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DEMOCRATIE PARTICIPATIVE A PORTO ALEGRE
Banc Public n° 110 , Mai 2002 , Catherine VAN NYPELSEER
La démocratie est un concept théorique dont les systèmes politiques existants peuvent s’approcher plus ou moins mais qu’il est impossible de réaliser parfaitement. Une des limites se trouve dans le nombre de personnes appelées à débattre et à décider, que l’on résolvait auparavant par une soustraction: l’exclusion de larges catégories de la population (vote censitaire), et que l’on gère actuellement par un processus de division: soit, de façon marginale, par tirage au sort, comme par exemple pour désigner le jury populaire d’un procès d’assises, soit, le plus souvent, par l’élection de soi-disant “représentants”.
Ce système est insatisfaisant dans la mesure où ces représentants ne rendent jamais de comptes à leurs électeurs qu’ils ne pourraient d’ailleurs pas consulter puisqu’ils ne les connaissent pas, le vote étant secret. Les électeurs de la démocratie représentative ne dirigent la politique de leur pays que très indirectement, n’étant consultés que très rarement, et ce système génère actuellement un sentiment de frustration et la recherche d’autres modes d’organisation permettant d’améliorer la démocratie. En Belgique, on a beaucoup parlé de la technique du referendum, mais les réformes nécessaires n’ont pas été enclenchées. Au Brésil, un nouveau concept de démocratie “participative” a vu le jour et connait plusieurs réalisations concernant la gestion de grandes villes, dont la plus célèbre est Porto Alegre.
Le Brésil est un énorme pays de plus de 160 millions d’habitants qui est une des dix puissances économiques mondiales, mais dont la structure sociale se caractérise par des disparités énormes dans la répartition des richesses, ce qui en fait seulement le 68e selon l’indicateur de développement humain du PNUD.
Sur le plan politique, il a vécu une dictature militaire qui débuta en 1964 et s’effaça progressivement au début des années 80. Par ailleurs, depuis le XIXe siècle s’y est implanté un clientélisme de grande ampleur mêlé de corruption jusque dans les bas niveaux de l’administration, particulièrement dans les quartiers populaires et les favelas, où les associations de quartier permettaient à un leader local de monnayer les votes des habitants contre un investissement dans le quartier, un emploi ou une aide sociale. Les mobilisations politiques à grande échelle obéissaient dans ce contexte au modèle du leader charismatique populiste qui s’adresse directement aux électeurs et organise son mouvement de façon autoritaire.
Porto Alegre est la capitale de l’état du Rio Grande do Sul, un état plutôt favorisé; c’est une ville d’un million trois cent mille habitants, peuplée en majorité de descendants d’immigrants européens qui jouit d’un fort taux d’alphabétisation et d’une répartition des richesses moins inégale que dans le reste du Brésil.
Le PT
La fin de la dictature a vu l’émergence d’un nouveau parti de gauche, le parti des travailleurs (PT). Ce parti est issu de trois courants principaux - le mouvement syndical, un des facteurs d’élimination de la dictature, très influencé par le syndicat Solidarnosc en Pologne; - les miliants chrétiens influencés par la théologie de la libération; - certains partis d’extrême gauche non-staliniens (trotskistes, guévaristes), peu importants en termes de nombre d’adhérents mais qui lui ont apporté un savoir-faire et des traditions politiques décisifs. Ces militants ont promu la démocratie interne (pluralisme, élection des responsables à tous les niveaux).
S’implantant d’abord au niveau local et à l’écart des structures institutionnelles (bien que son leader Lula, issu du courant syndical, aie failli remporter l’élection de 1989 contre Fernando Collor), il est en position actuellement de jouer un rôle important au niveau fédéral. Aux élections municipales de 2000, il a notamment repris la capitale, Sao Paulo, ainsi que 187 villes de plus de 200.000 habitants. Une des raisons de ce succés est la réussite des expériences de gestion participative qu’il a menées dans les municipalités où il était au pouvoir.
La gestion participative
Depuis la révision constitutionnelle de 1988, la Constitution brésilenne définit le Brésil comme une démocratie représentative et participative. Son article premier établit que “tout le pouvoir émane du peuple, qui l’exerce au moyen de ses représentants ou directement”. Par ailleurs, l’organisation du pays est décentralisée vers les états fédérés et les municipalités qui fixent le taux d’imposition locale et jouissent d’une importante autonomie organique et financière.
Parallèlement à cette évolution institutionnelle fut réalisée une décentralisation des moyens financiers, ce qui donna un enjeu aux procédures de participation en train de se mettre en place, alors qu’auparavant les marges budgétaires étaient inexistantes, 97 à 98 % du budget de la ville de Porto Alegre, par exemple, étant consacré aux traitements du personnel municipal.
Le budget participatif
La technique de démocratie participative qui a été mise en place par le PT à Porto Alegre est un modèle pragmatique et évolutif, constamment réévalué et adapté.
Premièrement, une structure participative pyramidale est organisée à partir d’une division territoriale de la ville en secteurs (au nombre de 16). Des réunions ouvertes à tous ont lieu par quartier pour l’élaboration des projets des habitants, sans contrôle du pouvoir politique. Ensuite, les assemblées plénières de chaque secteur élisent des délégués qui élaboreront, pour chaque secteur, la liste des projets et leur priorité.
