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CAP CARTHAGE: Un pays sous perfusion

Banc Public n° 215 , janvier 2013 , Kerim Maamer



Nombreux se sont sentis proches de ce “plat pays” de l'Afrique méditerranéenne, ouvert sur les langues, accueillant pour le monde. Un pays « trankil » comme le disent ses citoyens, qui subitement a fait l'actualité mondiale, avec la révolution des « jasmins ». Celle-ci ouvrirait sur le  “printemps arabe”, mais nous nous demandons si elle ne débouche par sur une saison de pluies périlleuses qui lessiverait l'Etat, l'autorité et les institutions ... 


 

La révolution civile qui a suscité tant de sympathies fit place à la déception lorsque des partis religieux s'installèrent en Tunisie, Libye, Egypte et bientôt en Syrie. Un bloc politique islamique risque de se constituer depuis le Maroc jusqu'au Pakistan et cette situation déplaît à nombre d'intellectuels. Les stratèges américains ont considéré cet « état de fait » indéniable et recherchent le partenaire de dialogue.  L’'Europe voit les choses autrement. Le pouvoir religieux irrite, au nom d'une douloureuse expérience de l'Histoire. Le Vieux continent s'est libéré du pouvoir divin, par d'âpres luttes qui ont conduit à la laïcité, à la citoyenneté, à l'égalité, à un système de gouvernement démocratique, dans lequel, les religieux, pour autant qu'ils le désirent, pourraient jouer leur rôle démocratique, au sein de formations politiques. Finalement, la référence religieuse a perdu de son poids et nombre de partis politiques ont abandonné leur référence de parti chrétien ou catholique, préférant les notions de conservateur ou d'humaniste. L'expérience de l'Europe pouvait être mise à profit par des sociétés arabes. Mais celles-ci s'imaginent que l'Islam serait moins oppressant que le christianisme... ce qui rend sceptique la totalité de l'intelligentsia. 

 

De la révolte à la révolution

 

La grande déception vient de Tunisie. Le doux pays nous avait habitués à une population émancipée, paisible, avec une croissance économique régulière et satisfaisante. Le pays vit la plus grave crise de son existence, avec un clivage essentiel autour de la place de la religion dans le système politique, dans la vie des citoyens, dans le cœur des gens. Des changements fondamentaux se produisent, même s'ils ne font pas l'actualité. Ils nous interrogent pour savoir s'ils ne vont aboutir à pire dictature qui imposerait les volontés d'un Dieu indéfini !

 

La révolution tunisienne du 14 janvier 2011 est à l'origine un mouvement de mécontentement, que l'on observe souvent en Tunisie dans les périodes du mois de janvier. Certains ont dégénéré en graves émeutes comme en janvier 1952, 1978, 1984, 1986. Les gouvernements de Tunis avaient maté et pacifié ces révoltes selon des méthodes de sécurité classiques qui se sont avérées insuffisantes en janvier 2011. Des facteurs nouveaux ont renforcé le pouvoir civil et modifié la donne: impopularité du clan Ben Ali; mécontentement de toutes les classes sociales, participation de l'intelligentsia, fluidité de l'information; communication internet ; inadéquation et insuffisance de l'équipement de sécurité, mise en garde des Etats-Unis, perte d'autorité du président sur les organes de l'Etat; défaillance de la sécurité et de l'armée... L'état-major en est arrivé à prendre des décisions politiques, organisant un sauf-conduit pour le président et prenant parti pour le peuple contre Ben Ali. Concours de circonstances ou désobéissance? Elle a valu au général Amar d'être considéré comme un héros de la révolution, tout comme il aurait pu être traduit devant un tribunal militaire pour haute trahison. Banc Public a analysé les causes de la révolution des jasmins, dans des articles de fond qui gardent leur intérêt (voir site internet du journal).

 

Le gouvernement provisoire 

 

Après la révolution, le président intérimaire Foued M'bazaa nomme Béji Caïd Cebsi à la primature pour assurer la transition démocratique et organiser des élections libres. Béji Caïd Cebsi est un de ces anciens de l'aristocratie tunisienne, né en 1926 dans le petit village de Sidi Bou Saïd, que tous les touristes ont visité, au moins une fois. Ce village perché  des collines de Carthage s'était fait mondialement connaître pour son art de vivre, son architecture et l'harmonie de ses couleurs. Son père exerçait une fonction publique au sein de l'administration beylicale. L'avocat Béji s'engage très jeune en politique, pour en devenir un vieux routier. Sous la présidence de Bourguiba, il occupa de nombreuses fonctions de ministre à des postes régaliens, plusieurs fois ambassadeur, représentant de l'Etat, président de la Chambre des députés. Il quitté la politique en 1993 pour reprendre son métier d'avocat, plaidant surtout les affaires d'arbitrage. 

