SOUDAN: «L’isolement salvateur»

Banc Public n° 161 , Juin 2007 , Kerim Maamer



Le Soudan est le plus grand pays du continent africain, 82 fois plus étendu que la Belgique, aussi vaste que l’Union Européenne. Il fait rarement l’objet de l’actualité internationale. Pourtant, de­puis 40 ans, miné par de sévères conflits armés, au Sud, à l’Est, à l’Ouest; traversé par tant de problèmes sociaux et économiques; boycotté et isolé sur le plan international… il est néanmoins parvenu à réaliser quelques prouesses de développement. L’auteur, qui a vécu quelques années dans ce pays, proposera une série d’articles traitant de ce sujet.

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Le plan économique

Un vaste pays plat, avec des terres non rocheuses et fertiles, disposant de ressources d’eau présente de grandes potentialités pour l’agriculture et l’élevage. On avait même imaginé un «grenier à blé» pour l’Afrique et pour le monde arabe. Les institutions financières ont misé beaucoup d’argent sur la promotion de projets en agri­culture, élevage, agro-business. Mais à l’époque de Jaafar Numeiry (1969-1985), l’état de corruption et de gabegie avait désolé les investis­seurs. Les politiques économiques étaient un cafouil­lage total. Les planifications ne parvenaient jamais à leur terme Sans cesse, les plans étaient modifiés, transformés, abandon­nés et oubliés. Sous l’autorité prési­den­tielle, le Soudan aura tenté les expériences de la nationa­lisation, de l’endette­ment, de la privatisation et… de l’islami­sation de l’économie!

Ces changements de cap ont déstabilisé la production et les réseaux commerciaux. Les inves­tis­seurs finirent par se décourager par cette instabilité. Dans des années ‘90, les Américains ne voulaient plus travailler ou collaborer avec ce gouvernement, et peu en importait le prix. La coopération internationale, le FMI stop­pèrent leur coopération (1990). Les Arabes eux-mêmes finirent par être découragés. La situation économique s’est encore détér­iorée au cours de ces années ‘90.

Le plan politique

Les Occidentaux craignaient surtout la définition du choix politique du gouvernement soudanais. Régime présidentiel dont les transitions se faisaient au moyen de «coups d’Etat militaires», qui, au surplus, faisait le choix d’une idéologie islamiste… L’ébauche d’une telle idéologie avait débuté avec le Président Jaafar Numeiri.

Inquiété par les pressions com­munistes au sein de l’armée, le président prit une orientation islamiste. Il intro­duisit la loi religieuse (la charia) dans le code pénal (1983). Cette orien­tation islam­iste va se confirmer. La religion apparais­sait comme un moyen de légitimité et de popularité pour un régime éprouvé par les difficultés. La sécheresse et la famine des années 1983 - 1985 dans un pays dit «grenier à blé» sont suivies par les inondations de 1986.

Les élections parlementaires porteront au pouvoir Saddig El Mahdi du parti de l’Indépen­dance (Umma Parti), qui tentera l’expérience d’un gouvernement de coalition avec le Democratic Unionist Party (DUP) et le National Islamic Front (NIF). Une politique d’islamisation et d’arabisation est tentée. Les discours fleuves de Saddig El Mahdi n’étaient pas été très réconfortants pour le peuple soudanais. Tandis qu’ une pagaille générale règne: un pays au bord de l’éclatement avec les menaces de conflits armés au Sud, des déplacements de population, une incapacité à remettre de l’ordre à l’Est du pays, et même son incapacité à assurer sa souveraineté dans le Darfour ou le long de la frontière du Nord avec l’Egypte.

Le coup d’Etat militaire de 1989 amène Omar El Bashir au pouvoir. Chef d’Etat, premier ministre et chef des armées, il réaffirme la fermeté de l’auto­rité de l’Etat. Sous l’inspiration des islamistes du NIF, Omar El-Bashir dissout le Parlement; abolit la Constitution; bannit les partis politiques; réintroduit les châtiments corporels.

