et qu’il bouge. Mon émotion était trop vive. Notre proche famille et les amis les plus fidèles avons veillé silencieusement, sous les lueurs, devant ce corps de papa. Au lendemain, les objets, les moments, les lieux rappelaient douloureusement sa présence. Nombre de gens viennent rendre visite pour un dernier hommage et exprimer l’empathie à notre famille éprouvée. La tristesse était sincère et les pleurs discrets, en cohérence avec les préceptes de notre Islam qui prohibe les excès démonstratifs. Leurs présences apaisaient notre chagrin. Après les chants religieux et les prières, le cortège du défunt est accompagné vers sa dernière demeure.
Les moments du deuil sont de grandes émotions où se mêlent des sentiments différents, parfois opposés. On ressent à la fois la solidarité, la compassion, l’expression du pardon, de l’amitié. Les moments, les lieux, les objets ne peuvent se défaire de l’emprunte de papa. Parfois, des souvenirs hilarants reviennent à notre mémoire. Lorsque des amis de vieille date, réapparaissent à ce moment de condoléances, c’est alors l’explosion de nos émotions par des larmes qui coulent d’un flot et d’une étreinte fraternelle qu’on ne saurait empêcher. Nos meilleurs remerciements vont vers la famille et les proches qui nous ont réconfortés par leur disponibilité immédiate et leur présence quasi-quotidienne. Certains sont venus de très loin pour cet ultime hommage. Ces amis sincères ont contribué à l’accompagnement des rites funéraires, les démarches institutionnelles, l’organisation logistique, des repas, des ch½urs religieux… Près de 500 personnes sont venus lui rendre hommage (ca se passe à Tunis). Certains ont échangé leurs souvenirs et leurs émotions à propos de papa. Je découvre le patrimoine social d’un Homme qu’il me transmet en dernière faveur.
Mon père était un homme d’une simplicité parfaitement cohérente avec la tradition islamique à laquelle il était attaché. Il ne se plaignait jamais, ne parlait pas beaucoup de sa personne. Tout au long de sa vie, il s’est préocÂcupé des autres, prenant à c½ur leurs difficultés, apaisant leurs rancunes. Il n’aimait pas le mensonge et l’avidité. Il acceptait de prendre les torts à son compte pourvu que la paix soit préservée. Il avait une saine hygiène de vie et d’alimentation, pratiquait l’exercice. Avec ces règles simples, il a vécu en bonne santé, s’est assuré une vie de paix, d’équilibre et d’amour. Notre planète pourrait prendre en modèle la simplicité de ces gens ordinaires.
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Kerim Maamer |
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Biblio, sources...
(*) L’expression «Grand Moyen Orient» recouvre l’ensemble des pays majoritairement musulmans connectés géographiquement avec le Moyen Orient. D’après Wikipédia, elle aurait été introduite par le calamiteux ex-Président des Etats-Unis, Georges Bush.
(1) «Moi Nojoud, 10 ans, divorcée», par Nojoud Ali et Delphine Minoui, Editeur Michel Lafon, Janvier 2009, 218 pages, 20,35 euros
(2) «L’image de la femme au Maghreb», articles de quatre auteurs, Actes Sud, Novembre 2008, 121 pages, 20,78 euros
(3)10 ans, divorcée
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