L’origine de cette nouvelle législation réside d’une part dans l’étude de la problématique des chiens dangereux, et d’autre part dans la surpopulation des refuges pour animaux abandonnés, un lien ayant été établi entre ces deux phénomènes via le raisonnement suivant : les animaux dangereux seraient des individus caractériels que leurs maîtres abandonneraient après avoir constaté qu’ils sont totalement ingérables, impossibles à éduquer voire à apprivoiser.
Problèmes comportementaux
Selon plusieurs études, les magasins d’animaux joueraient un rôle doublement néfaste dans la production d’animaux à caractère déviant : premièrement, en plaçant des chiots souvent séparés trop tôt de leur mère dans des cages vitrées exiguës où aucune activité n’est possible, parfois pendant des semaines, à l’âge critique où le petit animal devrait découvrir le monde, apprendre la vie en société; deuxièmement, en commercialisant des animaux génétiquement tarés, produits sans que soient respectées les bonnes pratiques en matière d’élevage (suivi des lignées, évitement de la consanguinité, etc.). Une étude réalisée en Grande-Bretagne en 1995 était arrivée au résultat que les chiens provenant des magasins étaient ceux qui présentaient les problèmes comportementaux les plus importants.
Ces magasins sont par ailleurs également stigmatisés comme étant des foyers d’infections, en concentrant de nombreux animaux dans des espaces restreints, ce qui favorise évidemment la transmission des maladies contagieuses. Une enquête de Test-Achats publiée en 2002 était arrivée à la conclusion que les chiens achetés dans un magasin étaient 5,3 fois plus souvent malades et mouraient prématurément 7,1 fois plus que ceux achetés directement chez un éleveur professionnel; une étude de la faculté vétérinaire de l’Université de Gand de 2004 avait conclu que l’acquisition en magasin était le moyen de se procurer un chien présentant le risque le plus élevé qu’il tombe malade (y compris les maladies génétiques).
Achat impulsif
Les discussions préparatoires à l’adoption de la nouvelle législation ont également mis en exergue la notion d’ «achat impulsif». Dans les magasins, les consommateurs peuvent être incités à faire des achats non planifiés d’animaux, parce que les chiots ou chatons présentés sont mignons, que le personnel formé à la vente a déposé le petit animal dans les bras d’un enfant qui ne veut plus s’en séparer, etc.
L’acheteur ne mesure pas toujours la charge que représentera un animal dans sa vie quotidienne : le nourrir, le promener, le conduire chez le vétérinaire et lui prodiguer un traitement s’il tombe malade, les contraintes liées aux départs en vacances..., des charges matérielles et financières.
Pour les organisations de protection des animaux, ces achats impulsifs sont une autre cause d’abandon d’animaux, par des personnes qui réalisent après coup qu’elles ne peuvent assumer la charge de leur nouvelle acquisition.
C’est pour cela que la nouvelle législation interdira la vente en magasin et les achats à crédit de chiens et de chats.
Protection des animaux?
Comment alors se procurer un chien ou un chat si l’on souhaite en avoir ? Deux filières organisées restent permises, en plus des échanges privés (voisinage, famille, collègue de bureau cherchant à placer une portée...): l’achat chez un éleveur agréé, et l’adoption dans un refuge pour animaux abandonnés.
Pour pouvoir être agréé et donc avoir le droit de commercialiser des chiens ou des chats, l’éleveur doit répondre à une série de conditions matérielles relatives au bien-être des animaux qu’il héberge (espace, soins), à leur technique de production soigneuse du point de vue de la sélection génétique et respectueuse de la santé des géniteurs (nombre de portées par an par exemple), ainsi qu’à leur sociabilisation: contacts avec des humains, avec d’autres animaux, proximité avec leur mère pendant les premières semaines, etc.
Les refuges pour animaux abandonnés sont également réglementés: délai minimum pour autoriser une adoption (pour laisser le temps aux maîtres de retrouver un animal perdu) , conditions matérielles relatives au bien-être des animaux hébergés; il en résulte malheureusement que lorsque le nombre d’animaux recueillis dépasse les capacités du refuge, des animaux en bonne santé doivent être euthanasiés. Les refuges opèrent différentes politiques de sélection des animaux à supprimer, en procédant à une estimation de leurs chances d’être adoptés. Les animaux plus âgés (de nombreuses personnes veulent se procurer un animal «bébé» - comme la plupart de ceux qui désirent adopter un enfant), ou jugés caractériels courent le plus de risques d’être piqués.
Dans ce contexte, il est compréhensible que les défenseurs des animaux qui gèrent ces refuges tentent de limiter le nombre d’animaux abandonnés.
