?> Otes toi de mon pavé
Otes toi de mon pavé

Banc Public n° 42 , Septembre 1995 , Frank Furet



Tout un chacun a entendu parler de MACADAM, ce mensuel diffusé par des gens qui essaient de sortir du difficile circuit de l'exclusion.
Martine Vandendriesche, ex-journaliste professionnelle au Soir et écrivain (Poker d'enfer) a repris l'idée de «Big issue» (équivalent anglais) et investi ses propres fonds. Le premier numéro est lancé le 10 mai 1993 et décolle modestement. >


Originalités:
- il est distribué dans la rue par des gens qui l'achètent aux dépôts et le revendent avec une plus-value
- Macadam est une S.A.. A la base c'est donc une société commerciale qui a mixté ensuite avec une asbl non subsidiée (autonome): Macadam urgence. Celle-ci sert à dépanner les vendeurs qui sont les plus démunis en les envoyant à un restaurant qui s'est engagé à leur offrir à manger gratuitement (il existe un réseau de restos qui sont en rapport avec l'asbl); Macadam urgence peut aussi trouver un asile de nuit à un vendeur sans-abri et recueille de vieux vêtements, des ustensiles de cuisine, de la quincaillerie etc., pour les aider à s'installer1
.
Jean-Louis Huberty, ex-responsable du service de réinsertion sociale d'Ixelles, un responsable de Macadam, raconte: «en novembre 1993, le journal a vraiment décollé (pour la période des fêtes 1993, 1.000.000 d'exemplaires ont été vendus (pour la Belgique, la Suisse, et la France). Actuellement, en Belgique le journal tourne à 35.000 exemplaires de moyenne et affiche 500 vendeurs inscrits (100 effectifs). Malgré d'importants frais de fonctionnement (journalistes et employés permanents à Paris et à Bruxelles), le journal continue son petit bonhomme de chemin même s'il y a eu des problèmes: dépôts tenus par des gens peu scrupuleux (tricheries, départs avec la caisse, etc.).
P., un vendeur, se plaint: “en 1994, pas mal de gens des pays de l”Est sont arrivés en masse et ont tâché de faire un maximum de fric en le vendant”. Pour lui, Macadam est en train de déraper: «certains Tziganes bulgares et roumains, qui sont des professionnels de la mendicité organisée, faussent et dégradent l'image de Macadam». D'après lui, il n'est pas rare qu'ils viennent prendre 300 ou 400 journaux au dépôt en Mercedes et les fassent revendre par des femmes déguisées en mendiantes qui sont plus agressives avec le client: «Elles poursuivent les clients potentiels dans la rue, les insultent parfois, et poussent excessivement à la vente (alors que le vendeur-type se contente de proposer calmement le produit aux passants et n'insiste jamais lourdement)”. Toujours selon lui, il y aurait un réseau organisé de souteneurs tziganes pour qui faire vendre le journal n'est qu'une activité pécuniaire parmi d'autres. Il n'est pas rare d'ailleurs que ces (faux?) mendiants proposent plusieurs journaux du même type (SDF, Sans-abri), alors que c'est contraire aux usages.
Il y a eu quelques heurts entre vendeurs belges et vendeurs “tziganes” (les seconds essayant de piquer leurs places aux premiers). P. a été menacé d'un couteau, un pote à lui a pris un coup sur le nez, un autre s'est retrouvé encerclé par “cinq tziganes menaçants”.
Macadam a pris des mesures pour remédier à cette situation : papiers en règle obligatoires pour acheter au dépôt, badge (doré) infalsifiable avec numéro de vendeur et photo d'identité. Les “Tziganes” en question auraient alors commencé à racoler des vendeurs en leur proposant 500 F de commission pour leur faire acheter à leur place 100 numéros ou plus, mais la direction a détecté le manège et remis les points sur les i. Les vendeurs non reconnus n'ont donc plus de badge et Macadam ne leur vend pas de journaux s'ils ne sont pas en règle; de plus, il ne tolère plus que certains demandeurs d'asile.
Dans la merde (sortant de prison, sans revenu ni appartement), P. est arrivé en 94 à Macadam. Un peu gêné au début (il assimilait la vente du journal à “faire la manche”), il s'est vite rendu compte que ce n'était pas humiliant, au contraire il estime qu'il y a trouvé de la dignité, du respect, et une certaine convivialité dans le travail.
Il n'a pas l'impression de vamper ou d'arnaquer ses clients; il fait même connaissance sur son lieu de travail avec des gens qui ont envie de bavarder, personnes seules, personnes agées qui s'identifient au vendeur Macadam, le reconnaissent et le respectent parce que, quelque part, eux aussi sont des exclus. Un vendeur qui reste au même endroit a vite une clientèle qui vient lui tenir compagnie en bavardant avec lui pendant qu'il présente le journal aux badauds. Convivial, efficace et autonome, Macadam mérite donc de continuer d'exister, de développer et de diversifier ses activités.
Toutefois, on peut douter qu'exclure les immigrés clandestins puisse faire échec à leur surexploitation. Distinguer les “bons exclus” intégrés aux entreprises légales des “faux exclus” soutenus par quelque mafia nationale ne résoudra certainement ni la précarité de ces derniers ni la violence qui leur est faite par leurs patrons. Après cette combine, les propriétaires de Mercedes en trouveront sans doute une autre qui pourrait bien être pire pour les vendeurs étrangers. N'oublions pas que ceux-ci, en effet, comme clandestins, ne trouvent en ce pays aucune protection sinon celle que leur proposent les individus les moins scrupuleux.

Frank Furet

     
 

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