 

Lorsqu'il est nommé Premier ministre le 27 février 2011, Béji Caïd Cebsi est alors âgé de 84 ans. Nombre s'étonnèrent de cette nomination d'un octogénaire à une telle fonction, dans un contexte de crise extrême. Rached Ghanouchi, le Président du mouvement Nahda, ironisait sur cette nomination des archives à laquelle Béji Caïd Cebsi répondit du tac au tac que « Ghanouchi aussi venait des archives mais qu'eux deux ne figuraient pas dans les mêmes boites ! ». On découvrit alors le miracle de la santé humaine, d'un senior dynamique et parfaitement clairvoyant, avec des aptitudes et allures d'homme d'Etat, cultivé et connaisseur des rouages institutionnels, responsable de la chose publique et de plus raffiné, charismatique et doté d'humour ... 

 

Il assura avec brio les difficultés de la transition, gérant notamment la crise humanitaire de 250.000 réfugiés fuyant les combats de Libye. Malgré des agressions sur le territoire national, BCC a maintenu sa ligne, sans succomber à une intervention en Libye pour ramener la sécurité et promouvoir ses intérêts. Pourtant, Barack Obama, le président des Etats-Unis assurait d'une participation des Tunisiens contre Kaddafi. Une décision « va-t’en-guerre » aurait comporté des risques mais aurait permis d’atteindre des objectifs très avantageux pour les intérêts tunisiens en matière de voisinage, de sécurité, d'administration, de financement, de marché, d'économie, de litiges frontaliers, etc. La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton fut chargée d'une mission de charme pour soutenir la révolution tunisienne et ses aspirations. Le projet ne trouva point d'échos en raison d'un anti-américanisme enraciné dans une opinion publique tunisienne, régulièrement heurtée par les positions américaines sur le conflit israélo-palestinien. Le Premier ministre fit répondre que l'armée de son pays n'était pas prête pour ramener l'ordre en Libye. Considérant les seules limites de son mandat, BCC s'est soucié de son opinion publique indisposée à un alignement sur les USA. Les partis politiques ne le soutiendraient pas et l'auraient facilement accusé de vouloir instaurer une nouvelle dictature. La Tunisie n'a pas de tradition interventionniste. Elle reste donc plus préoccupée par ses intérêts nationaux et le chef du gouvernement n'a pas modifié cet état des choses.

 

BCC s'est préoccupé de préserver la maison et non d'ambitionner de grands chantiers dont il ne maîtriserait pas les innombrables conséquences. Cette opinion était très majoritaire. Il en resta donc aux termes de sa mission pour mener le pays à l'organisation d'élections libres, en vue d'une constituante. BCC souhaitait que l'on débatte de la Constitution de 1959 et la révision de certains articles taillés sur mesure pour Bourguiba et Ben Ali, mais il fut soumis à une farouche volonté d'annuler la Constitution, de démanteler l'ancien parti RCD, d'interdire aux anciens cadres d’exercer toute fonction ou d'intervenir dans la nouvelle organisation. Malgré un désaccord, Béji Caïd Cebsi se plia à la volonté majoritaire, confiant dans l'idée démocratique, de partis politiques qui concourraient à des élections pour remplir leur mandat. Nous verrons qu'une fois au pouvoir les partis n'auront pas les scrupules de BCC. 

 

La personnalité du Premier ministre Caïd Cebsi rassure. La révolution tunisienne a suscité de vives sympathies. Les bailleurs de fonds se disent disposés à soutenir le processus démocratique.

 

Le mouvement islamique Nahda profite de ces faveurs. Son président est invité dans les hauts lieux politiques pour expliquer son projet de société et de gouvernance en Tunisie. Les performances économiques de 2011 sont moyennes par rapport à celles de 2010 qui étaient relativement mauvaises. 