Le refuge islamiste

En prenant le pouvoir, Omar El-Bashir a accentué une idéolo­gisation de la vie politique. Le pays s’est voulu accueillant aux idéologues ou autres mouve­ments islamistes. Avec une certaine naïveté, les musulmans de tous bords étaient accueillis à Khartoum, sans contrôle et sans visa. Les islamistes du monde arabe sont donc venus prêcher au Soudan, Oussama Ben Laden en étant le plus connu. Il s’établit à Khartoum avec une certaine discrétion publique mais avec une puissante milice privée.

Le rejoignent nombre d’autres déshérités, en quête de révolu­tion islamique, d’un monde où le spirituel, l’humain, le partage, l’antimatériel, la simplicité d’une vie… s’impo­­seraient comme les règles essentielles d’une société. Pour concrétiser la réalisation de ce monde, Ben Laden usait de sa fortune personnelle, et il se trouvait très concerné par les marchés économiques et la mobilisation de troupes. Au nom de la révolution et de la protection du «paradis islami­que», il fallait des hommes virils, prêts au combat.

Plus le pays était accueillant aux «islamistes», plus il se coupait de ses alliés arabes et occi­dentaux. Les Saoudiens sont mécontents de l’accueil fait à certaines communautés. Les Tunisiens rompent leurs rela­tions diplomatiques avec le Soudan car il accorde à un opposant un statut de diplomate. Des mesures de boycott sont prises.

Lorsque des miliciens proches de la garde directe de Oussama Ben Laden commirent un crime, en tuant cinq personnes, le gouvernement réclama de Ben Laden qu’il quitte le pays. Il trouva refuge en Afghanistan. Même le terroriste Carlos vivait là. Ces exilés donnaient une mauvaise impression du Soudan, qu’on qualifiait de pays soutenant le terrorisme! Suite à un incident privé, la police entra dans le domicile de Carlos et y trouva, non seulement des armes, mais des bouteilles de whisky. C’en était trop. Après l’avoir drogué, les autorités soudanaises remirent Carlos à la France. A l’époque, on avait dit qu’il y avait eu négoce entre cartes et photographies aérien­nes et les demandes françaises. Pour les autorités soudanaises, il y avait surtout une volonté de se défaire de cette image de pays refuge pour les terroristes.

La guerre et les déplacés

Concernant la guerre du Sud qui pesait sur l’Etat, le Gouver­nement militaire d’El Bashir espérait en finir par une victoire finale. Une offensive militaire est lancée. Les affrontements s’intensifient. La bataille fait rage, notamment pour Juba. Finalement, la solution militaire ne put s’imposer. C’est l’échec. L’offensive du gouvernement aura même solidarisé et unifié le front sudiste.

Dans son sillage, la guerre civile entraîna l’anarchie, le déplace­ment de populations entières fuyant vers le Kenya, l’Ouganda. Près de deux mil­lions de personnes sont déplacées ou acheminées vers le Nord jusqu’aux régions de Khartoum.

Contingentées dans des camps, sous contrôle militaire, ces populations étaient totalement assistées par des organisations humanitaires et des ONG internationales. Le général El Bashir craignait cette cinquième colonne. Puis, un jour, les ONG quittèrent le pays, et les populations se retrou­vèrent sans assistance.

Dans les camps autour de Khartoum, le climat était bien désertique par rapport au climat tropical des régions du sud. Les déplacés ne pouvaient produire la nourriture pour  leurs besoins, ni gagner l’argent de leur nourriture. Le gouvernement finit par lâcher du lest  en permettant à ces gens d’avoir la possibilité de trouver les moyens de survivre.

Dans un premier temps, les sudistes pratiquèrent les commerces de la distillation d’alcool, la fabrication de bière, et la prostitution. Or, ces commerces, strictement prohi­bés par l’idéologie du pouvoir, étaient pénalisés. Les sudistes de Khartoum s’adaptèrent à tous les secteurs de l’économie marchande, en apportant un cachet particulier à la vie dans la capitale.

Ils gardent néanmoins un profond attachement pour leur région d’origine et pour le leader charismatique John Garang. En juillet 2005, lorsque celui-ci décéda dans un accident d’hélicoptère, les sudistes de Khartoum vécurent un grand deuil qui se traduisit par des menaces, des émeutes et même certains crimes à l’encontre d’habitants de Khartoum. Les émeutes de Khartoum firent officiellement 130 morts.

