En français dans le Monde

Banc Public n° 117 , Février 2003 , Michel LEGRAND



L’ile Maurice, la Réunion, les Seychelles sont, dans l’image des Européens du Nord, associées aux vacances, au soleil, à la douceur de vivre. Il nous a semblé intéressant de jeter un regard plus administratif sur la première d’entre elles, puisqu’il concerne directement l’usage de la langue.

 

Un peu d’histoire

Située dans l’océan Indien, au large de Madagascar et à l’ouest de l’ile de la Réunion, l’ile Maurice est conquise par la France en 1715 et prend le nom d’Ile de France. La période française va durer pratiquement un siècle au cours duquel le peuplement de l’ile (à l’origine à peine 2.000 habitants) s’accélère par l’arrivée des colons de la métropole, d’une part, et d’esclaves venus de Madagascar et d’Afrique noire, d’autre part.

Dans ces circonstances, le français devient la langue de l’Ile de France, qui profite des apports de la Révolution et de l’Empire comme le code Napoléon.
En 1810, l’ile est conquise par les Anglais, de même d’ailleurs que la Réunion et les Seychelles. Les traités de Paris et de Vienne confirment cette conquête pour l’ile Maurice et les Seychelles, tandis que la Réunion est restituée à la France.

La fin du XIXe siècle ne sera guère favorable à l’ile Maurice puisqu’elle doit faire face à deux événements qui compromettent sa situation économique : l’ouverture du canal de Suez qui l’écarte définitivement de la route des Indes et l’apparition de la betterave à sucre qui fait chuter le cours de la canne à sucre, son principal produit d’exportation. En 1968, l’ile devient indépendante et membre du Commonwelth.


Et maintenant

Après 160 ans de présence anglaise, on pourrait croire que l’usage du français a été complètement laminé. Il n’en est rien, entre autres parce que les Anglais ne font aucun effort pour angliciser l’ile et pour y faire venir des colons. Le résultat est dès lors surprenant puisque le français, l’anglais et le créole coexistent assez harmonieusement sur l’ile. Si le créole est employé pour l’usage quotidien, le français par contre domine dans la culture et la presse tandis que l’anglais est utilisé dans les affaires et l’administration.

Quelques exemples concrets

Plusieurs quotidiens sont édités dans l’ile dont L’Express et Le Mauricien, en français. Ce dernier est d’un niveau assez élevé et est rédigé pour l’essentiel en français, sauf quand il s’agit de faire référence à des décisions juridictionnelles ou administratives.

Ainsi, dans son édition du 11 janvier 2003, un grand article est consacré à l’arrêt de la Cour suprême qui annule une décision de police interdisant une manifestation.

Dans la présentation de l’article, il est fait référence à un extrait de la décision rendue en anglais :

«La Cour suprême, dans un jugement rendu par le juge Eddy Balancy à 14h40, hier après-midi, a autorisé la marche du People’s Forum prévue pour le lundi 15 janvier prochain, marche initialement interdite par la police. Dans son jugement, Eddy Balancy écrit, entre autres :

“The decision of the Commissioner of Police to prohibit the march in question is, in my view, in violation of the provisions of section 4 of the Public Gathering Act (PGA) and of the spirit of sections 12 and 13 of the Constitution... the decision of the Commissioner cannot therefore be allowed to stand and is hereby quashed”.

Le juge Balancy estime cependant que “reasonable conditions (can be imposed) in connection with the march” - conditions qui doivent être communiquées au People’s Forum aujourd’hui à midi au plus tard, ajoute le juge Balancy.»

L’ensemble de l’article mêle les extraits du jugement en anglais et les commentaires en français. A la page 5, du journal, une tribune libre très fouillée, consacrée au système électoral, est entièrement rédigée en anglais. Enfin, un grand nombre d’annonces commerciales et administratives sont également rédigées en anglais.

A propos de L’Express du 10 janvier 2003, dont le niveau parait nettement moins rigoureux que Le Mauricien, les mêmes remarques peuvent être formulées. Ainsi, dans un article consacré aux cotonniers américains à propos de la libéralisation du commerce international, on peut lire l’extrait suivant intégré dans le corps de l’article :

«D’ailleurs, réagissant à la proposition faite par l’Union européenne, Richard Mills, le porte-parole du représentant commercial américain, devait déclarer : “The EU”s, proposal, while welcome, does not embrace fundamental reform in world agricultural trade. We need to cut subsidies substantially and move away from distorting production. We need to slash tariffs. Without aggressive agriculture reform, Doha will be paralyzed.’ Cependant, quand on sait que la proposition américaine a été faite seulement deux mois après la signature du Farm Act 2002, comment prendre cette ambition de libéralisation du commerce proclamée par les Etats-Unis?»

De même, une page consacrée à la politique étrangère est rédigée totalement en anglais, ainsi qu’un grand nombre d’annonces commerciales et administratives.
L’Express fait également usage de la langue populaire, le créole, dans certains articles consacrés à des faits divers ou à la vie quotidienne, Voici un extrait significatif :

«Le Fonds pour l’intégration sociale des personnes les plus vulnérables leur a offert des feuilles de tôle pour agrandir leur demeure.

Bien qu’étant unijambiste, Antoine aidait à l’embellissement de la maison. “Même ki li pas ti capave marcher, li ti place bane ti roche pour faire sali”, se souvient Giantee. Quand elle commence à parler de son mari, rien ne peut l’arrêter. D’une voix saccadée, elle raconte les derniers moments qu’elle a passés à son chevet, à l’hôpital.

“Li ti gagne ène tas complications et li ti éna beaucoup tubes avec li. Mo ti besoin faire li boire”, dit-elle en pleurant. ‘Dernier fois mo ti trouve mon mari vivant li pas ti capave causé. Li ti pé guette moi fixe et li ti pé ploré.’ C’est le dernier souvenir qu’elle a d’Antoine avec qui elle a vécu pendant plus de 15 ans.»

Les mêmes remarques générales peuvent être faites pour un hebdomadaire, «Week-end».

Par contre, l’hebdomadaire News, est exclusivement rédigé en anglais.

Quelques observations

A un moment où l’impérialisme de la langue anglaise est critiqué, souvent à juste titre d’ailleurs, on peut relever ici que le français s’est maintenu en compagnie d’un idiome local, le créole, et de l’anglais, chacun se limitant ou se spécialisant dans un secteur d’activité particulier.

A l’anglais, l’administration, au français, la culture, les journaux et l’usage courant, au créole l’usage populaire.
Pour un Européen, habitué à l’homogénéité linguistique, ce patchwork est surprenant. En effet, tant en France qu’en Italie, ou en Belgique -mais pas au Grand-Duché de Luxembourg-, on a opté pour l’unilinguisme où la langue administrative coïncide avec la langue de communication et pour l’essentiel avec la langue quotidienne.

Le modèle de l’ile Maurice n’est pas unique puisque, dans beaucoup de pays d’Afrique francophone ou anglophone, on retrouve un schéma analogue, par exemple avec le français réservé à la vie administrative, à la culture et aux journaux, et la langue locale ou ? réservée à l’usage quotidien (ainsi, au Congo, Kinshasa, le français coexiste avec le lingala).

Par contre, le modèle de l’ile Maurice est intéressant et original dans la mesure où il permet la coexistence des deux langues internationales qui se sont implantées dans l’ile à des époques différentes et qui se sont spécialisées dans des domaines différents et d’une langue locale.

 


Michel LEGRAND

     
 

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