Joutes printanières

Banc Public n° 109 , Avril 2002 , André GUISSART



Nos villes recèlent encore quelques rares jardins secrets. La verdure neuve s’y déploie plus rapidement qu’à la campagne. Des oiseaux profitent des moindres anfractuosités pour s’y maintenir..

Sur un toit bleu, qui surplombe une muraille, une douzaine de moineaux font du vacarme comme cent. Leurs piailleries, leurs cris furieux dépassent en vigueur l’ordinaire mesure. Ils se trémoussent au faîte du toit. Ils échangent les plus virulentes invectives, les plus gouailleuses apostrophes, avant d’engager le combat de l’ongle et du bec.
Du trottoir, en levant la tête, on aperçoit le peloton aux plumes ébouriffées se chamaillant furieusement, saisi de la noble émulation de mêler sa turbulence aérienne au tapage de la rue. Au ton excessif de la discussion, il est à présumenr que le débat est d’importance.
La déclivité du toit paraissant sans doute peu favorable aux antagonistes pour une lutte en règle, tout le monde descend dans la large gouttière qui ourle le bord extrême des ardoises. Là, une bataille acharnée met définitivement les adversaires aux prises. Les pépiements courroucés, le cliquetis des ongles sur le zinc, tout cela renforcé par la sonorité du chêneau, fait en vérité un sérieux tintamarre. Tout à coup, plus de cri, plus de piétinement, rien qu’un bruissement qui descend le long du tuyau. L’un des combattants est tombé dans l’orifice de la gouttière et les autres restent silencieux, stupéfaits de cette disparition inattendue.
Un passant, déambulant à proximité du champ de bataille, devine ce qui se déroule et tend une main au bas de la gouttière. Il n’a qu’à refermer les doigts sur lavictime de cette chute imprévue.
Effaré, l’infortuné guerrier, après les émotions de la lutte et de la descente dans l’obscurité, se retrouve dans des serres qu’il croit ennemies. Son coeur bat précipitamment, son oeil à la paupière dilatée se fixe avec épouvante sur le géant, maître de son destin.
Le passant considère cette boule de plumes avec un regard qui n’a rien de féroce. Il reconnait en sa proie non un moineau de ville mais un moineau de campagne, à la conformité différente, habillé d’un plumage moins foncé. Le moineau que l’on rencontre dans les champs de blé mûr et sur les haies dont il fait son dortoir et où il arrive régulièrement à la tombée du jour en battant une sorte de rappel de sa petite voix criarde.
Le détenteur du destin du franc combattant s’écarte du trottoir et, souriant, ouvre la main. Alors, l’infortuné avec un seul cri aigu pimpant comme une clameur de joie, se lance d’un trait dans l’espace. Au-dessus des cheminées et des arbres mutilés de l’avenue, il file à toutes ailes vers ses champs et ses bosquets sans réclamer son reste. Le prendra-t-on encore à venir s’exposer aux embûches de la ville, aux coups de ses frères citadins? En attendant, on ne remarque pas la plus légère déviation dans son vol, la moindre velléité de s’arrêter quelque part pour visiter un autre coin de la cité des pièges.
Mais que venait faire à la ville ce moineau des champs?
Etait-ce un ecclésiastique invité par ses chefs religieux pour des manquements à son évêque?
Etait-ce un candidat désabusé d’un concours de recrutement?
Etait-ce un fonctionnaire convoqué pour un signalement par quelques ayatollahs de sa hiérarchie?
Etait-ce un mari volage courant l’aventure sans vergogne?
Etait-ce un féru de politique cherchant à semer l’ivraie ou le bon grain sur un terrain mal préparé à le recevoir?
Etait-ce un inspecteur chargé de la conduite d’une enquête scabreuse?
En tous cas, pour avoir osé tenir tête à la douzaine de brailards d’un quartier où les moineaux sont particulièrement agressifs c’était indubitablement un brave. La bravoure est précisément la qualité maîtresse des moineaux.


André GUISSART

     
 

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