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CONTES de NOËL: LES MAUVAISES FREQUENTATIONS
Banc Public n° 55 , Décembre 1996 , Serge KATZ
Il ne faut pas demander au bon dieu sa barbe. D’ailleurs le bon Dieu est-il barbu? En photo, peut-être. Mais en réalité personne n’en sait rien. Alors, voyez-vous, un bon Dieu virtuel, cela ne vaut pas grand chose chez nous. Il ne faut pas demander au bon Dieu sa barbe. Bon. Mais à un ministre? Mais à Saint-Nicolas? Et - pourquoi pas? - à un gendarme?
Et d’abord pourquoi les gendarmes défendent-ils si mal les petites filles? Parce que, dit-on, ce n’est pas leur rôle. Cela devrait aussi faire partie de leur travail. Mais, en vérité, ils n’ont pas été programmés pour ça. La psychologie d’un bon gendarme se fonde sur le fantasme d’un pénis féminin interne capable de castrer le leur. Cette angoisse contribue à la fonction du gendarme. Chercher la cinquième colonne, etc... De là vient également le tabou de la virginité. En général (demandez-leur) ce sont plutôt les voleurs qui défendent les petites filles. C’est qu’ils ne sont pas sujets à ce genre de tabou. Ils sont mal éduqués, mal dressés, les voleurs. On dirait que l’inceste et la virginité... eh bien même ça ils ne connaissent pas! Et si Dutroux était, comme il paraît, un grand séducteur, n’est-ce pas pour cette raison? Mais alors c’est un séducteur employé par la gendarmerie. Parce que, bon: qui était le premier séducteur? Voilà la question qu’ils se posent. Quelle est la première trace d’un homme sur une petite fille? Est-ce sur son âme ou sur son corps? Et, là encore, où se trouve la limite entre l’âme et le corps? C’est à cette profondeur que gisent les tabous de l’inceste et de la virginité. Et c’est sur cette seule base que l’on peut s’entendre entre les différentes religions. Sans cela, plus de bon Dieu. Pire, PLUS DE SAINT-NICOLAS! Alors: qui était le premier séducteur? Le père ou le petit garçon? L’uniforme du gendarme? Ou la mère? Ou tout autre chose. En avant pour de nouvelles aventures ethnologiques en Belgique perdue! A voleur, voleur et demi, donc. En fin de compte, le vol d’une voiture de luxe achetée à crédit n’est que la réappropriation d’une dette par l’État. Ce jeu sur l’assurance-vol est fort courant de nos jours. Mais plutôt chez les installés. Taxer une bagnole pour s’amuser avec les filles, c’est beaucoup plus vulgaire. Et même: cela n’a rien à voir. Tout juste bon pour les chiens sans collier que l’on peut occire impunément d’une balle dans le dos au coin de la rue. C’est qu’il y en a assez, n’est-ce pas? Mais les autres, les nôtres! Savez-vous l’investissement en temps et en argent pour dresser un bon chien? Je veux dire pour lui apprendre le sens de la propriété, de la famille, du travail et de la race? Imaginez-vous l’effort fourni pour enseigner aux chiens ces quelques rudiments d’humanité? Pour leur apprendre à amender la nature humaine? En fin de compte, ce n’est pas Dutroux qui a perverti l’État mais au contraire l’État qui a corrompu Dutroux. On a vu des truands toxicomanes - souvent boucs-émissaires d’une bande pourrie par les compromis - on a déjà vu des toxs donc tuer des juges, des médecins, des psychiatres... mais jamais une petite fille ou une femme. Un voyou attaque la propriété, la fonction, non la nature. Il est une moralité de truand préconisant d’épargner la victime afin qu’elle puisse à nouveau gagner des biens qu’on lui volera plus tard... C’est une morale très pragmatique. Cynique, peut-être, mais logique et sensée. C’est qu’ils croient encore à l’avenir, les truands. On peut exploiter la nature comme on exploite un terrain. Mais il faut au moins nourrir ce terrain. Le travailler. Tout un boulot! Même si, sur papier, ce job n’existe pas. Assassiner, dans ce cas, ce serait tuer la poule aux ¾ufs d’or. Une absurdité dans la logique du crime. Par ailleurs en prison, les pointeurs sont très très mal vus. Les détenus, voyez-vous, ne font pas très bien la différence entre leurs gosses et ceux des autres. Ils ne sont pas assez humains pour cela. Pas assez bien dressés pour être de