?> Les Bons Comptes de Noël
Les Bons Comptes de Noël

Banc Public n° 166 , Janvier 2008 , Catherine VAN NYPELSEER



Après le tourbillon des fêtes, il peut être intéressant de réfléchir à tête reposée à l’épisode que l’on vient collectivement de vivre. Consacré à la fête de Noël, ce petit livre dont l’auteur est Français passe à la moulinette de la critique documen­tée et chiffrée les différents aspects de cet événement aux dimensions planétaires.


L’aspect religieux

Noël est-elle une fête chrétienne? Le fait qu’il s’agisse de la date de naissance du Christ a été établi au IVe siècle seulement à l’aide d’un calcul basé sur la date de sa mort, le quatrième jour suivant l’équinoxe de printemps, soit le 25 mars, et du postulat suivant: les grands hommes meurent le jour de leur conception. Conçu donc un 25 mars, Jésus serait né le 25 décembre suivant, ce qui permit à l’Eglise de s’inscrire dans le cadre préexistant des fêtes païennes du solstice d’hiver (p. 16).

Ensuite on peut noter une concurrence certaine entre l’imagerie religieuse, matérialisée par la crêche, une invention de Saint François d’Assises au XIIIe siècle, semble-t-il, dont les personnages étaient alors vivants, les différents rôles étant tenus par des habitants du village, et le concept beaucoup plus récent du Père Noël, dont le développement fulgurant à partir de 1945 est dû notamment à son utilisation dans les campagnes de marketing de la firme Coca Cola pour faire acheter sa boisson phare en hiver.
Mécontents de l’essor pris par le personnage du Père Noël, d’autant plus valorisé que c’est lui qui apporte les cadeaux, des prêtres de la cathédrale de Dijon pendirent puis brûlèrent une effigie de celui-ci le 23 décembre 1951 sur le parvis de leur cathédrale, devant des centaines d’enfants médusés (p. 23).

Le sapin

Notre beau sapin, que Jérôme Ripoull qualifie d’«indétrônable totem de Noël» (p. 27), fait bien sûr l’objet de tout un marché.

Pour l’Europe, il se vend chaque année au mois de décembre 50 millions de sapins naturels, soit environ un pour 9 habitants. C’est un marché en nette décroissance: en France, il est passé de 10 millions d’arbres en 1981 à 6 millions seulement en 2005.

La grande affaire dans ce marché est comme on le sait l’apparition de la variété Nordmann, plus lourd et sans odeur, mais qui ne perd pas ses épines,
un cauchemar pour les ménagères maniaques. Ce nouveau marché s’est d’abord développé au Danemark, le plus grand exportateur de sapins du monde. A partir de la mi-décembre, les bûcherons employés par les 4.000 exploitants danois commencent la coupe, pour laquelle ils sont payés à l’unité (30 centimes par sapin), et abattent jusqu’à 1.000 arbres par jour.

Le marché des sapins artificiels est lui stable en quantités et en prix (de l’ordre de 20 euros en moyenne, avec une légère tendance à la décroissance). Il concerne 17% des achats, soit un sapin sur 6. Bien qu’il soit destiné à durer, on constate que le sapin artificiel lasse ses propriétaires qui en rachètent en moyenne un tous les trois ans.

Au XIXe siècle, les premiers sapins artificiels furent réalisés à l’aide de plumes d’autruche; en Allemagne, on utilisait également des plumes de dindes ou d’oies teintées en vert et montées à l’aide de fils métalliques. Toute une production de grands sapins a été réalisée pour les grands hôtels et les magasins à l’aide de plumes de cygne ou d’autruche de 1900 à 1950, pour disparaître complètement avec l’apparition du plastique (p. 39).

Actuellement, les sapins artificiels proviennent essentiellement de Chine. Il semble qu’il ait fallu convaincre les ouvriers chinois de produire pour une fête des éléments colorés en blanc, qui est la couleur du deuil dans ce pays.

E-sapins

Quelles sont les tendances futures du marché du sapin? Le marché de la vente via Internet, bien qu’encore peu développé,  est en plein essor puisqu’il est passé de 15.000 sapins en 2004 à 80.000 en 2005 en France, et que  certains sites ont connu une croissance de 50% en 2006 (p. 39). Sans compter les frais de livraison de 10 euros environ, le sapin y est nettement plus cher. Selon l’auteur, la clientèle appartenant aux classes socio-professionnelles supérieu­res est motivée par le fait d’éviter d’encombrer et de salir sa voiture...

L’écologie est une autre tendance intéressante du marché du sapin. Au Danemark, il s’agit de sapins cultivés sans produits chimiques - qu’il s’agis­se de pesticides ou de produits destinés à renforcer leurs aiguilles ainsi que leur belle couleur verte. En France, les producteurs du Morvan ont développé une technique intéressante pour le désherbage écologique des parcelles de sapins: ils utilisent des moutons d’une espèce qui n’apprécie pas le goût des pousses de sapins pour manger l’herbe qui pousse entre les jeunes arbres.
La Suisse a élaboré depuis 2004 avec le WWF des sapins labellisés issus de forêts gérées durablement, garantis sans engrais, pesticides ni herbicides.

