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A LA RECHERCHE DES CROYANTS

Banc Public n° 47 , Février 1996 , Philippe REYNAERS



Les visites papales ne font vraiment plus recette en cette période de grèves scolaires, et autres... Moins de 2 minutes sur la RTBF à sa première halte au Guatemala, une rapide mention pour son ”stop-over” au Nicaragua, hautement symbolique car ex-sandiniste, et puis plus rien! Le Venezuela? ...pft! Ces comptes rendus de pure forme ne sont pas plus que ce que les incessants voyages papaux méritent par ailleurs, mais pourtant - com me tant d’autres - ces voyages de l’interlocuteur de Dieu que l’on voudrait fastes, prestigieux et auto-valorisant pour le Pontife, cachent une réalité toute autre...


En effet, le pape ne fait plus une tournée de ses fidèles afin de leur octroyer l’immense bonheur de le contempler et d’être absous en bonne et due forme, ces périples s’apparentent de plus en plus à des tournées visant à la fidélisation d’un public versatile. Ce faisant, l’actuel voyage pontifical s’apparente plus à la tournée “Voodoo Lounge” des Rolling Stones (attention au copyright) que celle du berger (sans copyright). Car l’enjeu est de taille pour l’homme en blanc ( ...Elvis ?) .
L’avènement de Jean Paul II, réactionnaire (même au sein de la Curie, ce qui n’est pas peu dire) à outrance fut applaudi pour son conservatisme qui lui procura une auréole de saint en Europe de l’Est. Des voyages en Pologne en passant par le financement occulte du syndicat Solidarnosc, le souverain Pontife a réellement sû concrétiser un ancrage Est-européen. Las... cette chère vieille Europe ne compte plus que pour très peu dans les fidèles du culte romain, leur immense majorité se trouve en Afrique Noire, aux Philippines et en Amérique Latine. En Amérique latine ? Rien n’est moins sûr. Car ce conservatisme qui porta ses fruits dans une Pologne ravagée par un communisme de mauvais aloi, poussa les Romains au sabordage du culte en sa déclinaison Sud-américaine. Ainsi, les curés et évêques confrontés aux misères de sociétés par trop inégales furent durement rappelés à l’ordre au début des années 80. Rome ne pouvait plus supporter le libertinage des locaux... La théologie de libération connut un sort peu enviable, elle fut enterrée tout net. Un comble, non? Car le dogmatisme de la croix ne pouvait souffrir d’ombre issue, non pas des textes sacrés, mais des favelas de Rio, des barrios de Buenos Aires ou encore des bidonvilles guatémaltèques. En excommuniant les «responsables» de ces «hérésies» Rome, perdit non seulement tout crédit mais surtout engagea un mouvement apparemment irréversible, de perte de popularité du catholicisme à la romaine.
Au Guatemala, par exemple, ce n’est point par hasard que ce pays fut le premier visité, l’église catholique subit revers sur revers depuis une bonne dizaine d’années maintenant. Les raisons de cette désertification pieuse se situent dans le tumulte du début des années 80.
La répression engagée contre les paysans «communisants» de l’époque prit une tournure plus dramatique, si possible, avec la prise de pouvoir du Général Rios Montt . Dictateur respectable ayant l’aval de Reagan et de la classe puissante guatémaltèque, le général, fort de sa foi, changea son fusil d’épaule... New born christian de pure souche protestante il distinguait deux formes de «mal»: les com munistes, bien entendu, et...les catholiques! Pas tous les catholiques, uniquement ceux qui essayaient d’alphabétiser le peuple et d’organiser les petits producteurs en coopératives autosuffisantes et donc indépendantes des puissants latifundistes.
Les exactions se concentrèrent en une première phase dans la sphère du discrédit des religieux, ensuite commencèrent les enlèvements ciblés de prêtres catholiques par des brigades paramilitaires «inconnues». “Le 4 juin 1980, le père José-Maria Gran, un prêtre espagnol, fut pris dans une embuscade de l’armée, quelques jours plus tard, nous apprîmes qu’il était mort. D’après un communiqué de l’armée, il s’agissait d’une mort subversive au combat”.