 

A la veille du 23 octobre 2011, BCC termine sa mission. Les élections libres ont été organisées. Il s'en va confiant, avec beaucoup d'élégance et de satisfaction d'avoir bien servi son pays. Mais en 2012, les choses vont vite se dégrader. Le discours des bailleurs de fonds va se modifier. Les résultats de la crise de 2011 seront utilisés en référence par le gouvernement pour modérer les mauvais  résultats économiques de 2012 ! Ghanouchi ne sera plus invité à une quelconque tribune internationale. 

 

Le gouvernement de la troïka

 

Comme il fallait s'y attendre, le parti Nahda remporte les élections, sans toutefois obtenir de majorité. Le parti islamique est la principale force politique, rodée par des années de clandestinité, outillée dans le processus de prise du pouvoir. Il a soigneusement écarté l'ancien parti unique, par le démantèlement judiciaire du RCD  et l'interdiction faite à ses cadres de participer à la fonction politique... Les nouveaux partis s'avèrent sans expérience, ni moyens. 

 

Arrivé en tête, le parti Nahda associa au pouvoir les principales forces politiques du « Congrès pour la République » et du « parti Takattol ». On parle alors d'une troïka qui gouverne. Moncef Marzouki du CPR occupe la fonction de Président de la République. Mustapha Ben Jaafar du parti Takattol se charge de la fonction de président de l'assemblée nationale. Hamadi Jébali de Nahda dirige le gouvernement. Ce partage indique une rupture avec la tradition du pouvoir présidentiel, incarné par Bourguiba et Ben Ali. 

 

Dans le courant de l'année 2012, la troïka a détérioré en un temps record l'image, le prestige, l'économie du pays, le budget de l'Etat et ses ressources... 

 

Moncef Marzouki, médecin, militant pour les droits de l'Homme, est un produit de circonstance. Ben Ali lui avait donné rang d'opposant afin de dévaloriser toute prétention de l'opposition! Voici donc que ce militant se voit confier par les constituants, la charge de président « provisoire » . Les Tunisiens insisteront beaucoup sur le « provisoire » qui l'irrite tant. Dès sa prise de fonction, il multiplia les bourdes qui lui valurent de suite le surnom de « tertour », sorte de « niais » ou  « idiot ». Il ne respecte pas le protocole, s'affiche en burnous, refuse la cravate, imprévisible; il veut vendre le palais de Carthage pour soutenir l'emploi ; renforcer l'Union du Maghreb arabe, négligeant l'Algérie ; développer une croisade contre la Syrie et soutenir la rébellion de milices ! Invité en France, ses propos sur la colonisation sont très partiellement appréciés ; ses discours sont empreints de démagogie devant la communauté juive de Djerba ou le sommet de la Francophonie à Kinshasa ; il accueille au Palais les femmes niquabées et une clique de salafistes, récompensés par une  institution méconnue à propos d'une étude sur l'Islam ! Il soutient l'extradition de Baghdadi (ancien premier ministre libyen), mais, lorsqu'elle se fait sans son accord, il se fâche et se plaint de pouvoirs insuffisants... Marzouki est en constante recherche de considération et de légitimité qu'il ne trouve pas.

 

Hamadi Jebali, on le dit ingénieur, dirige un gouvernement de 30 ministres et 11 secrétaires d'Etat. La dimension de cet exécutif est  tout de suite critiquée en raison d'une législature transitoire. Dans ses premières actions, le gouvernement entreprend une action de bienfaisance dont on ne sait si elle est une opération de marketing ou de récompense des islamistes. Il organise le mariage collectif de dits pauvres gens, en veillant à recouvrir les mariées d'une signature de voile sur les cheveux !. On découvrira que l'action visait une récompense pour les militants emprisonnés, à qui on donne  femme  et  argent. Les nahdaouistes emprisonnés sous l'ère Ben Ali gagnent une indemnisation, alors que les militants de gauche ne l'ont pas demandé. Les criminels sont graciés. Les prédicateurs les plus dangereux trouvent audience dans les stades et salles de sport de Tunisie ! Des groupements islamistes séquestrent le rectorat de l'Université de la Manouba (l'ULB apporta un vif soutien), attaquent l'ambassade des Etats-Unis avec une défaillance de services de sécurité. Les violences sont excusées pour « les frères salafistes qui s'éloignent de la religion », tandis que les directeurs de journaux, chefs d'entreprises, professeurs d'universités, femmes et journalistes sont emprisonnés, séquestrés, agressés, poursuivis, violentés ou menacés. Pour remède à l'économie tunisienne, les solutions sont des quasi-prières et de la volonté, il faut « croire en Dieu », avoir « peur de Dieu », s'inspirer de l'éducation musulmane, de la finance islamique, de l'apprentissage du turc, de la persévérance (le jihad)... qui devraient contribuer à éradiquer les maux sociaux et économiques.  2012 montre d'innombrables faits qui ont détérioré l'image de la Tunisie. Furent très critiqués pour leur incompétence et leur parti-pris, les ministres de l'Intérieur, de la Justice, des Affaires étrangères, de l'Enseignement supérieur, des Droits de l'Homme, de la Jeunesse et des Sports. Mais aucun ne démissionna.

