Peu avant le déclenchement des élections, la Première ministre sentait que le budget proposé par le ministre des finances allait mener son parti à une cuisante défaite (l'opposition s'était clairement manifestée) !
Or, dans les mois qui ont précédé la présentation du budget, Pauline a arrosé à coup de millions de dollars les différentes régions du Québec et dans différents types d'investissements. Elle a, entre autres, donné son aval pour l'exploration pétrolière sur l'île d'Anticosti, une perle dans un écrin de la Région. Tout le monde n'a pas ressenti la nouvelle comme une mesure économique salutaire, mais comme une compromission avec les sbires du Premier ministre fédéral Harper qui sont très peu, mais alors vraiment très peu, soucieux de l'environnement. En donnant son feu vert, elle alimentait le cheval de bataille des libéraux et se mettait à dos sa frange plus à gauche.
Mais le pire de tout, c'est que Pauline Marois s'était engagée, lors de sa campagne, à tenir les élections à date fixe. En rompant avec cet engagement pour tenter d’obtenir un gouvernement majoritaire, elle s'est tiré dans les pattes...
Les faits électoraux
En 2012, 15 mois avant la fin de son mandat, le Premier ministre québécois, Jean Charest, libéral, demande la dissolution du parlement provincial et la tenue d'élections législatives anticipées. La crise d'alors est alimentée, d'une part, par la grève étudiante qui va durer 7 mois, en réaction à l'augmentation des droits de scolarité universitaires et, d'autre part, par le déclenchement de la Commission Charbonneau. Cette commission (du nom de sa présidente, France Charbonneau) s'avère n'être pas un simple coup de balai anodin, mais bien une véritable opération de nettoyage en profondeur et d'assainissement, puisqu'elle est chargée d'examiner "l'existence de stratagèmes impliquant des activités de collusion et de corruption avec l'industrie de la construction ainsi que de possibles activités d'infiltration par le crime organisé". Elle touche directement à l'implication présumée des dirigeants de l'époque et du Parti libéral en général (1).
La première ministre élue alors, c'est Pauline Marois, chef du Parti québécois, principal parti d'opposition qui préconise, entre autres, mais c'est là son label, la souveraineté (l'indépendance) du Québec et la protection de la langue française. Les péquistes, comme on les appelle, se présentent eux-mêmes comme des sociaux-démocrates.
Le 7 avril dernier, le Québec a donc dû retourner aux urnes pour élire le parti supposé le représenter dans un océan anglophone,. Et c'est là que survient la déconfiture de Pauline Marois et de son parti alors que les sondages les plaçaient en territoire majoritaire. Madame Marois, vêtue de noir le soir des élections, visiblement très émue, a d'ailleurs remis sa démission de son poste de chef de parti et pris sa retraite politique définitive.
Alors, que s'est-il passé ? Les Québécois ont-ils la mémoire courte ? Après avoir fait élire 54 députés le 4 septembre 2012, ce qui lui avait permis de former un gouvernement minoritaire - qui n’a duré que 19 mois -, le PQ se retrouve le 7 avril 2014 avec 30 sièges, à peine 26% des voix (2). C'est sa pire performance depuis 1970. Au profit de qui ? Le libéral Philippe Couillard de Lespinay… plus connu sous le nom de Philippe Couillard, neurochirurgien, ancien ministre libéral du gouvernement Charest ! Oui, oui, de ces libéraux dont les activités sont encore instruites en Commission de corruption.
Comment expliquer une telle défaite ?
1re cause : la perspective d’un référendum
Toutes les analyses concordent. Ce qui a précipité la défaite du Parti québécois, c'est le sujet de l'indépendance du Québec. Rappelez-vous 1980 avec René Lévesque, puis 1995 avec Jacques Parizeau, les deux référendums sur la souveraineté du Québec qui voulait tenter l'aventure du droit à l'autodétermination en tant que nation. Le "non" , franc la première fois, timide la seconde, émis par les Québécois est dans toutes les mémoires. Et il reste douloureux.