Ce grand pays d’Afrique a des difficultés à gérer un territoire aussi vaste et aussi diversifié. C’est surtout la guerre au Sud-Soudan qui a été évoquée. Or, cette guerre dure depuis toujours. Il y a toujours eu des affrontements tribaux dans le Sud.  Une guerre extrêmement pénible, très lourde en pertes humaines, tout autant pour les militaires du Gouvernement que pour ceux du Sud, ainsi que pour toutes les populations. La fin de cette guerre et les accords de paix signés en janvier 2005 furent une grande délivrance, qui aurait bien mérité l’éloge du Nobel. Le Sud est mieux stabilisé. Mais voici que l’Ouest se détraque avec la province du Darfour.

 

La rébellion du Darfour


Cette nouvelle guerre a débuté en 2003. Mais la région défavorisée a toujours été en état de difficulté et d’insécurité. Dans le courant des années ‘90, des vagues de migrants du Darfour se plaignaient de banditisme, de l’insécurité, des assassinats impunis, et de l’incapacité du gouvernement à imposer la sécurité physique des citoyens… La sécurité alimen­taire n’était pas non plus assurée. Les revendications de développement ou de partage équitable des ressources étaient naturelles.

Lorsque le conflit prend une allure militaire et comprend une revendication politique armée, il nécessite une autre analyse, plus politique que socio-économi­que. Deux mouvements «rebelles»: le mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et le mouvement pour la libération du Soudan (MLS) réclament un meilleur partage des richesses et du pouvoir. Leurs faits d’armes sont la prise des chefs lieux de Gulu et d’El Fasher capitale, capitale du Nord Darfour. Le gouvernement lance une victorieuse offensive militaire, avec adoption d’un cessez-le-feu. Les villes sont reprises, mais de large zones rurales demeurent sous influence des forces rebelles, là où le gouvernement n’a jamais été capable d’assurer la sécurité.

Les «Janjawids» sont désignés comme les troupes auteurs de violences, qui s’en prennent aux populations civiles. Bien qu’ignoré de mon vocabulaire d’arabisant, le mot désigne des mercenaires au service d’un intérêt. C’est un mercenariat qui se pratique dans de nombreux conflits. La mobilisation des armées est lourde, coûteuse, la pratique de l’armée soudanaise a compris l’intérêt économique d’utiliser des mercenaires auxquels aucune règle de guerre ne s’applique, pour qui seuls les objectifs comptent.

Le conflit est aujourd’hui désigné sous l’allure d’une revendication politique et ethnique.  On parle de «génoci­de», «nettoyage eth­nique», comme s’il s’agissait d’une confrontation entre négro-afri­cains et arabo-africains! Voici que sans scrupules le problème du OUEST Soudan est qualifié de revendication négroïde. Cette méthodologie de désignation des partis n’est pas sans rappeler les similitudes avec le Sud Soudan, où la confrontation est résumée entre un SUD Soudan chrétien, ani­mi­ste, riche, et un NORD Soudan, arabe, musulman, dominant.

Cette méthodologie de désigna­tion, probablement originaire des manuels de la sécurité militaire, ne conduit qu’à casser le genre humain; à le distinguer pour mieux l’opposer et justifier la légitime confrontation. L’objectif réel est moins l’intérêt des populations de l’Ouest-Soudan, qui souffrent depuis longtemps, que celui de déstabiliser le régime de Khartoum.

Le pays a été classé comme ennemi de l’Amérique, qu’il faut boycotter.  Pour y avoir vécu, il y a le paradoxe d’un pays apparaissant anti-Améri­cain, alors que les populations rêvent d’Amérique et ne trans­ac­tion­nent qu’en US dollars! En usant de moyens autres que la confrontation, les Américains auraient peut être mieux gagné de ce gouvernement. En qualifiant de revendication politique, on a développé le conflit et provoqué la crise humanitaire. Les conflits ont leurs conséquences en mouvements de populations, sous-nutrition, maladie, épidémies.


Kerim Maamer

     
 

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