 

Mustapha Ben Jaafar est médecin, nommé président d'une Assemblée nationale constituante (ANC) chargée de questionner sur les faits de la vie civile et réaliser une Constitution dans un délai d'un an maximum. Or, l'ANC n'a pas pris de mesures contre les abus de pouvoir, la violence, le pillage, la gabegie.... Il va sans dire qu'au 23 octobre 2012, la mission principale de l'ANC n'a pas été réalisée. La Constitution n'est pas promulguée, ni même soumise à consultation. Les députés ont failli a leur mission, mais ils n'ont pas démissionné. Ils se sont tous accordés pour continuer à exercer et à percevoir leurs salaires alors qu'aucune prolongation ne leur a été définie. Ces députés seraient donc illégitimes et ne peuvent pas reconduire leur mission. Le 23 octobre 2012 est donc un jour de tous les dangers, de révolution légitime et toute l'intelligentsia de Tunis est mobilisée. Parfaitement consciente de ces menaces, la troïka opportuniste travestit ce jour de la reddition des comptes, en un premier anniversaire des élections libres en Tunisie ! ...

 

L'ombre de GHANOUCHI

 

Le président- fondateur du mouvement Nahda représente l'idéologie de l'Islam politique. Il n'occupe aucune fonction dans le gouvernement, mais son influence est grande. De son vrai nom Ferid Kheriji, on prétend qu'il aurait changé de nom pour échapper à la justice dans une affaire de moeurs ! Ce changement interpelle, comme s'il avait quelque chose à cacher! Théologien de formation, on le dit licencié en philosophie de l'Université de Damas. Il s'exprime en arabe littéraire et son  anglais de même que son français est faible. 

 

Le succès de son mouvement a rendu incontournable le personnage. Est-il à la hauteur de ce dessein ? A 71 ans, il souhaite se donner une stature d'éminence grise de l'Islam. Le magazine Foreign Policy l'a invité à Washington (décembre 2011) pour lui remettre une récompense et l'entendre sur les valeurs qu'il porte, ses positions sur l'Islam, sur le terrorisme et bien sûr... sur « la sécurité d'Israël » ! Au forum de Davos (janvier 2012), il est l'invité d'honneur, pour éclairer la finance mondiale sur le « printemps arabe » et les ambitions du peuple tunisien... Ces prestations furent parfaitement banales. A l'exception de quelques propos généralistes sur la corruption et le terrorisme, aucune idée géniale ni enthousiasme n'ont traversé les ondes. On peut affirmer qu'il a très mal « vendu » la révolution tunisienne. La majorité des gens doutaient déjà de ses aptitudes, maintenant ils s'inquiètent. L'homme focalise toutes les craintes.

 

Pourtant, malgré son impopularité, il est fort à craindre que les Tunisiens voteront à nouveau pour le parti Nahda. Comment expliquer ce paradoxe ? S'il n'y a pas de contenu dans les propos du cheikh, ses opinions laissent transparaître la perspicacité d'une stratégie de conquête du pouvoir, avec une organisation et des méthodes pour y parvenir. Il n'y a pas de préoccupation pour l'intérêt national, mais celle de fondre la Tunisie dans un ensemble panislamique. On observe  la conquête des mosquées... d'anciens imams paisibles ont été remplacés par de nouveaux  favorables à Nahda. Ils gagnent salaire, prestige et profitent de l'influence des croyants pour prêcher politique.  Des comités de défense de la révolution se sont mis en place, composés par des militants de Nahda et financés. Ainsi, des milices privées soutiennent la révolution ... et les comités de propagande du régime sont mis à disposition de leurs thèses!  Il est fort probable qu'une internationale d'influence tente de se mettre en place, pour s'organiser secrètement à la manière de la franc-maçonnerie

 

Quelle opposition ? 