bons sujets. Encore trop animaux pour connaître leur patrimoine. Plus grave: ils peuvent encore diriger leur énergie animale contre leurs maîtres. Seuls les plus soumis se retournent contre les enfants. Renforcer l’État et la sécurité, c’est donc protéger les violeurs. Tout deux sont de l’antiproduction. Détruire reste pour eux la seule manière de posséder. Or pour posséder l’innocence sauvage perdue en ces années de dressage, que faire sinon tuer des innocents - surtout lorsque ceux-ci demeurent a priori coupables devant la loi? Les assassins, les vrais: tueurs en série et forcenés - ont souvent vécu normalement avant leur forfait. Trop normalement... bref, on remarque que ces erreurs humaines sévissent surtout au sein des classes moyennes les plus intégrées aux valeurs officielles. Ce sont les quartiers résidentiels calmes et provinciaux qui connaissent le plus de crimes passionnels et autres drames familiaux. Cela ne coûte pas cher. Pas plus que de massacrer une pute. Telle est donc la victoire de l’homme sur l’animal! Tuer sa famille est le premier droit patriarcal qui est à l’origine de notre régime social. Question de possession naturelle des femmes et des enfants par l’homme. Ils ne l’ont pas fait exprès, d’accord. Mais c’est justement parce qu’ils sont responsables, qu’ils ne peuvent faire exprès. Ils ont obéi aux ordres. Or, en ce pays peut-être plus médiocre encore que les autres, ils se croient majoritaires! 60% de la population belge est issue des classes moyennes. Ce sont eux qui me l’ont dit pour me montrer que je ne représentais rien! Mais moi, je ne voulais rien représenter! Eux se comptent: 60%. Oui! Avec les femmes et les enfants! Et de quel droit représenteraient-ils ceux qu’ils considèrent comme de simples possessions? 60%? Non donc! A peine 20% en réalité! Mais comme ils sont aux postes-clés des médias et du pouvoir, au total les valeurs dites “humaines” sont décrétées par moins de 20% de la population. Or, peut-on laisser 20% de la population décider des buts de l’humanité? Je vous le demande. C’est là une question de petite fille. Mais que font les voleurs ?
LA PETITE FILLE ET LA POLICE
La machine crépitait: “C’est un polar. Ouais! Et alors?” “J’étais dans le bus... - Dans un bus? interrompit le capitaine. Décidément, il faudra supprimer ces transports en commun. Ils sont pleins d’individus louches. - J’étais assis, quand une femme accompagnée d’une petite fille d’environ cinq ans s’assied sur la banquette en face. Soudain la fille demande à sa mère: “Où on va?” - “On va chez...” répond la mère. Puis un nom que je n’ai pas entendu... - Stop! Et puis quoi encore? rugit le capitaine. Vous n’avez pas entendu? Qui de vous s’est assis le premier? Etes-vous certain que ce ne soit plutôt la mère qui accompagnait la fille? - Quelle importance? soupira le prévenu. Et comme un homme prévenu en vaut deux, il répéta: “Quelle importance” ? - C’est essentiel. Le capitaine insistait. Insister, pour lui, c’était exister. Il offrit une cigarette que le prévenu alluma avec le zippo ciselé du flic. - Eh bien voilà . Je vous l’ai déjà dit, bordel! La petite fille a demandé à sa mère où elles allaient. Et celle-ci a répondu: “On va chez Tartempion...”. Je veux dire chez n’importe qui... - J’avais compris... Les gendarmes comprennent toujours. Le problème c’est qu’ils n’en tirent rien. Mais leur sourire montre qu’ils sont heureux d’avoir compris... - Puis la petite fille... - Elle vous a touché ? - Peut-être. Du pied je crois. Je ne sais plus... La petite fille a dit : “On va à la police!” La mère l’a regardée. Puis elle m’a regardé bizarrement tandis que la fille me regardait. Ca a été très vite. “On va à la police!” répétait la petite fille. Et la mère: “Mais non! On va chez Tartempion! “ - ”Mais ça n’est pas la police!” insistait la petite fille. Alors la mère m’a de nouveau regardé d’un air emmerdé. Puis elle a ordonné à sa fille de descendre du bus à l’arrêt suivant. - Vous êtes sûr qu’il s’agissait bien de la mère et de sa fille ? - Je ne sais pas. C’est une conjecture... - En effet...Votre compte est bon !
