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Gestion politico-administrative d'un village chez les luba-lulua au Kasaï
Banc Public n° 141 , Juin 2005 , François Dijiba B.
Les mécanismes nationaux de gestion de l'Etat du Congo suscitent beaucoup d'intérêt à l'étranger, notamment dans le cadre des élections démocratiques qui doivent être bientôt organisées. Dans une toute autre perspective, nous nous intéresserons ici aux mécanismes traditionnels locaux d'organisation du pouvoir dans ce pays, en particulier dans la province du Kasaï.
Le village est une entité politico-administrative dépendant en milieu rural d'une collectivité (administration publique) et d'un groupement (pouvoir coutumier).
Son importance est variable, et va de quelques cases à des centaines d'habitations. L'une des caractéristiques est, en plus de l'espace territorial, la reconnaissance de l'appartenance à une même lignée (même ancêtre). Suivant son importance, on peut dénombrer plusieurs clans dans un village et chaque clan compte en principe plusieurs familles nucléaires.
Du clan au groupement en passant par le village, la structure organique est presque la même, dans la mesure où chaque clan dispose d'un chef ou un membre qui sert d'interlocuteur valable en cas de problème intra ou inter clanique. Celui-ci ne décide pas seul: il y a un conseil de clan qui légifère et le chef exécute.
Il pourrait aussi être ajouté le rôle d'un sorcier, féticheur, prêtre ou devin selon le cas, dans la mesure où la gestion du village est indissociable de la gestion des deux mondes juxtaposés: le monde visible, ou monde des vivants, et le monde invisible appelé monde des ancêtres. Ici il y a lieu de souligner qu'on parle des vivants comme on parle des morts, étant donné que les ancêtres morts n'ont fait que changer d'état, mais ils restent aux côtés des vivants et interviennent dans la protection de leur lignée. Les vivants vont souvent recourir à eux dans les situations difficiles. Le prêtre révèle au chef les choses à venir, interprète les songes et bien d'autres choses.
Schématiquement, on peut dire qu'il y a un chef exécutant, un conseil des sages qui délibère, le peuple qui est administré. Le Conseil des Sages peut être scindé en sages, juges et médiateurs.
De la désignation
Dans un village, sauf circonstances exceptionnelles, il n'existe pas de coup d'Etat, c'est-à -dire qu'on ne s'improvise pas chef (ne devient pas chef qui le veut). La procédure de désignation est longue: elle va de l'identification du candidat à son initiation en passant par beaucoup de tests parfois périlleux.
Souvent le chef du village propose un candidat futur chef qui peut être de sa famille ou d'une autre famille du clan régnant. Un lien doit exister, ce ne peut être un étranger inconnu. Cette désignation doit être justifiée en regard d'un certain nombre de qualités exigées d'un chef, notamment: le chef doit être un sage fort pour défendre les intérêts du village, avoir une bonne moralité et la maîtrise de soi, bref il doit être un humaniste.
L'initiative de cette proposition de candidat peut provenir du chef ou des sages. Il s'ensuit une observation du candidat et son approbation en cas de satisfaction du candidat. Si le candidat ne satisfait pas à ces critères prédéfinis, un autre est proposé et, en tout état de cause, le candidat doit réunir un consensus autour de sa personne. Toute personne qui serait opposée au choix doit motiver son avis, et un débat est provoqué à ce sujet où chaque camp amène son argumentaire. Le débat a pour objectif d'arriver à trouver un consensus, car chaque camp est disposé à revoir sa position vu la pertinence des arguments du camp adverse et au besoin on se fait des concessions, afin de rassurer les uns et les autres et d'obtenir le soutien de tous.
L'observation du candidat consiste à voir ses réactions devant les autres (grands, petits, hommes femmes, vieillards, veuves, orphelins, étrangers), son savoir-être et son savoir-faire.