Les décorations

Si la première guirlande électrique a été posée à New York par l’inventeur Thomas Edison, le marché de cet accessoire pour l’Europe est actuelle­ment dominé par la Chine qui détient 97% de ce marché de 220 millions d’euros en 2004 pour l’Europe des 25.

Néanmoins, un entrepreneur français, Festilight, a réussi à se constituer une niche intéressante avec des gaines de PVC souples remplies d’ampoules. Une idée qui agrémente depuis plus ou moins heureusement nos campagnes selon l’inspiration des villageois qui en ornent leurs maisons avec des motifs divers et variés, et que son dirigeant a trouvée... à la foire internationale de Canton en 1997.

Les autres accessoires (boules, étoiles, etc.) ont généré un marché de 600 millions d’euros en Europe pour 2004, soit l’équivalent du produit intérieur brut de l’Inde pour la même année!

Les cadeaux

Un économiste américain, Joël Waldfogel, a élaboré en 1993 une théorie du mauvais cadeau. Selon lui, pour tout cadeau offert, il y a une différence importante et négative entre le prix payé par le donataire, et celui que le récipiendaire aurait effective­ment payé pour l’acquérir. Il a étayé sa théorie par une enquête auprès de ses étudiants sur les cadeaux de Noël qu’ils avaient reçus. Le résultat de ce sondage évaluait entre un dizième et un tiers la perte subie par les cadeaux entre leur achat et leur réception, soit un gaspillage extraordinaire (p. 100). La conclusion de l’économiste était que le donateur aurait mieux fait de donner directement la somme en question au récipiendaire pour lui permettre de choisir un cadeau qui lui plairait à tous les coups.

Une solution intermédiaire consiste à offrir un bon d’achat dans une grande enseigne. Pourtant, ce système recèle des pièges économiques insoupçonnés: en fait, il s’agit de toutes façons d’un généreux cadeau au commerçant puis­que celui-ci bénéficie d’un prêt sans intérêt entre le moment où le bon est acheté et celui où il est dépensé (seuls 30% des bons sont utilisés dans le mois de leur réception), sans compter qu’une partie des bons n’est jamais dépensée, et que lorsqu’ils le sont les bénéficiaires font régulièrement plus d’achats que le montant du bon!

Repas

Dans le copieux chapître consacré au repas de réveillon, on retiendra la triste histoire de la poularde, reprise d’un texte de Michel Gurfinkiel.

Si vous avez été sensible à l’excellente campagne de Gaïa (défenseurs des animaux) dans la presse écrite, au mois de décembre, à propos des souffrances des oies gavées en vue de produire le foie gras, où l’on nous propose de torturer plutôt une image d’oie imprimée (en la découpant selon les pointillés) qu’une oie réelle en mangeant cet aliment de fête, vous serez horrifié(e) par le traitement subi par cette pauvre bête.

Attention, le terme «poularde» est aussi utilisé dans un sens plus général pour désigner une poule de deux kilos ou plus. La véritable poularde est produite de la façon suivante: il s’agit d’une poulette de Bresse «martyrisée pour le plaisir des gastronomes» qui «connaît d’abord une vie d’aristocrate, courant dans la basse-cour, ne picorant que du grain, ne buvant que du lait. Un beau jour, elle choit dans un roman du marquis de Sade: on l’enferme dans une cage dite ‘épinette’, et on la laisse dans le noir. La pauvre devient folle, évidem­ment, ne parvient pas à sa maturité sexuelle, mais produit une chair sublime, tendre, blanche, grasse.» (pp. 74-75)

L’avenir de Noël

Pour Jérôme Ripoull, la fête de Noël, loin d’être en voie de s’imposer au niveau mondial tente plutôt de se maintenir dans son berceau historique, l’Occident. Son aspect religieux est critiqué, comme on l’a encore vu cette année avec l’épisode des décorations de Noël jugées trop voyantes au Palais de Justice de Bruxelles par rapport à la neutralité requise en un tel lieu.

Mais cette fête est également remise en question par les milieux écologistes et altermondialistes qui lui reprochent ses excès et son gaspillage.
Il existe également un mouvement visant à boycotter la fête de Noël, représenté notamment par le site anglo-saxon www. xmasresistance.org qui incite à ne pas participer au shopping de Noël, ou par le mouvement d’origine canadienne «Noël sans achat».

Jérôme Ripoull souhaiterait que Noël redevienne une «période de paix et de trève», «une parenthèse dans un monde voué aux conflits entre Etats, êtres humains et religions» qui replace en son coeur l’homme et non le consommateur.

Nous apprécions dans la fête de Noël les retrouvailles familiales dont nous espérons qu’elles continueront, dans le respect des meilleures pratiques socio-économiques du moment...

Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

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La fête qui ne fait pas de cadeaux

Par Jérôme Ripoull
Editions du Rocher
Octobre 2007
173 pages – 18,79 Euros

 
     

     
   
   


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