Le siècle de l’Inde ?

Banc Public n° 170 , Mai 2008 , Catherine VAN NYPELSEER



Si l’attention planétaire est focalisée sur la Chine pour cause de jeux olympiques, un autre pays d’Asie, peuplé de près d’1,2 milliards d’habitants, qui est une démocratie, mérite que l’on s’y intéresse également: pour Mira Kamdar, née d’un père indien et d’une mère danoise, l’Inde qui est en plein essor actuellement, jouera un rôle essentiel dans l’avenir du monde par l’approche différente et les solutions originales qu’elle mettra en ½uvre.

En reportage dans le pays de son père, elle nous rapporte d’une part une tentative de fournir une image d’ensemble du pays, surtout du point de vue économique, et, d’autre part, elle nous invite à découvrir des personnalités particulières, chefs d’entreprises ou responsables du secteur non-marchand, par les comptes-rendus de visites et d’entretiens qu’ils lui ont accordés.

Une partie de l’ouvrage est orientée sur les relations entre l’Inde et les Etats-Unis, le pays où vit l’auteure, qui comporte une large diaspora indienne et de nombreux étudiants dans ses universités.

Petits magasins vs centres commerciaux

Actuellement, ont voit apparaître des centres commerciaux dans les villes importantes. Dotés d’escalators et de parkings souterrains, il s’agit d’une nouveauté pour l’Inde. Les chalands qui s’y promènent sont principalement vêtus de jeans et de tee-shirts, presque jamais de vêtements traditionnels indiens. Peu d’entre eux y font leurs achats, ils continuent à se rendre pour cela dans les bazars et les petites échoppes comme les magasins de saris où l’on se déchausse en entrant et où le propriétaire de l’échoppe connait les clients par leur nom.
L’achat d’un sari y fait l’objet de tout un cérémonial: la cliente se voit d’abord proposer un thé ou une boisson fraîche, puis les assistants du commerçant déploient les pièces de tissu proposées, dont certaines ont demandé des mois de travail à un tisserand. Ces articles sont acceptés ou rejetés d’un geste de la main ou d’un signe de tête…

Les centres commerciaux, où ont lieu 80% du commerce de détail aux Etats-Unis, n’en représentent actuellement que 3% en Inde, qui, pour Mira Kamdar, «est vraiment une nation de petits commerçants» (p. 126), puisqu’elle comporte environ 12 millions de tout petits commerces familiaux ou échoppes de bord de route disséminés partout, qui permettent à la population de se procurer tout ce dont elle a besoin pour ses achats quotidiens.

Dans les prochaines années, on s’attend à ce que le gouvernement indien assouplisse les règles qui interdisent actuellement l’activité de chaines de vente au détail multimarques, comme l’américain Wal Mart ou le français Carrefour. Des firmes indiennes tentent actuellement de s’installer dans ce créneau pour occuper une part de ce futur marché. Cependant, cette évolution rencontre une résistance forte comme dans l’Etat de l’Uttar Pradesh où les petits commerçants ont réussi à faire interdire toute implantation de la chaîne Reliance Fresh.

Cette résistance correspond aux souhaits de Mira Kamdar, pour qui «le chatoiement coloré et chaotique des bazars traditionnels de l’Inde, ses spécialités locales caractéristiques de chaque ville, de chaque quartier et même de chaque boutiquier, la cacophonie des cris des marchands (...) cèdent le pas petit à petit devant l’uniformité et la prévisibilité, et l’omniprésence des airs de Musak» (p. 127). Pour elle, cette transformation de son commerce fera perdre à l’Inde «une partie de sa magie».

Pourtant, si de nombreux centres commerciaux sont en construction, cela correspond également au grand optimisme de la population sur le plan financier, qui selon une enquête menée par le groupe Nielsen serait le pays du monde comportant le plus grand pourcentage (66%) de personnes qui pensent «qu’il est maintenant temps d’acheter ce qu’ils veulent ou ce dont ils pensent avoir besoin». Mais la majorité des Indiens ne disposent pas du pouvoir d’achat leur permettant de participer à l’explosion actuelle du commerce de détail, et cette situation augmente le risque d’affrontements sociaux.

Tellywood

Un chapitre important de l’ouvrage, intitulé «L’Inde imagine son avenir», est consacré au développement en matière culturelle, dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel.
Plus de 90% des Indiens ont accès à la télévision, et ils peuvent choisir entre 350 chaînes diffusées sur l’ensemble du territoire, dont 30 chaînes d’information. L’offre, qui s’est développée depuis la fin du monopole de la chaîne d’Etat Doordarshan en 1991, comporte des opérateurs indiens ainsi qu’étrangers comme CNN, Disney ou la BBC. Les chaînes d’information qui ont l’audience la plus élevée sont celles qui utilisent les différentes langues locales (hindi, gujarati, panjabi, bengali, tamoul, etc.). Il s’agit d’un énorme marché de consommation, mais également de création de contenus.

