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Syrie : principes élémentaires de la propagande de guerre
Banc Public n° 222 , Octobre 2013 , Frank FURET
Le méchant tue tout le monde
L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), un organisme proche de la rébellion financé par les monarchies arabes et les Etats occidentaux et dont le siège se trouve à Londres, a publié début septembre 2013 un bilan des victimes de trente mois de guerre en Syrie. Ces chiffres révèlent une certaine partialité des médias traditionnels et contredisent la propagande pro-interventionniste. En 30 mois de conflit, il y aurait eu 110.371 morts dont 45.478 combattants pro-Assad. Cela signifie que près de la moitié des victimes de la guerre sont des soldats et des miliciens loyalistes.
Par conséquent, il est aussi malhonnête de tenir Assad pour responsable de la mort de plus de 110.000 Syriens comme le font les médias que de mettre le peuple et le gouvernement syriens dos à dos puisque la première victime de la guerre de Syrie, c’est l’armée. L’OSDH dénombre 40.146 victimes civiles..Ce chiffre ne distingue pas les Syriens que l’on pourrait globalement qualifier de « pro-gouvernementaux » ou de « pro-rébellion ». Le nombre de civils, femmes et enfants inclus, que l’on peut situer dans le camp des pro-Assad, des anti-rebelles ou des neutres est sans doute extrêmement élevé, surtout si l’on tient compte des tueries de masse commises ces dernières semaines par les groupes terroristes dans les zones kurdes du Nord du pays (Tell Aran, Tell Hassel, Tel Abyad, Sereqaniye), dans les quartiers et les villages chiites (Nubbol-Zahra, Hatlah), alaouites (Lattaquié) et chrétiens (Marmarita, al Duvair, Jaramana) et parmi les sunnites patriotes un peu partout dans le pays. Les groupes armés anti-régime ont d’ailleurs revendiqué des centaines d’exécutions de civils y compris des enfants, soupçonnés de sympathie envers le régime syrien. Parmi les victimes civiles du conflit, comptons également les Syriens massacrés par des groupes non identifiés (à Houla en 2012, à Banias et à Ghouta en 2013). Du côté des victimes de l’opposition armée, l’OSDH a comptabilisé 21.850 tués, soit deux fois moins que de militaires syriens tués et un cinquième du nombre total de victimes de la guerre. Ces groupes armés se livrent eux-mêmes à des guerres intestines qui entraînent la mort de nombreux combattants pro-rébellion ainsi que leurs familles. Parmi les 40.146 victimes civiles du confit syrien, il faudrait donc tenir compte des centaines de civils pro-rebelles tués par des rebelles.Ahrar Al Cham et l’Etat islamique de l’Irak et du Levant (EIIL) s’accusent mutuellement.
Les gentils appellent à la compassion
Pour justifier l'intervention en Syrie, on a beaucoup souligné le malheur des réfugiés syriens. On nous parle toujours des 250.000 réfugiés des pays voisins. Mais le sort des réfugiés de l’intérieur qui sont près de dix fois plus n’intéressent guère. La raison principale en est que ces réfugiés de l’intérieur sont pour la plupart évacués par l’armée et les services d’aide civile mobilisés par le gouvernement de Damas. Des millions de Syriens aiment et font confiance à leur armée. De nombreux Syriens aiment et soutiennent les rebelles, mais de là à ne parler que des seconds…
Le méchant utilise des armes non autorisées
Pour ce qui est de la Syrie, ce qu'implicitement, on pouvait déduire des discours médiatiques, c'est que ce n'est plus " tuer"qui est criminel , mais bien la manière de le faire. Même Isabelle Durant et Daniel Cohn Bendit, pourtant parlementaires européens écolos, sont tombés dans le piège : démontrer la nécessité d'une intervention militaire en se basant seulement sur leur "intime conviction" que c'est Bachar El Assad qui a utilisé le gaz , sans attendre le rapport de la commission onusienne (un rapport du mois de mai estimait par ailleurs que c'était les rebelles qui avaient utilisé du gaz sarin, ce sur quoi les médias n'ont pas trop insisté). Leur seul argument étant que l'opposition n'a pas la capacité de fabriquer ce gaz , donc ce n'est pas elle qui peut être responsable de cette utilisation.