La mort s’associa de plus en plus avec la pratique du culte romain dans sa version de la théologie de la libération. « L’armée continua à contrôler et à menacer l’église, non plus à travers ses prêtres mais à travers sa foi. Les célébrations étaient contrôlées, et parfois le lieutenant apparaissait pendant les offices, après que les soldats aient entouré l’église”.» Seconde phase: les églises trouvèrent une autre destination, imprévue celle-là : « Ils jetèrent le témoin dans un hélicoptère et l’emmenèrent à El Quiché, où il fut amené dans l’église pour y être interrogé par les officiers. Ensuite, ils l’enfermèrent dans une pièce qui ressemblait à un abattoir où les gens étaient tués, c’était comme un abattoir de boucher pour les animaux...” 1. «L’armée considérait la religion comme étant principalement un écran pour la guérilla»2.
Pourtant, les inclinations personnelles du dictateur l’infléchirent à tolérer de plus en plus les “New born christians, ou évangéliques. Lorsque vers 1985-86 la victoire militaire de l”Etat sur les paysans fut plus ou moins assurée, il devint de plus en plus difficile de s’aliéner le soutien américain, les nouveaux évangélistes reprirent le fil là où les théologiens de la libération l’avaient laissé. Majoritairement américains, ceux-ci bénéficiaient en outre de la sympathie avouée de l’Etat Major, de paquets de dollars et d’un passeport made in USA. Etait-ce suffisant ? Probablement pas, si une certaine donne sociologique n’était pas venue se greffer sur les pratiques religieuse : «Le prêtre utilisait de grandes quantités d’encens et de chandelles, ce que les évangélistes ne font pas car nous sommes baptisés en l’esprit Saint” 3. En effet, les liturgies tragiques et le flot de culpabilité véhiculés par le culte romain furent balayés par la fête évangélique où tout le monde chante danse et bat des mains, une pratique beaucoup plus proche de la «costumbre Maya” (la religion maya) que la lourdeur catholique. Plus prosaïquement. De plus l’auteur estime que le changement de religion revêtait le caractère d’une stratégie de survie: «Il y avait aussi une expérience religieuse qui considérait la théologie de la libération comme une évasion. Cela impliquait l’abandon du moi au pouvoir divin, une déclaration de séparation des deux armées opposées et en pratique... la soumission à l’armée». Le petit clergé guatémaltèque a donc été abandonné par Rome d’abord, par ses fidèles ensuite.
A ceci venait s’ajouter cela, lorsqu’une communauté accueillait la parole évangélique, elle s’ouvrait la porte à la manne des donations américaines. Bon nombre de villages ont ainsi acquis du matériel agricole, une salle de fêtes, un terrain de foot, ou encore un tracteur...
En 1996, une grande majorité du peuple maya, un peuple profondément croyant, est d’obédience évangélique. Pour autant que ces appellations contrôlées signifient quelque chose pour eux, car comme le dit une nonne américaine: « J’étais une de ces personnes qui disaient que nous devions toujours dire la vérité, et qu’il est meilleur d’être tué que de tuer. Mais il vint un moment où trop de gens avaient été tués, où il y avait trop de martyrs. Nous avons dû plonger...”.
Le perdant de l’histoire ? Le peuple maya colonisé et converti de force au XV siècle de notre ère, jeté bas dans un ordre économique et social qui n’était pas le sien, et ensuite massacré pour avoir esquissé une tentative d’autogestion. En 1996, le Guatémala n’a pas exorcisé ses démons mais a un gouvernement civil depuis bientôt quatre ans maintenant. Devons nous croire que les voyage papaux nécessitent une organisation tellement importante ou devons nous conclure que l’ homme en blanc n’est qu’un lâche à la recherche des quelques croyants... fidèles?

Philippe REYNAERS

     
 

Biblio, sources...

 

(1) Ricardo Falla, “Massacres in the Jungle”, p.28

(2) Op. cit., p28

(3) Op. cit., p.56

(4) Ibidem, p. 29

(5) “Between two armies...”, David Stoll, p.53

(6) Ibidem, p. 192

 
     

     
   
   


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