Pays de l’Est
A côté des désormais célèbres plombiers polonais – qui allaient nous envahir suite à l’entrée de leur pays dans l’Union européenne – on peut réellement parler des chiots slovaques, polonais ou tchèques qui sont importés en grandes quantités par les magasins d’animaux au point de décourager l’élevage belge de qualité.
Certains de ces animaux sont produits et transportés dans des conditions abominables: des enquêtes, diffusées notamment dans des émissions télévisées sérieuses depuis plusieurs années, ont montré des chiots produits en quantités industrielles dans d’anciennes porcheries reconverties dans cette fonction plus lucrative, sans soins ni respect de la santé des chiennes génitrices rapidement épuisées par les portées trop fréquentes, et sans application des règles élémentaires de génétique nécessaires pour produire des animaux sains. De plus, ces animaux ont des contacts plus que limités avec des êtres humains pendant plusieurs générations, ce qui, conjugué avec les mauvais traitements subis, les rend peureux et potentiellement agressifs.
Débats animés
Les débats précédant l’adoption de la proposition de loi par la Commission de la santé publique, de l’environnement et du renouveau de la société de la Chambre des représentants ont présenté un niveau de qualité élevé. De nombreux témoins compétents ont été entendus le 12 mars dernier sur la base de questions précises en rapport avec la législation projetée et les situations qu’elle entendait résoudre. La retranscription de ces témoignages et des débats qui ont suivi par les services de la Chambre est disponible en français et en néerlandais sur le site Internet de la Chambre des représentants, qui est accessible à tous (pourvu de disposer d’un accès à Internet, de savoir lire, et de s’habituer à la navigation dans ce site)(1).
De nombreux arguments pertinents ont été apportés, soit en faveur soit contre la législation projetée. Finalement, le projet a été voté en commission par 9 voix contre 4, majorité gouvernementale contre CD&V et Vlaams Belang. Ensuite, comme on l’a rappelé au début de l’article, la Chambre l’a voté lors de la séance marathon des 12 et 13 avril dernier. Pour que ce projet soit tout à fait adopté par le Parlement, il faudra encore que le Sénat ne l’évoque pas (dans un délai de 15 jours), ou le vote sans modification. Il ne deviendra une loi qu’après avoir été signé et promulgué par le Roi.
Animal à crédit
L’aspect relatif à l’interdiction de l’achat à crédit d’un animal de compagnie, qui faisait l’objet de la proposition de loi initialement transmise par le Sénat, n’a suscité aucun argument contraire. Dans le contexte de la problématique d’acquisition, par achat impulsif, d’animaux malades ou présentant des problèmes graves de comportement (agressions, morsures...), il était difficile de défendre l’idée de confier un tel animal à une personne qui n’a déjà pas les moyens de le payer, et risque donc de ne pas pouvoir assumer les frais de vétérinaire, la réparation des dommages causés par l’animal, ou les séances de thérapie comportementale pour chien méchant, destructeur, ou aboyant toute la nuit...
Transparence…
Par contre, les représentants des commerçants d’animaux ont présenté des arguments intéressants critiquant la pertinence de l’interdiction de vente via des magasins d’animaux pour résoudre les problèmes posés:
- les magasins représentent des canaux agréés et contrôlables de commercialisation, par opposition aux ventes illégales. Les ventes d’animaux de compagnie sont en effet interdites depuis 1986 sur la voie publique et les marchés, mais il n’est pas rare que des animaux soient discrètement présentés dans des coffres d’automobiles ouverts, sans parler des ventes via Internet… Une interdiction aurait l’effet contraire à celui escompté, celui d’ «encourager le commerce illégal incontrôlable»;
- selon les commerçants, l’interdiction pour les particuliers de commercialiser des animaux sans disposer de l’agrément d’éleveur professionnel, s’ils produisent plus de trois portées par an, serait allègrement violée, et de toute façon impossible à contrôler, alors que les magasins travailleraient avec des éleveurs agrées;
- les magasins sont contrôlés quotidiennement par les clients qui les fréquentent, ce qui représente selon eux un «contrôle public permanent du bien-être des animaux». Ils n’ont pas intérêt à maltraiter les animaux qu’ils leur proposent, ni à les présenter dans des cages mal entretenues, par exemple;
- enfin, les fameuses cages transparentes permettraient de «protéger les animaux contre les contacts avec les acheteurs éventuels qui les fatigueraient», de prévenir la propagation de maladies et le risque d’automutilation. Ces cages en verre sont «faciles à entretenir et équipées de filtres à air». Pour les représentants des magasins, ces cages transparentes constituent pour les chiens «un environnement sain et tranquille où ils peuvent néanmoins entrer en contact avec des êtres humains».