Dès l'instant où le candidat est accepté (du vivant du chef), il est confié à d'autres sages pour son initiation jusqu'à l'âge adulte, où le chef commence petit à petit à l'associer à la gestion courante en lui confiant quelques petites missions comme la représentation, la médiation. Pendant cette période d'initiation, il subit différents tests où il doit faire preuve de courage et de force tant morale que physique.
Ainsi par exemple, on peut l'envoyer seul et en pleine nuit obscure récupérer un objet oublié dans la forêt ou la brousse ou aller sauver quelqu'un qui se noie, ou se mesurer avec un animal féroce comme un léopard ou une vipère dont il doit apporter la preuve de l'avoir abattu. On peut lui confier le partage du gibier au village. Dans ce partage, il doit veiller à ce que tout le monde ait sa part en tenant compte de la place de chacun, notamment les aînés, les vieillards sans oublier les veuves et orphelins, lui-même se servant le dernier.
L'objectif de cette initiation est de former le futur chef pour qu'il soit capable d'assumer ses fonctions pleinement et efficacement. Car le chef reste avant tout le serviteur par excellence de la communauté et à ce sujet un adage qui dit «Bantu wa mukalenge, mukalenge wa bantu», c'est-à -dire les gens appartiennent au chef et le chef appartient aux gens.
Quand son initiation est terminée auprès des sages et qu'il est prêt à assumer ses charges, le chef commence à l'associer au pouvoir, il participe aux différents conseils et il assiste le chef dans ses différentes tâches. Il ne pourra être intronisé qu'au décès, à la démission ou à la destitution du chef en cas de manquement grave (après lui avoir donné l'occasion de se défendre).Â
En aucun cas le candidat chef ne peut porter atteinte au chef ni lui porter ombrage ; tout manquement avéré est sanctionné suivant sa gravité, et le candidat peut être déchu en cas de manquement grave comme crime, viol, vol ou tout abus d'autorité sur le peuple. Le candidat doit être en toute circonstance un modèle, et s'il a des défauts mineurs, on essaie de les corriger ou de mettre des gardes-fous. Il n'y a pas de vide à la tête du village. En cas de circonstances exceptionnelles, le conseil des sages désigne l'intérimaire parmi les membres du conseil (quelqu'un de rôdé aux affaires).
L'entrée en fonction du chef est conditionnée par son acceptation par les différents clans du village afin d'éviter des contestations qui affaibliraient le village. Cela se fait généralement après les funérailles de son prédécesseur en cas de décès.
Les attributions du chef
Le chef du village est le porte-parole du village devant les vivants et les morts, il est celui qui préside la cérémonie devant le feu en cas de problèmes graves, et c'est lui qui présente les sacrifices aux ancêtres.
Il veille sur les habitants du village, sur leurs biens, il assure la police dse débats en cas de palabre, et rien de ce qui touche à son village et à son peuple ne peut lui échapper. Pour ce faire, il doit contrôler les sorciers et féticheurs, ce qui lui suppose des moyens métaphysiques, c'est-à -dire qu'il est un sorcier qui limite les dégâts des autres sorciers en sa qualité de défenseur.
Le chef n'a pas de mandat ou de salaire, son mandat peut être limité par son état de santé ou par sa déchéance pour avoir enfreint la loi du village. En reconnaissance de son travail, le chef reçoit des prémices et divers cadeaux de son peuple car dans la maison du chef, il ne doit pas manquer à manger: le chef doit en effet accueillir toutes les autorités et des étrangers qui arrivent au village. Le niveau de pauvreté du chef reflète la pauvreté des gens du village et c'est de sa faute si les habitants n'ont pas assez de récoltes, si la pêche ou la chasse ne produisent pas, si les commerçants ne font pas de bonnes affaires. En pareilles circonstances, le chef doit, après concertation avec les sages et les représentants de tous les clans, convoquer l'assemblée générale du village afin de rechercher la cause malédictions, de sanctionner les coupables et conjurer le mal par une cérémonie autour du feu. Après cette cérémonie à laquelle les ancêtres sont associés, les coupables qui ne se sont pas repentis ou les traîtres sont souvent punis de mort (cette mort arrive de manière subite, par morsure de serpent ou par un ballonnement abdominal).
