Les médias, les hommes et femmes politiques, les partis sont soumis à une analyse rigoureuse au terme de laquelle il dénonce ou les contradictions ou les paradoxes. Soyons de bon compte, peu trouvent grâce à ses yeux et son analyse est parfois un peu univoque. Il a cependant le mérite de poser les questions et de faire réfléchir sur des concepts soi-disant acquis mais qui ne le sont que pour l’establishment.
Avec un pareil discours, Michel ONFRAY est souvent vilipendé et on accepte peu qu’il puisse penser de manière indépendante.
Son dernier livre secoue le cocotier et les bien-pensants et plaira à tous ceux qui remettent en question les vérités imposées ou révélées.
Le préambule définit le miroir aux alouettes telle que repris dans la Chasse à tir de Paul CUNISSET-CARNOT.
L’auteur écrit que le miroir est la perdition de l’alouette, car « elle est incapable de se soustraire à l’étrange attirance qu’il exerce sur elle. Son pouvoir fascinateur est sans limites » (p. 9).
Voilà donc un voyage au miroir des alouettes où les alouettes sont nous tous, les citoyens jouissant du droit de vote et donc du droit de choisir les gouvernants.
Le livre comprend une préface :
Mener une vie de gauche ;
une introduction :
Principes d’athéisme social ;
et huit chapitres :
1. Adolf Hitler n’est pas mort
La déréliction sémantique
2. La philosophie est un sport de combat
Les mauvaises odeurs de l’arène
3. Anatomie d’un bouc émissaire
Généalogies du Front national
4. Caducité du vieux monde
Le costume sur mesure du Général
5. Le gout de la servitude volontaire
Du beau mot de souveraineté
6. La machine à fabriquer des abrutis
La propagande médiatique
7. Ni dieux, ni maitre
Peut-on encore être athée ?
8. Colibri et miroir aux alouettes
Le principe de Gulliver.
Notre propos ici n’est pas de décrire chaque chapitre, mais de relever ce qui nous a particulièrement interpelé.
Dans sa préface, Michel ONFRAY rappelle tout d’abord les principes de la gauche à travers plusieurs témoignages de sa jeunesse. Mener une vie de gauche, ce n’est pas voter à gauche mais bien « donner, partager, distribuer ce que l’on a : du temps, de l’argent, de l’énergie, de l’affection, de l’écoute, de la bienveillance, de l’amitié, de la solidarité, de la tendresse, de la disponibilité » (p. 16).
Il continue en direct :
On doit mener une vie de gauche, et ne pas se contenter de parler à gauche ; on doit vouloir une gauche qui ne hait personne, surtout pas ceux qui ne pensent pas comme nous, donc qui se trouvent plus à l’aise à droite et que je ne méprise pas ; parce que de gauche, on doit défendre la droite quand elle est attaquée ou, parce que, athée, on doit défendre les religions quand elles le sont aussi ; on doit vouloir la justice sociale et, pour ce faire, ne jamais utiliser des moyens injustes pour y parvenir ; on peut, on doit, refuser toute forme de violence, pour peu qu’on vive dans un régime démocratique ; on peut construire toute une politique sur le refus de toute peine de mort –la guillotine d’hier ou les guerres d’aujourd’hui. C’était la leçon de Camus. C’est la sienne. Ce fut la mienne.
A propos de son engagement à gauche, Michel ONFRAY écrit : on est de gauche par ce que l’on fait, pas par ce que l’on dit. Surement pas par ce que l’on vote (p. 27).
Et de citer de multiple exemples où son vote a été trahi, comme celui accordé à MITTERRAND en ’88 ou ceux accordés à BESANCENOT en 2002, ou à BOVé ou encore à MELENCHON.
Finalement l’auteur opte pour l’abstention puisque les scrutins aboutissent toujours au même résultat, à savoir l’élection d’un libéral de gauche ou de droite mais un libéral !