 

La centrale syndicale de l'UGTT a joué un rôle d'opposition, conditionnant la prolongation des constituants à  une dissolution des comités de protection de la révolution, lesquels portent un parti-pris et un esprit de vendetta. L'opinion est soutenue par tous les partis politiques, à l'exception de Nahda, mais c'est Nahda qui gagne in  fine sur la question du remplacement des ministres de l'Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères, qui ont bouleversé les principes de l'équité, de la justice et de la tradition diplomatique. Des hommes «neutres», voire « technocrates », pour ne pas dire « professionnels », sont réclamés à ces postes régaliens. Le Premier ministre a laissé entendre qu'il pourrait être d'accord ,mais au final il ne change rien. Un agenda pour la finalisation de la Constitution et les élections sont exigés. Mais ces dates sont laissées à inchalah... La centrale ouvrière menace d'une grève générale pour le 14 décembre 2012. 

 

Pour faire renoncer à ce projet, on invoque la «paix civile», le coût et les conséquences de la grève,  l'intérêt d'une réunion de «politique internationale » à Tunis, avec la présence de Hillary Clinton et de personnalités européennes. On pointe la responsabilité du syndicat, et non pas celle de la troïka qui  a mené à cette impasse. Le syndicat renonça à la grève. La troïka est reconduite dans sa fonction politique, sans qu’aucune des conditions exigées par l'UGTT ne soit respectée. Il est ensuite aisé de reprocher à la centrale de faire de la surenchère politique, de menacer la paix civile, tandis que les demandes sociales et économiques légitimes de l'UGTT ont été écartées, provisoirement, en raison du contexte de crise. Une fois encore, le peuple tunisien se laisse piéger par l'incompétence de ses dirigeants, le concours des intérêts partisans qui nuiront fortement à l'intérêt de la Tunisie. 

 

Les députés de la troïka ont conservé leur pouvoir, leurs salaires... ils ont même augmenté leurs indemnités de logement! Les hommes de Nahda se sont avérés habiles pour récupérer le pouvoir et manoeuvrer pour le garder. Ils se sont imposés par la ruse et le concours des intérêts individualistes. Et ils disposent encore de la force publique qu'ils consacrent à leurs intérêts, sans respecter leurs engagements. C'est de la dictature, de plus inefficace. Ces erreurs fondamentales nous coûteront la sympathie et le soutien dont nous aurions besoin. Pour signal d'avertissement, la réunion internationale de Tunis s'est déroulée sans la présence de la secrétaire d'Etat américaine, du ministre français et des responsables européens, qui se sont justifiés d'un problème de digestion pour Hillary Clinton et de plates excuses pour les autres. La politique internationale s'est désintéressée de la Tunisie, alors que celle-ci croyait donner une leçon au monde. Quant aux ambitions de notre ministre des Affaires étrangères, elles ajoutent l'humiliation à l'insuffisance de moyens. 

 

Sauvetage de la Nation 

 

Les incompétences de la troïka ont amusé les citoyens tunisiens, mais leur rire traduit de profondes anxiétés sur leur devenir. Tout ce qui a été capitalisé en 50 ans de développement économique se délabre sous leurs yeux, mais ils ont gagné la liberté d'en prendre conscience et de l'exprimer. Dans ce contexte, Béji Caïd Cebsi s'est senti le “devoir” de revenir sur la scène politique, car le projet de Nahda  vise à détruire l'Etat républicain. A 86 ans, l'homme n'a aucune ambition personnelle, sinon de sauver l'honneur de gens de sa génération qui ont bâti l'Etat. Il créa un nouveau parti politique nommé “Nida Tounès”, signifiant « l'appel tunisien ». Le titre exprime une sorte d'urgence nationale. BCC est l'un des rescapés de l'ancienne garde qui n'a pas été empêché de concourir aux élections. Son parti est officiellement reconnu en juillet 2012 et il monte très vite dans les sondages d'opinion. L'homme rassure par son enracinement et ses connaissances des rouages de l'Etat. Il est apprécié pour sa culture et sa compétence. Il charme par son usage de la langue tunisienne et son humour. 

 

Le parti “Nida Tunès” est devenu une force principale, ce qui inquiète “Nahda”. Cependant, le parti est fragile, car il dépend du charisme de son vieux BCC, qui à tout moment pourrait quitter notre monde! Ses adversaires en sont conscients et ils ne le ménagent pas. Les partisans de la mouvance islamiste n'hésitent pas à le traquer, en dehors des règles de courtoisie et de l'éducation, en opposition flagrante avec les valeurs de respect des aînés  que les religieux seraient supposés porter! 