Par ailleurs, des réunions thématiques par quartiers puis à l’échelle de la ville sont organisées (les six thèmes sont: circulation et transports; santé et assistance sociale; culture, éducation et loisirs; développement économique et imposition; organisation de la ville; développement urbain et social). Les 16 secteurs et les six assemblées thématiques élisent ensuite chacun deux conseillers au budget participatif, qui comportera en outre un conseiller désigné par le syndicat des employés municipaux et un par l’union des associations de quartiers. L’exécutif communal désigne également quatre représentants qui siègent avec voix consultative. Tous ces mandats sont limités à un an et sont incompatibles avec d’autres fonctions dans les organes municipaux.
Le Conseil du budget participatif est l’échelon supérieur de la pyramide. C’est l’interlocuteur du bourgmestre pour l’élaboration du budget. Il supervise en outre le fonctionnement de la structure participative et en détermine le mode de fonctionnement: choix des secteurs et des thèmes, critères d’élection des délégués, répartition des ressources, etc.L’organisation municipale
La municipalité fournit l’infrastructure logistique des réunions du Conseil du budget participatif ainsi que des formations sur le budget communal et tous les documents nécessaires.
La structure des services communaux a été adaptée en vue de permettre la participation: - un service nouveau de coordination entre toutes les administrations communales, le GAPLAN, doté d’une forte autorité administrative, a été créé; - une structure est chargée du dialogue avec les leaders associatifs locaux; - pour chaque secteur et pour chaque thème, un fonctionnaire est chargé d’aider à l’organisation des assemblées locales et de populariser la participation.
L’administration communale fonctionne sur le mode présidentiel: le bourgmestre est élu au suffrage universel direct et c’est lui qui désigne les principaux responsables de l’administration. Le conseil communal, élu également au suffrage universel, n’est pas nécessairement dominé par le même parti. Les mécanismes juridiques déterminant les décisions en cas de désaccords entre le Conseil communal et le bourgmestre donnent un rôle prépondérant à ce dernier. Les matrices des choix budgétaires
L’assemblée plénière des habitants de chaque secteur détermine la priorité de chaque type d’investissement en lui attribuant une note de 0 à 4, soit en additionnant les priorités obtenues par ce thème dans les microsecteurs, soit, pour les cas litigieux, par débat suivi d’un vote.
Ces notes sont additionnés à l’échelle de la ville pour former, de manière purement arithmétique, une première matrice déterminant la priorité de chaque type de dépense par rapport aux autres. C’est ainsi que sont décidées les grandes orientations budgétaires de la ville. A l’aide de cette première matrice, ainsi que des résultats des assemblées thématiques, des budgets nécessaires à la continuité des services publics et de ceux des investissements pluriannuels, le GAPLAN élabore le projet de budget, qui répartit les dépenses entre les administrations municipales. Celui-ci est soumis au bourgmestre puis présenté devant le Conseil du budget participatif pour y être voté après amendements éventuels.
Ensuite, il faut répartir géographiquement les investisements décidés. Deux séries de paramètres chiffrés sont utilisées: - une matrice établie par les services techniques de la commune qui chiffre les carences de chaque secteur en services et en infrastructures; - une matrice de pondération démogaphique qui donne plus de poids aux secteurs les moins peuplés.
La combinaison de ces trois matrices de paramètres permet d’obtenir les sommes allouées à chaque secteur pour chaque poste budgétaire.
Tous les ans, un nouveau budget est ainsi élaboré, après que l’exécution du budget de l’année précédente ait été analysée, et que les critères de répartition ainsi que l’organisation du processus participatif aient été rediscutés.
Le taux de participation
Ils sont en croissance constante depuis le début du processus en 1990, mais les participants ne représentent que de 1,5 à 6% (selon les secteurs) de la population. Les femmes et les jeunes sont fortement représentés dans les structures de base, moins dans les structures supérieures. La représentation des couches populaires est plus élevé que leur poids démographique. Plus on s’éléve dans la structure, moins les femmes, les personnes de moins de quarante ans et les personnes peu scolarisées ou de milieu social défavorisé sont représentées.
Les résultats
Les réalisations de travaux d’infrastructures de base dans les quartiers populaires ont été très importantes: asphaltage des routes (ce qui permet les transports publics, la mobilité en vue de l’exercice d’un emploi, la collecte des ordures, etc.), eau courante (99 %), tout à l’égout (84 % en 1999 soit le double de 1990).
Dans le domaines des services et de l’éducation, le nombre de crèches municipales a triplé. Le nombre d’enfants scolarisés dans les établissements municipaux a presque triplé. Un grand effort a été consacré au secteur de la santé.
Au niveau économique, l’effort s’est tourné vers les microentreprises et l’économie solidaire. Il n’y a pas eu de grands chantiers.
Conclusion
L’expérience de gestion participative de Porto Alegre suscite un grand intérêt dans le monde et s’insère dans une dynamique de recherche propre à l’Amérique du Sud. Il est trop tôt pour juger si de tels processus sont généralisables à plus grande échelle, en particulier pour la gestion d’un état. En tous cas, ses succès suscitent un enthousiasme qui dépasse les cercles de gauche puisque la Banque Mondiale s’y est vivement intéressée et lui a accordé des prêts à des taux avantageux.
Catherine VAN NYPELSEER |
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Biblio, sources...
Cet article est basé sur le livre de Marion Gret et Yves Sintomer : Porto Alegre, L’espoir d’une autre démocratie, éditions La Découverte (137 pages, 8,85 Euro).
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