Pour Mira Kamdar, «la télévision joue un rôle exceptionnellement puissant dans la transformation de l’Inde» (p.77). La diffusion entre 1987 et 1989 du feuilleton télévisé de l’épopée du Ramayana, par exemple, a coïncidé avec l’ascension du parti nationaliste Hindou, le BJP; la publicité télévisée joue également un rôle important dans le changement de mentalités, et encourage «une attitude de consommation qui, jusqu’à une période récente, était étrangère aux Indiens» (p.82). Elle estime également que la télévision a été «une force en faveur de la démocratisation des aspirations», d’une part en montrant aux Indiens le monde extérieur et les styles de vie des autres groupes sociaux (la vie urbaine et rurale, la vie des riches et celle des pauvres), d’autre part en générant «une foule de nouvelles étoiles de Tellywood (…) pour défier les demi-dieux et les déesses de Bollywood [le Hollywood indien, situé près de Bombay]» (p.79).

Une des activités à la croissance la plus rapide est la production de films d’animation, extrêmement lucratifs (p. 94). Le développement de cette activité en Inde a été favorisé par le fait qu’elle exige beaucoup de main d’½uvre et que ce pays dispose de forces de travail à bon marché, ainsi que par l’augmentation de l’accessibilité des logiciels d’animation qui peuvent à présent tourner sur un simple PC.

Médecine

Dans le domaine médical comme dans bien d’autres dans ce pays, le panorama est fort contrasté. Il existe dans les grandes villes des hôpitaux de qualité exceptionnelle –accessibles à ceux qui en ont les moyens, alors que dans les villages l’offre de soin est souvent totalement insuffisante.

Mira Kamdar nous propose une rencontre avec un médecin exceptionnel, le Docteur Shetty, qui a fondé un hôpital cardiologique de 500 lits offrant la meilleure technologie disponible (y compris le diagnostic à distance et la télémédecine) ainsi qu’une fondation pour créer une assurance-maladie à très bas coût. L’hôpital est accessible à tous dans la mesure où les patients dont les ressources sont limitées ne paient qu’une partie des frais d’hospitalisation, qui sont pris en charge par un organisme privé pour ceux qui n’en ont pas du tout les moyens.

Pour elle, «le dévouement exceptionnel de personnes telles que le docteur Shetty (…) incarne l’espoir que l’Inde saisira l’occasion de faire face aux difficiles problèmes de chacun, et qu’elle comble le fossé entre la partie prospère du pays et sa plus grande partie, oubliée et à la traîne»(p. 293).

Puissance nucléaire

Après un important chapitre consacré à l’obtention du statut de puissance nucléaire par ce pays qui «dépasse tous les autres pays en voie de développement en dépenses militaires» (p. 317), un paradoxe pour le pays de Gandhi, l’auteur conclut sur la manière dont elle souhaite que l’Inde évolue:
«Parce qu’elle est encore un pays en voie de développement, elle peut choisir de se développer autrement. L’Inde n’est pas obligée de suivre aveuglément le modèle américain de l’agrobusiness et de devenir une nation vouée au fast-food. (…) elle doit forger sa propre voie, de peur qu’un monde condamné à l’enfer de la consommation effrénée et aux séductions dangereuses de la supériorité militaire ne nous mène tous à l’abandon.» (p.319).

Conclusion

D’autres développements très intéressants et fouillés sont consacrés à l’agriculture, notamment l’aspect important des suicides de paysans endettés pour se procurer des semences d’OGM dont la rentabilité nécessite d’importantes quantités d’eau, alors que leurs puits n’atteignent plus les nappes phréatiques surexploitées, ou, par le biais d’une interview, la mise en exergue d’une entreprise de production de thé Darjeeling qui a multiplié ses bénéfices en utilisant les techniques de l’agriculture biologique.

En conclusion, Mira Kamdar voudrait que l’Inde puise dans son riche patrimoine culturel pour parvenir à une véritable renaissance, qui pourra servir d’exemple pour réinventer le monde.



Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

Untitled document

PLANET INDIA
L’ascension turbulente d’un géant démocratique
Par Mira Kamdar
(traduit de l’américain)
Actes Sud 2008
323 p. – 23, 43 Euros

 
     

     
 
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