 

Nahda utilise le poids de l'appareil d'Etat pour casser l'homme. Le chef du gouvernement Jebali, les ministres nahadouistes de la Justice, de l'Intérieur et de la Jeunesse veillent à nuire personnellement à l'homme, au lieu de défendre le droit démocratique à l'expression des partis. Ils l'accusent (1), le surveillent, l'espionnent (2), le poursuivent devant les tribunaux pour l'alourdir d'une charge judiciaire (3), le violentent, assassinent un de ses représentants (4), entravent l'organisation de ses meetings (5), sabotent ses rencontres si elles ont lieu (6)... 

 

Les meetings de Nidaa Tounès sont sabotés par les institutions ou par des groupuscules organisés. A Djerba, le ministre de laJeunesse a refusé de fournir une salle publique. Le ministre de l'Intérieur n'a pas assuré la sécurité. Le ministre de la Justice a critiqué le déroulement de ces meetings... Finalement, le meeting politique est organisé dans un centre de loisirs privé. De supposés manifestants transportés sur place, se réclamant du peuple de Djerba, ont saboté la rencontre, séquestré les militants, selon une organisation et un minutage précis. Ils ont cassé le matériel pour augmenter une charge financière qui incombera nécessairement à l'Etat démocratique, incapable d'assurer la démocratie. 

 

Sous perfusion de propagande

 

On croyait les Tunisiens avertis et blasés par ces vieilles méthodes d'intimidation et de propagande qui datent de l'ère Bourguiba. Le pouvoir en place n'assure pas l'objectivité des débats. Il n'a donc pas gagné en démocratie. Pire, il téléguide des milices pour porter des objectifs partisans. Ces cellules de propagande, probablement sous l’autorité du ministère de l'Intérieur, sont formées et payées pour manifester des mouvements d'opinion, en faveur ou à l'encontre d'une personnalité, pour soutenir ou rejeter une politique. Tout au long de cette révolution tunisienne, des cellules privées ou publiques, se réclamant du peuple, ont crié des slogans qui coïncidaient un peu bizarrement avec les intérêts du parti Nahda. Quant au véritable peuple, d'une majorité de khobsistes(7), il est pris en otage, inconscient des enjeux. 

 

Le 14 janvier 2013, le président “provisoire” Moncef Marzouki organisera une grande manifestation pour fêter l'anniversaire de la révolution tunisienne. Seuls quelques dictateurs seront présents à l’événement, mais ni le peuple tunisien, ni les organisations qui ont applaudi à la liberté, ni les grandes puissances, ni les représentants d'Etat ne feront le déplacement pour assister à une révolution volée où les incompétents ont remplacé les opportunistes, pour devenir eux-mêmes des opportunistes qui veulent profiter à leur tour. Ce jour -là, les pendules de l'Histoire se remettront à l'heure pour nous éclairer sur ces moments étranges de glorification, d'orgueil national, de sacrifices pour le peuple, de souffrance des martyrs, de victimisation des anciens... qui visent en fin de compte à justifier la conquête des pouvoirs, des uns sur les autres. On sait que les gagnants écrivent l'Histoire. Mais Marzouki n'est pas encore dans le camps des gagnants. Il n'est qu'un président “provisoire”, qui essaie de s'accrocher à une fonction pour laquelle il est inapte, sauf si on aspire à une République au rabais.

 

 On constate un vent de liberté et de critiques très argumentées contre les pratiques de l'Etat. L'usage de la langue française ou anglaise facilite l'argumentation et apporte un autre type d'analyse critique que les islamistes aimeraient faire taire. C'est pourquoi le pouvoir de Nahda veut s'attaquer à la francophonie qui est une prochaine cible.

Kerim Maamer

     
 

Biblio, sources...

(1) Accusé d'être un ancien du parti rcdiste, complice de l'assassinat de Ben Youssef...
(2) Par son chauffeur
(3) Accusation de torture
(4) Lotfi Naghd, coordinateur du parti lynché et assassiné à Tataouine
(5) Manifestations contre le siège de l’ UGTT le 4 décembre 2012, événements de Siliana, etc. 
(6) Le 23 décembre 2012
(7) Khobz : pain... manière tunisienne de désigner la majorité silencieuse.

 
     

     
   
   


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