Assemblée générale
Souvent, la tenue d'une assemblée générale est la deuxième étape des réunions informelles des différents conseils (sages, chefs des clans). Elle sert à formaliser les choses et informer officiellement tout le peuple, et se termine par une assemblée générale adaptée au problème traité.
Au cours de cette rencontre où toutes les personnes interrompent leurs activités pour se rendre à la cour du chef, tout le monde s'installe selon un ordre bien déterminé suivant les clans, hommes et femmes, chaque groupe se positionne par rapport au cercle formé et le responsable ou porte parole se met devant son groupe de sorte que celui qui prend la parole est audible et visible de tous. Le chef est le seul derrière lequel personne ne peut se mettre et il a à ses côtés des sages (obligatoires) et des spécialistes des questions traitées.
Le chef dirige le débat comme il peut désigner un modérateur parmi les sages. Les différentes parties en cause reçoivent la parole à tour de rôle et plaident leurs causes devant les juges qui posent des questions pour la précision éventuelle. Souvent, on utilise des figures de style oratoires spéciales, ou on recourt à des proverbes et images pour atténuer une réalité pénible. Les excès d'égards ne sont pas admis. généralement, les personnes avec des difficultés de parole sont assistées par des avocats du clan ou du village, tout le monde devant avoir la possibilité de se défendre ou d'être défendu.
Chaque partie doit, dans ces joutes oratoires, justifier sa position et chercher à renverser les arguments de l'autre partie, ou plaider coupable et recourir aux circonstances atténuantes si elle s'avoue vaincue. Si quelqu'un s'avoue vaincu, on met fin au débat, car, en aucun cas, on ne doit humilier celui qui a plaidé coupable. Si la question abordée est très difficile, le débat peut prendre plusieurs heures ou plusieurs jours, afin de donner à tout le monde qui le souhaite la possibilité de s'exprimer, l'objectif étant d'apaiser tout le monde pour une paix sociale au village.
Pendant ce débat, le chef se concerte tout le temps avec les sages qui l'entourent afin d'attirer son attention sur tel ou tel autre argument évoqué. Si le chef est induit en erreur, un des sages, par plusieurs subterfuges, peut l'interrompre pour éviter le pire, le temps de lui expliquer où était un piège ou lui apporter une information utile à ce niveau de débat.
Il revient au chef de clôturer le débat si un compromis est trouvé. Au cours des débats, il y a un principe sacré qui recommande qu'on dise la justice, en restant impartial, quelle que soit la personne en présence, soit-elle quelqu'un de sa famille. « batu basa kwaba muanda, kabatu basa kwaba wetu ».
Les sages
La sagesse n'a pas d'âge, « lungenyi mponda wa pa tshisasa, mwakunyi naalu utu wa lupesha mukulu » : un cadet peut être plus sage que des aînés. C'est vrai que la plupart du temps, compte tenu de leur expérience, les sages se recrutent parmi les personnes âgées. Mais des jeunes qui font montre de beaucoup de maturité peuvent se retrouver dans la catégorie des sages. Leur nombre dépend de l'importance du village et des problèmes à gérer.
Rôle des sages
Un sage est un conseiller du chef. Il jouit du respect et il est écouté. Il est un philosophe, un juge impartial et un médiateur. Il a un rôle social pour la paix et n'a pas de salaire. Généralement, le sage a son travail qui le nourrit. Le sage peut être consulté par n'importe quelle personne du village pour ses conseils.
La vie au village
La vie au village est dominée par des travaux champêtres et de pêche (pour ceux qui habitent le long des cours d'eau poissonneux), excepté pour des personnes âgées et des malades. On trouve d'autres métiers comme des forgerons, des maçons, des tisserands, des chasseurs, les commerçants détaillants et des griots qui ne manquent jamais.
Les jeunes s'initient aux activités des adultes en dehors de leurs moments de loisirs.
François Dijiba B. |
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