Les gentils ne veulent pas la guerre
Ribbentrop justifiait l'envahissement de la Pologne en ces termes : « Le Führer ne veut pas la guerre. Il ne s’y résoudra qu’à contrecœur. Mais ce n’est pas de lui que dépend la décision en faveur de la guerre ou de la paix. Elle dépend de la Pologne ». Arthur Ponsonby avait déjà remarqué que les hommes d'État de tous les pays, avant de déclarer la guerre ou au moment même de cette déclaration, assuraient toujours solennellement en préliminaire qu'ils ne voulaient pas la guerre . La guerre n’est jamais désirée, elle n’est que rarement vue comme positive par la population. Avec l’avènement de nos démocraties, le consentement de la population devient essentiel, il ne faut donc pas paraître vouloir la guerre.
Bahar Kimyongür nous rappelle qu' à force de nous gaver d’images devant prouver la barbarie de l’armée syrienne, nos médias étaient habilement parvenus à nous faire oublier le rôle des USA et de leurs alliés régionaux dans le conflit. Ajoutées aux discours anti-russe, anti-chinois et anti-iranien, ces images oublient néanmoins les bases navales et aériennes américaines, les radars US, les agents de la CIA, bref le rôle central des USA dans le chaos en Syrie. Dans la province turque du Hatay, c’est-à-dire au pied de la forteresse syrienne, les djihadistes d’Al Qaida ou de l’Armée syrienne libre, les soldats de l’armée turque et les troupes américaines se trouvent tous du même côté. A quelques kilomètres de la frontière syrienne, il existe une base radar de l’OTAN, celle de Kisecik, située au sommet de la chaîne montagneuse de l’Amanus. Les villageois du pays d’Antioche désignent ce site par « le radar ».Au point 0 de la frontière syrienne, l’OTAN est occupée à construire au sommet du Djebel El Aqra’ (le mont Casius) une nouvelle base de surveillance ; cet endroit est hautement stratégique et domine la province syrienne de Lattaquié, ce qui permettra de contrôler la Syrie par air, terre et mer. Située à moins de 150 km de la frontière syrienne à vol d’oiseau, la base militaire d’Incirlik, par où transitent les armes libyennes à destination de l’insurrection syrienne, est l’une des plus grandes bases US aériennes et de surveillance du monde. Dans le golfe d’Alexandrette, à quelques encablures des côtes syriennes, des navires de guerre de l’OTAN fournissent des renseignements militaires aux insurgés syriens. Dans la même province du Hatay et dans la province voisine d’Adana, la CIA dispose de centres de formation militaire réservés aux insurgés syriens. Les vétérans d’Afghanistan, de Bosnie, de Tchétchénie, d’Irak, de Libye, des djihadistes originaires du Tadjikistan et du Yémen, de France ou du Maghreb arrivent par voiture, par bus et par avions entiers en empruntant les axes routiers et aériens internationaux. La population cosmopolite du Hatay voit tous les jours débarquer des hommes d’apparence peu pacifiste et parfois armés. Il est impossible que des bataillons d’Al Qaida puissent arriver aussi massivement sans attirer l’attention des troupes américaines ou turques qui contrôlent chaque parcelle de la région. Les chaînes télévisées turques diffusent en direct les affrontements militaires frontaliers entre troupes gouvernementales syriennes et insurgés qui font le va-et-vient entre les camps de réfugiés situés en Turquie et le territoire syrien. Sur des dizaines de clichés parvenant du front syrien, on peut reconnaître des M24 américains brandis par les rebelles, des RPG russes de l’ancienne armée libyenne acheminés par des navires de l’OTAN, des fusils AUG Steyr autrichiens, des MANPAD américains envoyés par le Qatar et l’Arabie saoudite et livrés par l’armée turque. La presse suisse rapporte que des milliers de grenades suisses vendues aux Emirats arabes unis ont atterri dans les mains des rebelles syriens après avoir été offertes aux militaires jordaniens. De plus, grâce à leur système d’espionnage, les USA ont ouvert des brèches dans la forteresse syrienne pour que les rebelles syriens puissent durablement s’installer dans le pays assiégé. C’est un boulevard que leur offrent les services de renseignement de l’armée turque et de l’armée US. Alors que l’ASL multiplie ses exactions et crimes de guerre, certains se demandent légitimement pourquoi les USA évitent de placer ce groupe sur leur liste des organisations terroristes alors que d’autres organisations bien moins cruelles y figurent.