Ce dernier point permet cependant de comprendre en partie l’acharnement des défenseurs des animaux à réclamer l’interdiction de ces commerces: en effet, ceux-là disposent de la faculté de s’identifier aux animaux ainsi exposés! Les vendeurs professionnels cherchent vraisemblablement plutôt à se mettre à la place du client…
Mode et publicit
Un autre aspect de la question réside dans les effets de mode et la publicité reprochés aux commerçants. Ils sont accusés, de par la nature de leur activité, de donner envie à des personnes irresponsables de se procurer le dernier chien à la mode, quitte à s’en débarrasser quand la mode sera passée, ou pour partir en vacances.
Ce qui pose problème, c’est également le caractère de marchandise, d’objet de consommation, que les magasins confèrent aux animaux qu’ils vendent, alors qu’il s’agit d’êtres vivants. L’achat chez un éleveur professionnel, qui doit généralement être précédé de l’inscription sur la liste d’attente pour une portée à venir, rend plus difficile les achats impulsifs et permettrait également un suivi «après-vente» des animaux, qui valoriserait leur statut d’êtres vivants sensibles dont les besoins doivent être respectés - ce qui implique de les connaître, d’où l’intérêt de la relation entre le futur maître et l’éleveur, de préférence spécialisé dans deux ou trois races au maximum.
Proposition alternative
Une des personnes invitées à s’exprimer devant la commission parlementaire a fait une suggestion intéressante constituant une proposition alternative pour résoudre les problèmes caractériels et d’abandons des animaux: il s’agit de Mme Kaat Raas, thérapeute comportementale pour animaux.
Elle a tout simplement suggéré la mesure suivante, qui pourrait résoudre le problème législatif avec élégance et finesse: «la simple condition imposant qu’au moment de la vente, le chiot soit encore en présence de sa mère» permettrait, selon elle, déjà très efficacement d’atteindre un grand nombre des objectifs poursuivis.
En effet, le chiot échapperait ainsi à la période critique reprochée aux magasins pendant laquelle il est privé de sa mère et pas encore intégré dans sa nouvelle famille, alors qu’il est dans le stade de développement où il devrait normalement se socialiser.
Cette condition compliquerait évidemment la vente en magasin ainsi que l’importation de chiots.
Conclusion provisoire
De nombreux arguments chiffrés ont encore été échangés quant à la provenance des animaux qui envahissent les refuges pour animaux abandonnés. Le débat n’a pas permis de trancher cette question, ni celle du rôle des magasins dans la production de chiens caractériels, faute d’études suffisantes sur le sujet.
Un argument interpellant a même été avancé par l’un des gestionnaires de refuges appelés à témoigner (M.Eddy Minne, de l’association des asiles pour animaux de Flandre orientale): il estime que la cause de l’augmentation du nombre de chiens abandonnés dans un refuge ces dernières années réside simplement dans la croissance du nombre d’animaux porteurs de la puce électronique d’identification (obligatoire depuis plusieurs années), ce qui a rendu «plus difficile d’abandonner un chien, parce qu’il est possible de retrouver la trace du propriétaire»! Par crainte d’ennuis, ceux-ci choisiraient d’abandonner leur chien auprès d’un refuge plutôt que dans la nature, ou le long d’une autoroute.
Quoi qu’il en soit, la loi interdisant la vente de chiens et de chats en magasin a bien été votée, sous la pression des défenseurs des animaux, en période préélectorale. Reste à observer si elle sera effectivement appliquée par la nouvelle majorité issue des élections législatives de juin prochain…
Et les chats?
Un seul des quatorze intervenants, le président de Gaïa, Michel Vandenbosch, s’est exprimé à propos des chats détenus en animalerie. Les autres interventions concernaient les problèmes des chiens. Il est vrai que l’on parle moins souvent de chats dangereux (et qu’il n’y a pas de chats policiers). La croissance également constatée du nombre de chats abandonnés dans les refuges s’expliquerait plutôt par leur facilité à se reproduire lorsqu’ils profitent de leur liberté dans le jardin des voisins.
Prescriptions d’animaux
Chiens et chats souffrant dans les magasins, euthanasiés ou mutilés (2) dans les asiles destinés à leur porter secours, constituant des charges pour leurs propriétaires… tout cela finirait presque par faire oublier le plaisir que l’on peut retirer de la possession d’un animal de compagnie. Et pas seulement pour les enfants ! Un des psychiatres franco-américains à la mode, le Docteur Servan-Schreiber (qui a créé le phénomène des oméga-3), ne préconise-t-il pas d’en prescrire aux personnes âgées abandonnées par leur famille, à la place des médicaments neuroleptiques ou antidépresseurs? Il estime en effet que le fait de devoir s’occuper d’un animal qui doit être nourri, promené, et qui est capable d’établir une relation avec son humain, se révèle bénéfique pour la personne âgée autant que pour la sécurité sociale…
Chat alors!
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