DILEMME D’ADAM

Banc Public n° 211 , Juin 2012 , Kerim Maamer



Au plus profond de la mémoire humaine, l’impérissable mythe d’Adam et Eve évoque une idéologie primitive de l’organisation humaine pour promouvoir de l’esprit saint une philosophie du bien. Enveloppé de pudeur et de poésie, il tente une explication sur l’abstraction et le processus de vie. 

Le mythe s’avère profond de sens philosophique, tant il évoque les idées de conscience, de création, d’interdit, de besoins, qui sont à la base de l’organisation sociale. Les réflexions qu’il a soulevées ont traversé les siècles de lumière, de culture et de science sur l’existence et la conscience, les pulsions et la libido, les besoins et l’économie, le pouvoir et l’autorité, la femme et l’homme.

Dans le récit, probablement recomposé, Adam et Eve vivaient dans le jardin de l’Eden, « naïfs » et « heureux », tant qu’ils ne toucheraient pas à l’arbre de la connaissance. Inspirée par le serpent, la première dame eut la tentation de goûter au fruit défendu. Répondant à son désir, le premier homme lui cueillit le fruit interdit. Adam prend conscience. Honteux, il découvre sa nudité. La désobéissance provoqua la colère de Dieu qui les chassa du paradis. Eve est punie «d’accoucher dans la douleur » et  Adam de devoir « se nourrir à la sueur de son front ».

 

La conscience

Le mythe peut avoir différentes lectures. Adam et Eve sont les représentants de l’espèce humaine. Ils sont au « paradis », dans le « jardin d’Eden »… un monde indéfini, de l’abstraction, de l’inexistant, sans conscience et sans besoins. Eve entend Dieu mais se convainc que « la mort de l’éternité mènera au début de la vie » et qu’elle sera à « l’équivalence de Dieu, apte à juger d’elle-même ». Lorsqu’Adam touche à l’arbre de la connaissance, il prend conscience. L’acte de vie prend naissance. Adam et Eve sont chassés de l’Eden pour aller sur la terre. Ils vont du néant à l’existant,  de l’indéfini au défini, de l’irréel au réel, de l’impalpable au palpable…de la mort à la vie.

 

La tradition religieuse a défini une opinion sur les intervenants. Dieu est le bon. Le serpent est le malin. L’obéissance est juste. La désobéissance est péché. Cette conception est une forme primitive de l’idéologie qui a eu l’indéniable mérite de structurer l’organisation sociale et bâtir nos civilisations.

 

« L’interdiction » indique qu’il n’appartient pas à la créature de juger du bien ou du mal, mais à l’autorité de définir cet ordre selon des principes rationnels et cohérents à l’intérêt des humbles. Il y a le souci de l’organisation sociale, de l’autorité, de la discipline et de la gestion... Si l’Occident s’est détaché du concept religieux, qui a lui-même créé de nouvelles formes d’organisation politique, d’autres cultures restent accrochées aux vérités sacrées.

L’esprit du mal

Dans une lecture chrétienne, le mauvais rôle est tenu par le serpent, défini comme l’animal malin qui enroule de son influence le corps d’Eve. Il y aurait beaucoup à dire sur la mystique du serpent, à la fois symbole divin, symbole phallique, symbole de vie, symbole de mort… mais aussi symbole de guérison, de savoir, de sagesse.

 

La tradition islamique ne représente pas le serpent, parce que la religion rejette toute représentation. Cependant, elle parle d’Ibliss… sorte de démon malin, invisible, toujours présent, qui trompe l’homme et l’induit en erreur.  Si le serpent n’est pas représenté en Islam, le sens du serpent semble présent. Le chuchotement d’Ibliss  pourrait être relié au serpent, par la sonorité « iss » du sifflement et de son verbe « waswass » qui signifie l’influence négative. D’ailleurs, les mots de langues sémitiques (chaldéen, araméen, arabe, hébreu…) révèleraient une proximité des mots pour définir le serpent et la vie, que des linguistes pourraient confirmer. Dans la culture arabique pré-islamique qui garde son influence, le sifflement est prohibé comme s’il appelait le démon. On retrouve encore l’influence sur les jeunes gens qui sifflent les filles pour appeler à la mauvaise tentation !

 

(suite page 4)

 

Brèves de juin

 

Le cas islandais

Pour mémoire, suite au crash financier de 2008,  la population islandaise a fait démissionner un gouvernement au grand complet. Les principales banques ont été nationalisées et il a été décidé de ne pas payer la dette qu’elles avaient contractée auprès de banques en Grande-Bretagne et en Hollande, dette générée par leur mauvaise politique financière. Les responsables de la fiscalité en Islande ont  inculpé deux dirigeants des banques qui ont commis des fraudes au moyen de prêts non autorisés pendant les opérations qui ont conduit son système financier à s’effondrer en 2008 : l’ancien PDG responsable de la faillite de Glitnir, Larus Welding, et le responsable des finances de l’entreprise, Gudmundur Hjaltason,  auraient abusé de leur position pour fournir environ 102 millions d’euros sans garanties de la part des bénéficiaires et sans avoir consulté le département de gestion des risques. En septembre 2010, l’ancien Premier ministre Geir Haarde a été mis en procès pour négligence dans la gestion de la crise. Interpol a également émis un mandat d’arrêt international contre l’ancien président de Sigurdur Einarsson. En avril 2011, les citoyens ont de nouveau dit non lors d'un nouveau réfEtre de conscience

Une lecture neutre du mythe donnerait une autre vision. En associant le serpent à l’idée du mal, on lui a donné une dimension de Dieu… Il deviendrait donc l’autre parole de Dieu… sa contradiction ! Lorsque Dieu dit à Adam, « l’homme mourrait à goûter le fruit de la conscience », le serpent répond à Eve « qu’elle n’en mourrait pas mais gagnerait une place de Dieu»… Lorsqu’il goûte au fruit de la connaissance, l’homme disparaît de l’éternité et vit dans la conscience de soi.  Adam meurt du jardin de l’Eden pour rejoindre le monde vivant... Il quitte l’aire de l’abstraction, pour le réel.