L’auteur estime que ne pas voter est un devoir quand ceux qui se présentent aux suffrages se moquent d’honorer les promesses pour parvenir au pouvoir. Ça n’est pas le vote qui devait être obligatoire, mais le respect de ses engagements de la part des élus (p. 33).
Ces propos nous renvoient dramatiquement à la situation belge au moment de la négociation pour la constitution du gouvernement DI RUPO.
Alors que les partis francophones et leurs élus avaient pris l’engagement de ne pas scinder BHV sans compensation, tous ont renié leur engagement pris devant l’électeur à la notable exception des FDF. BHV a été scindé sans compensation et seules les facilités existantes dans les six communes ont été préservées.
Pour ONFRAY, le mandat impératif s’impose. « L’électeur désigne un élu qui n’a pas de droits mais des devoirs : en l’occurrence celui de respecter des engagements au nom desquels il a obtenu ses suffrages. S’il manque à sa parole, alors il est destitué en cours d’exercice par l’assemblée lui ayant confié son mandat. C’est donc l’électeur qui contrôle son élu et non l’élu qui enfume son électeur » (p.33).
Proposition intéressante, mais on voit mal une assemblée destituer la plupart de ses membres.
â— Adolf HITLER n’est pas mort
Le nazisme
Dans ce chapitre, l’auteur se penche sur la signification des mots et le rapport qui est fait avec le nazisme, HITLER, les camps de la mort, Pétain, et ce qui permet d’interdire le débat.
Qualifier quelqu’un de national-socialiste a pour effet d’empêcher toute discussion et de mettre hors jeu le destinataire, ou en tout cas ses arguments. Hitler, les camps de la mort la Shoah rappellent des faits graves et criminels et ne doivent pas être banalisés pour qualifier tout comportement qui ne plait pas.
Les résistants
Même réflexion à propos de la résistance. Il faut en finir avec le mythe gaulliste d’une France résistante, tout autant qu’avec le mythe antigaulliste d’une France vichyste.
Cette légèreté dans l’usage du terme « résistant » a duré jusqu’à aujourd’hui. Quiconque désobéit aux lois promulguées par un Etat de droit se présente désormais comme un résistant (p. 49). Un instituteur qui refuse d’appliquer une circulaire de l’Éducation nationale devient un résistant, ce qui en dit long sur l’utilisation abusive du terme.
Il faut faire de l’histoire et en finir avec la mythologie qui permet à tout un chacun de se dire résistant pour tout et rien ! La résistance fut minoritaire : moins d’un pourcent de la population française. Autant que la collaboration !
L’extrême droite
L’extrême droite ne croit pas aux élections et fustige la représentation démocratique parlementaire ; elle lutte ouvertement et violemment contre les Juifs et les francs-maçons ; elle recourt à des moyens illégaux : la violence des rues, les attentats, les passages à tabac, les milices armées, l’huile de ricin sous Mussolini ; elle s’appuie sur la tradition catholique ; elle veut une France « fille aînée de l’église » ; elle enseigne la supériorité de la race blanche et, en son temps, elle justifiait le colonialisme, dont celui de l’Algérie ou, plus récemment, le régime sud-africain de l’apartheid ; elle voue un culte à la virilité du chef et affecte une homophobie qui, ici ou là, ne recouvre pas toujours la sociologie de ses grandes figures ; elle assigne les femmes au mariage, à la procréation, à la famille ; elle est hostile au divorce et à l’avortement ; elle défend l’Etat fort avec à sa tête une figure dictatoriale dont la seule parole dit la loi et ce contre la délibération parlementaire ; elle ne remet pas en question le capitalisme ; elle voue un culte nationaliste et patriotique au drapeau ; elle refuse en bloc la Révolution française et l’art contemporain. (p. 54)
Sur la base ce ces critères, il en conclut que Marine LE PEN n’est pas d’extrême droite, contrairement à son père et à sa nièce.