Les gentils défendent une cause noble, pas des objectifs économiques...
Les buts économiques et géopolitiques de la guerre doivent être masqués sous un idéal, des valeurs moralement justes et légitimes. La crise syrienne se nourrit aussi de la' bataille énergétique autour du gaz. En Syrie, l' objectif économique inavoué du conflit, c'est la rivalité entre le Qatar (principal pourvoyeur de fonds de la rébellion) et l’Iran autour du champ gazier le plus important du monde, et les intérêts géostratégiques des pays du Golfe. La Syrie se trouve au cœur des intérêts de deux États, le Qatar et l’Iran, qui partagent le plus grand champ gazier du monde : soit 9.700 km2 dans le golfe Persique, qui court de part et d’autre de la limite des eaux territoriales des deux pays. C’est le North Dome, du côté qatari, et le South Pars, du côté iranien. Une manne considérable : le site abriterait environ 51.000 milliards de m3 de gaz. La copropriété se passe mal : le Qatar, qui n’est pas soumis aux sanctions internationales comme l’Iran, pompe davantage dans la réserve que son grand voisin. De son côté, la République islamique menace régulièrement de fermer le détroit d'Ormuz par lequel passent les méthaniers qataris. Inacceptable pour Doha, qui a bâti sa puissance économique sur les exportations de gaz. Pour contourner l’obstacle, les Qataris se sont donc mis à chercher de nouvelles voies de transit. En 2009, Doha avait imaginé un gazoduc terrestre allant du golfe Persique jusqu’à la Turquie. Le pipeline serait passé par l’Arabie saoudite, la Jordanie et la Syrie.Le Qatar a bien essayé de s'entendre avec Bachar el-Assad , mais ce dernier a fini par dire non au pipeline qatari, à la demande sans doute de son allié russe, dont les intérêts économiques auraient été menacés, explique Roland Lombardi, doctorant à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman . « D’autant que Gazprom, le géant gazier russe, s’est positionné pour devenir le principal exploitant des réserves de gaz et de pétrole sur le point d’être découvertes au large de la Syrie. » Et en 2011, Assad signe pour la construction d’un pipeline avec l’Iran et l’Irak : l’Islamic Gas Pipeline, qui sera relié au South Stream, le gazoduc russe. « On comprend mieux l’intérêt du Qatar à un changement de régime à Damas », affirme ainsi David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas). « Il est évident que si le régime de Bachar el-Assad tombe et qu’il est remplacé par un gouvernement de Frères musulmans, ce dernier sera sensible aux demandes de ceux qui les ont aidés à accéder au pouvoir. » Des enjeux qui peuvent expliquer en partie le soutien étonnamment massif offert par le Qatar à la rébellion syrienne. Selon le Financial Times, l’émirat a dépensé 3 milliards de dollars pour financer l’armement des rebelles. Un montant qui dépasse de loin les aides des pays occidentaux – fin novembre 2012, Paris a donné 1,2 million d’euros à la nouvelle coalition formée par l’opposition syrienne. «Mais, ces dernières semaines, avec l’avancée des troupes syriennes, il est évident que seule une intervention occidentale pourrait aider l’opposition syrienne, et donc le Qatar, à arriver à ses fins», poursuit Roland Lombardi. Les pays européens ont beaucoup à perdre dans ce dossier. Ainsi, le projet de gazoduc qatari devait être raccordé à Nabucco, un projet de pipeline européen dont l’objectif est d’alléger la dépendance des pays européens au gaz russe.
Frank FURET |
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Biblio, sources...
La Syrie, otage d'une bataille pour l'énergie, Anne Guion, 3 septembre 2013, La Vie
Syrie : le cadeau des Etats-Unis à Al Qaida et vice-versa, Bahar Kimyongür, indymedia Suisse, octobre 2012
Discours de Bahar Kimyongür, porte-parole du Comité contre l’ingérence en Syrie (CIS) à l’occasion d’un rassemblement organisé devant l’ambassade des
Etats-Unis à Bruxelles le 25 septembre 2012
Principes élémentaires de la propagande de guerre, Anne Morelli, Labor, 2001
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