 

La conscience est une dimension nouvelle du pouvoir, celle de choisir et de juger de soi-même. Eve a pris un pouvoir de Dieu lorsqu’elle a posé son choix de  conscience : mourir de l’inexistant ou naître dans le réel ? La désobéissance à l’ordre de Dieu est le premier acte de conscience, qui implique en conséquence immédiate le châtiment ou la responsabilité de prise en charge de la vie.

 

Adam et Eve sont définis au sens premier du terme : « je suis donc j’existe». De la conscience naît l’existence, qui exprime le désir, lequel conduit à la vie et à ses besoins. L’idée de « l’être et de la conscience » a beaucoup marqué les réflexions de la philosophie et les écrits de la littérature occidentale. On  la retrouve dans le cogito de Descartes « je pense donc je suis », ou dans « la question d’être ou ne pas être» de Shakespeare.

 

Le rationalisme

Les religieux ont évoqué la nécessité pour l’homme de s’identifier ou se construire à l’image de Dieu. Le sens de Dieu est le pouvoir d’aptitude à juger de soi-même. Plus que la conscience, il y a encore la volonté de se référer à la perfection du monde. Il faut considérer l’admiration de l’homme pour la nature et ses questionnements sur le monde, sur la vie, le surnaturel,  l’incompris, l’inexplicable dont le rapport mène au naturel, au réel, à l’existence. La référence à cette puissance de Dieu devient l’ambition de l’homme pour rationaliser sa pensée, à l’image de la rationalité de la nature. La philosophie religieuse établit donc une corrélation de l’ordre rationnel de la pensée, à celui de la nature, qui a permis de faire avancer la culture et la science de l’homme.

Coalition de genre

Une relecture du mythe d’Adam décrypterait une appréciation féministe, contraire aux préjugés de sexisme. Une blague ancienne fait dire que Dieu aurait donné une « côte » à Adam, avec laquelle celui-ci se plaisait à jouer dans le jardin. Tandis qu’il donna un « cerveau » à Eve pour qu’elle pose les questions existentielles. Effectivement, c’est Eve qui pose la question fondamentale ; qui ordonne le choix ; qui détermine la vie. Elle ne prend pas le risque de cueillir le fruit défendu. Elle persuade le brave Adam qui obtempère. Ainsi, diverses interprétations peuvent expliquer les attitudes, qui modifient la vision du rapport homme-femme dans le texte religieux.

 

Si ce n’est l’intelligence de la femme, on peut y voir la biologie. Enveloppée de pulsions sensuelles, Eve provoque le désir. En y répondant, Adam  pénètre profondément sa côte dans la chair. Le désir charnel des amants provoque la création de la vie et de l’existence. L’homme engendre l’homme, le conduisant du néant à l’existant, de l’irréel au réel, du « paradis » à la terre, de la mort à la vie.

 

La tentation pour le « fruit défendu » est une expression du désir sexuel, plus tard décrit par Sigmund Freud comme la libido, qui déterminerait autant de conséquences que nos influences et comportements.

 

Responsabilités

Dans le « péché » originel, il y a une expression d’interdit. Eve aurait été inspirée par la mauvaise intention du «malin». Les autorités religieuses, particulièrement sémitiques, ont établi des restrictions autour de l’instinct charnel parce qu’il est cause de naissances, de vies… et de responsabilités.  Il y a le poids de l’homme dans l’existence à assumer. Le « fruit» est dit « défendu », au nom de ses conséquences, en cohérence avec la douleur de l’accouchement, la protection des naissances, le devenir des enfants, la responsabilité d’élever sa progéniture... Il faut entendre là, une fondamentale préoccupation pour le soin de l’enfant et la capacité de l’élever dans de bonnes conditions.

 

Le châtiment

En cueillant le fruit, l’homme a exprimé son besoin… C’est le fondement de l’économie. L’homme a des besoins d’eau, d’alimentation, de sécurité, de protection, de reproduction… C’est le sens de l’existence. S’il ne parvient pas à les satisfaire, il retourne dans le non-existant, le jardin de l’Eden, là, où il n’y a pas de besoins. C’est une définition fondamentale de l’économie, à la base de la vie et de l’organisation sociale.

 

Dieu sanctionna l’homme de devoir « nourrir sa famille à la sueur de son front ». C’est le poids de l’économie que de répondre aux besoins, par une production, une organisation de la vie en cohérence avec le milieu naturel et les potentialités... avec des souffrances humaines non détaillées pour satisfaire nos besoins … Les conditions  cruelles de l’existence rendent nostalgiques de la non-existence. En phase de désespoir, l’homme finit par idéaliser ce lieu du « Jardin de l’Eden », sans conscience, sans besoins et sans souffrances. Le mythe finit par idéaliser ce lieu de paradis, avec une croyance de  bonheur éternel, sans conscience, sans souffrances et sans besoins.

 

C’est ce lieu immatériel, impalpable, de l’indéfini, inexistant, irréel, non physique… par opposition au monde de la vie, de ses difficultés et de ses souffrances. Ce lieu  vers lequel nous retournerons tous finit par avoir une connotation positive. Pour les uns, il est la force d’une psychologie humaine qui permet de supporter son destin. Pour d’autres qui peuvent l’accepter, c’est un lieu de l’extinction, sans présence, sans expression, sans pensée, ni sentiments.


Kerim Maamer

     
 

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