â— de GAULLE
Dans son chapitre intitulé « La Caducité du vieux monde », l’auteur s’interroge sur le ressort du gaullisme et plus particulièrement sur la politique et l’éthique du général de GAULLE et sur son rapport aux libéraux.
Ces libéraux-là n’aiment pas de Gaulle, parce que de Gaulle n’aimait pas ce qu’ils aiment : la génuflexion devant l’argent, la religion de la futilité, le culte des objets et des choses, la passion de la superficialité, la vie incestueuse dans les mondanités, le tropisme tribal dans deux ou trois quartiers de Paris, le snobisme comme profondeur, le viatique de la médisance, la réduction de l’être au paraitre, le narcissisme égotique.
Les libéraux n’ont jamais aimé de Gaulle qui avait le sens de l’histoire alors qu’eux n’ont que le sens des affaires. Quand de Gaulle dit : « La politique ne se fait pas à la corbeille », ils s’offusquent car ils croient au contraire que c’est la corbeille qui tient lieu de politique (p. 114).
Et encore :
De Gaulle ne fut pas libéral, car il refusait tout aussi bien le capitalisme, dont le libéralisme est la gourmandise, que le communisme, dont la religion est la planification technocratique. Il récusait tout autant l’opposition entre droite et gauche en affirmant que cette lecture horizontale des choses manquait de hauteur et qu’il lui en préférait une autre, verticale, qui opposait en haut ceux qui veulent une France grande et forte, en bas, ceux qui aspirent à la diluer dans de plus grands ensembles. Son pragmatisme lui faisait aussi bien recourir à des idées libérales, avec Jacques RUEFF par exemple, qu’à des idées qui ne l’étaient pas, la planification, les nationalisations, l’étatisation, avec Maurice THOREZ par exemple, quand ces chois fortifiaient et grandissaient la France (p. 117).
Comment en effet ne pas être interpelé par cette réflexion quand le clivage gauche-droite en Belgique aboutit à des aberrations économiques ?
Quand la « gauche » chasse les entreprises et quand la droite manque de vision dans les investissements, c’est l’ensemble de la société qui paie la facture ! En Belgique, on est dépourvu de plus du ressort de la fierté nationale…
La grandeur de la Belgique est en effet un concept qui ne se conçoit pas d’autant que deux ou trois sensibilités coexistent et d’autant qu’un Etat, l’Etat flamand, se constitue à partir de l’Etat belge. Il y a cependant bel et bien une fierté flamande liée au nationalisme… mais on chercherait en vain la fierté francophone.
â— La propagande
Dans le chapitre « La machine à fabriquer des abrutis », ONFRAY analyse les ressorts de la propagande et critique les médias subsidiés qui relaient servilement le discours du pouvoir et de l’austérité. Et de dénoncer les subsides à la presse pour soi-disant « garantir la liberté de la presse » alors qu’il s’agit de renforcer les rentes de pouvoir. D’ailleurs, l’auteur ne manque pas de souligner que Le Journal de Mickey reçoit un demi-million… pour assurer quelle pluralité? Celle de Mickey et de Minnie ?
La même réflexion peut être faite pour la Belgique francophone. Où sont encore les médias indépendants ? Les journaux d’opinion sont largement subsidiés, relaient souvent un discours fade et formaté qui ne remet guère en question les choix fondamentaux. Quant au seul hebdomadaire francophone Le Vif, il est aux mains d’une société flamande.
Ne parlez pas de l’indépendance de la RTBF, qui accorde dans les débats une place disproportionnée aux « élus » même s’ils n’ont rien à dire et ne font qu’occuper le terrain médiatique.
Conclusion
Nous n’avons évoqué que quelques idées-clés de l’auteur. Il en contient de nombreuses autres, tout aussi intéressantes et décapantes. Il fait s’interroger sur les enjeux de la société et sur les discours formatés. Enfin, il est intéressant de transposer ses réflexions à la société belge.
A lire donc sans modération !