LES TRAINS
C’est répétitif, un train. C’est encore une machine. Révolutionnaire, la machine à vapeur perce ses voies, expose ses bielles et révèle sa fatale entropie. Colonisation rime avec combustion. Une autre, mais cette fois électrique. Parce qu’une locomotive à charbon dans le hall d’entrée, ça fait sale, même en petit. Il faut être moderne. Alors on nettoie. Évidemment, quand on creuse un peu, cela revient au même. On trouve toujours des morts. Quelque chose qui brûle dans le fond. Rien à voir avec ce retour de Liège. Peu de monde. Y’a une blaque qui s’assied en face. Une pute. Comme dans la rue, les bus...Train ou bus, cela doit être la même chose. Même si c’est plus grand. Question d’espace public, comme on dit. Je connais une petite fille - une blaque aussi - qui préfère les grands trams aux petits. Mais c’est sûrement parce qu’elle pense trouver plus à manger dedans. Ca, on peut comprendre. Parce que manger l’acier du tram, c’est plutôt un boulot de mec. L’un dans l’autre, elle devait s’y retrouver, la petite blaque. Reste qu’il y en a plein qui montent à la capitale le vendredi soir. D’accord, c’est plus grand, mais moi je vous le dis, on trouve plus difficilement à manger. Il faut plus butiner. Tout un travail, surtout en ces temps difficiles. Croyez-en ma grande expérience... Donc, elle s’installe en face. C’est con parce qu’on voit bien que j’ai pas le sou. Mais c’était pas pour les sous. Et alors? On dira que je n’ai rien à dire. Bien possible. Mais c’est qu’à ce moment-là personne n’a rien dit. Elle se plonge dans un bouquin. Alors - que voulez-vous? - je plonge aussi. Je ne l’ai plus revue jusqu’à Bruxelles. Plus d’une heure de plongée! Et sans bouquin! Juste le petit plateau en Formica qui nous sépare. Elle devait avoir ses raisons de me faire ça, la blaque. Quand elle s’est levée, deux mecs m’ont serré la main avant de la suivre. Je ne les connaissais pas, moi, ces mecs. Mais j’ai vite compris qu’on arrivait en ville. J’espère qu’elle s’est bien démerdée, la blaque. A part ça, depuis Liège, je n’avais plus rien mangé.
LES CONFIDENCES DE LA MER
Quelle naïade n’a pas foulé les plages de sable fin de la mer noire? Quelle sirène ne s’est pas étonnée de voir les algues pourpres de la mer rouge? Quelle enfant naïve ne s’est pas amusée avec mes coquillages fossiles sur les côtes hellènes? Quel message sibyllin retiré d’une bouteille toute enrubannée d’un varech violacé n’a pas fait rêver celui qui le décryptait? Dans mes fonds abyssaux mille plongeurs se sont frayés des voies entre les môles endormis, les gorgones et les barracudas. Les goélands, les cormorans, les albatros ont dessiné tant de rondes obsédantes au-dessus de mes vagues qu’ils m’ont souvent démontée. Flibustiers et corsaires se sont querellés sur mes flots et, pour quelques sesterces trouvés dans mes coffres engloutis, se sont même entretués. Fidèles ont été mes amoureux: Surcouf, Colomb ou Magellan et - qui l’eut crû?- Robinson Crusoé. Les goélettes bleues dont les voiles claquaient à tous les vents, les drakkars, les bricks chargés jusqu’à la hune et les vaisseaux lointains m’ont sillonnée de bout en bout, guidés par ces anges gardiens que sont les sémaphores. Enfin, que dire des îlots et des atolls, havres de paix sur l’immensité qui, du cabotage aux croisières hauturières, ont ensorcelé tant de navigateurs. Mais ne voilà -t-il pas qu’aujourd’hui des bateaux-pieuvres maléfiques répandent dans mes flots bleus azur un noir d’encre polluant. Aussi, marins et capitaines, craignez plus encore mes tempêtes et mes bondes - calme plat avant la tempête...
Serge KATZ |
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Biblio, sources...
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