La misère à Vargem Comprida
L'élément fondateur de la personnalité politique du président Lula est certainement la misère dans laquelle il a passé la première partie de son enfance dans une région rurale du Nordeste brésilien :
La famille vit dans une petite maison de deux pièces où les enfants n'ont pas de lit mais dorment dans un trou creusé à même le sol. Pendant les périodes de sécheresse, ils ne mangent pas à leur faim et tiennent à peine debout.
Leur maman, Lindù, travailleuse et toujours de bonne humeur comme la plupart des habitants de la région, gère le ménage avec un grand souci de justice et d'égalité : s'il n'y a que deux sardines, elles seront partagées entre tous. Pendant de longues périodes, elle ne peut donner à ses enfants que de la farine de manioc mélangée à du café.
En plus de la faim, le futur président ressent le sentiment « d'être entouré d'un vide sans fin » (p.39). Il passe ses journées aux abords de la maison, sauf lors des trajets pour aller chercher l'eau, ou lors de parties de chasse (les enfants capturent des colibris dont on fait des brochettes qui procurent un peu de viande à la famille).
Le grand voyage
L'équilibre fragile de la survie est remis en question lorsque la région doit subir
trois années de sécheresse consécutives. La maman décide alors de quitter la région où elle est née pour rejoindre son mari qui habite la ville de Sao Paulo, à 2.600 km de là . Elle vend son lopin de terre pour payer le voyage, et toute la famille embarque sur un camion rempli d'émigrants, un matin de décembre 1952. Le petit Lula a alors 7 ans.
L'affreuse banlieue industrielle au développement anarchique, au ciel assombri par la pollution apparaît comme un paradis pour les nouveaux immigrants par rapport à l'ennui et à la monotonie des campagnes. Ils découvrent une multitude d'activités dont ils ignoraient l'existence : la plage, le football, les petits boulots qui permettent de se payer le cinéma...
Le syndicalisme
A quinze ans, Lula se fait embaucher pour la première fois à l'usine, chez un fabriquant de pièces métalliques. Il réussit ensuite le concours d'entrée dans une école professionnelle financée par le patronat, où il va apprendre le métier d'ouvrier-tourneur. Sa famille considère à ce moment qu'il a réussi et organise une grande fête le soir de son admission.
Après quelques années insouciantes, le jeune homme découvre les grèves et la violence. D'abord attiré par le simple fait qu'il se passe quelque chose d'inhabituel et d'intéressant, il est rapidement confronté à l'horreur lorsqu'il assiste à la défenestration d'un patron par ses ouvriers.
Malgré les tentatives de son frère Chico pour l'intéresser aux luttes de la classe ouvrière, il refuse de s'impliquer dans le combat syndical. A l'époque, « le seul journal qu'il lit est la 'Gazette des sports', où il suit avec passion les péripéties de son club de football favori » (p.73).
Au cours de ces années heureuses, il fait connaissance d'une jeune fille qu'il épouse. La veille de son mariage, son frère insiste pour que Lula entre dans la direction du syndicat des métallos de Sao Bernardo, ville où se trouve l'usine où il travaille.
Mais son épouse décède de maladie au huitième mois de sa grossesse. Désespéré, il trouve du réconfort auprès de ses companheiros du syndicat. Il s'implique dans la vie syndicale et franchit les échelons de responsabilités, devient permanent, directeur du service juridique puis, en 1975, à trente ans, il est élu président du syndicat des métallurgistes.
Torture
Cette même année, au mois d'octobre, une expérience bouleversante change radicalement sa vision du monde : son frère Chico, qui est communiste, est arrêté et torturé par les sbires du régime, une dictature militaire.
Cet épisode ouvre l'esprit de Lula : « Je suis devenu courageux. Avant, je crois que j'étais un peu lâche ». Cet épisode a provoqué en lui ce qu'il appelle « un saut qualitatif extraordinaire » de son sens politique. La lutte n'est plus une activité parmi d'autres, entre une partie de football et une soirée entre amis (pp. 105-106).
Emergence d'un leader
Lula est au départ un jeune homme timide qui craint de prendre la parole en public. Mais un ascendant spécial dont il dispose sur les autres le transforme en quelques années en un tribun respecté et sûr de lui. Il s'agit d'années de lutte, de grèves très dures, de défis à la dictature. En 1979, il est emprisonné parce que le tribunal a déclaré la grève illégale. Il sera heureusement bien traité.
Le PT
Cette période sera immédiatement suivie d'une vague de redémocratisation, au cours de laquelle Lula commence à réfléchir à la création d'un nouveau parti politique.
Le 13 octobre 1979, il réunit 130 militants à Sao Bernardo et crée la la première ébauche du parti des travailleurs, sur le modèle du syndicat, mais élargi à tout le peuple.
Pour Christian Dutillieux, « Il s'agit d'un parti de classe, celui de tous les exclus et de tous les opprimés, des paysans sans terre aux collecteurs de cahoutchouc d'Amazonie, des habitants des bidonvilles aux fonctionnaires sous-payés. ». Le PT est interdit aux patrons, aux propriétaires terriens ou aux banquiers (p. 154). Ce sera le premier parti brésilien qui ne sera pas aux mains des notables.
A l'époque, les syndicalistes jouissent d'une grande influence suite à leur lutte face à la dictature. Lula est le plus important. Son nouveau parti attire « une myriade de groupuscules d'extrême gauche (...), les jeunes, les étudiants, les activistes pour les droits de l'homme, de la femme, des homosexuels, des écologistes » (p.157). Il bénéficie également de l'important soutien de l'église catholique, où la théologie de la libération est à son apogée.
Le pouvoir
Ce n'est que lors de l'élection d'octobre 2002, la quatrième à laquelle il se présente, que Lula sera finalement élu.
Dans ce régime présidentiel, c'est lui qui détermine les grandes options politiques.
L'Etat doit être actif, efficace, présent sur tous les fronts.
Il mène campagne pour le désarmement, développe une politique efficace contre le SIDA.
Sur le plan économique, il contrôle les finances publiques, soutient les exportations, modernise la législation économique, facilite le microcrédit.
Pour Christian Dutilleux, « l'Etat-Lula n'est pas socialiste. Il joue à la fois les rôles d'arbitre et de 'coach' de l'économie.» (p.282).
Un programme Faim Zéro est lancé, pour aider les cinquante millions de Brésiliens (le tiers de la population du pays) qui vivent sous le seuil de pauvreté. Diiférentes aides sont fusionnées en une bourse de trente euros par famille et par mois, qui est déjà allouée à six millions de familles - soit trente millions de personnes.
La bourse est allouée préférentiellement aux femmes (93% des cas), dont le ministre responsable estime qu'elles sont en général plus honnêtes.
Rôle international
Reçu à Davos comme à Porto Allegre, Lula « fait irruption sur la scène internationale en imposant son style unique » (p. 285).
C'est notamment le Brésil qui fait capoter les négociations de l'OMC à Caucun. Il obtient à l'ONU le soutien de 130 pays pour un programme de lutte contre la faim dans le monde. Il crée le G4 avec l'Allemagne, l'Inde et le Japon pour soutenir la candidature du Brésil à un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU...
Pour Christian Dutilleux, Lula est devenu un protagoniste fondamental des relations internationales, « la plus grande nouveauté du début du XXIe siècle » (p. 288).
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