Mais…
Lévesque, c'est un journaliste, un député. Mais c'est surtout le fondateur du Parti québécois, un indépendantiste convaincu, qui a fait promulguer la Charte de la langue française, ou loi 101, qui définit les droits linguistiques de tous les citoyens du Québec et fait du français leur langue officielle.
Parizeau, c'est un économiste, un haut fonctionnaire. Mais c'est surtout la Révolution tranquille, l'État-Providence, la séparation de l'État et de l'Église, la nouvelle identité nationale québécoise qui cherche à se distinguer du nationalisme canadien-français.
Marois, elle, c'est une travailleuse sociale, admirée et respectée, certes, une femme d'expérience politique solide entourée d'une équipe solide. Mais c'est aussi Pauline au pays des merveilles… N'a-t-elle pas, en effet promis que, dans un Québec indépendant, les frontières de la province resteraient ouvertes au reste du pays, adoptant le modèle de la libre circulation des biens et des personnes sur le territoire européen ? N'a-t-elle pas essayé de faire croire au maintien du dollar canadien et au siège québécois au conseil d'administration de la Banque du Canada, histoire d'influencer la politique monétaire ? Personne n'y a cru, d'autant qu'aucune de ces propositions n'a jamais fait l'objet de discussions ou de négociations préalables avec le reste du Canada !
La perspective de rupture avec le grand frère protecteur effraie chroniquement le peuple québécois. Et cette peur est d'autant plus forte que Pauline Marois, si elle avait gagné l'estime et l'admiration de bien des électeurs par sa carrière sociale et éducative, n'en était pas pour autant considérée comme une leader possible du mouvement indépendantiste. Et personne d'autre ne semble actuellement avoir le profil charismatique de Lévesque ou le bagage de l'économiste Parizeau…
Mais pas un instant, on n'aurait pu prévoir une telle défaite du Parti québécois ! Les derniers temps, bien sûr, en continuant à croire à la victoire du Parti québécois, on la voyait cependant avec un gouvernement minoritaire. L'arrivée de l'homme d'affaires, Pierre-Karl Pélardeau, ardent défenseur de la souveraineté québécoise, sur la scène des élections, a encore attisé la peur. Cette peur tellement palpable depuis les débuts de la campagne que la première ministre, Pauline Marois, avait elle-même admis durant les derniers jours, qu’elle regrettait de n’avoir pas dit plus clairement qu’elle ne tiendrait un référendum que si les Québécois le désiraient, mais qu’à ses yeux les Québécois, pour le moment, ne semblaient pas intéressés par une nouvelle aventure référendaire… Recul aux relents de coup de poker. Il était trop tard. Le message de la défaite est clair : les gens ne veulent pas d'un nouveau référendum.
Mais il y a, selon moi, d'autres explications.
2e cause : le contexte
Le mandat de Pauline Marois a été très court. Elle ne pouvait pas, en si peu de temps, construire une image forte de sa personne, de son parti et de son programme et la présenter aux électeurs. Face au conflit étudiant, elle n'a pas apporté de véritable solution. Sur la scène économique, elle a révélé beaucoup de faiblesses et son discours, attendu à gauche, a parfois viré à droite (voir 3e cause).
3e cause : la Charte des valeurs
Cette fameuse charte qui fait tant jaser dans les chaumières…
Au départ, elle visait à renforcer le principe de séparation des religions et de l'État et à donner une réponse au pluralisme religieux en favorisant l'égalité de toutes et de tous en les unissant par un lien civique fort (3).
"La charte, en soi, c'est l'égalité entre les hommes et les femmes ainsi que la liberté de religion, mais l'État doit rester neutre par rapport au choix individuel que font les gens de leurs convictions religieuses", énonce P. Marois.
"La meilleure façon d'assurer le respect de toutes les religions, c'est que l'État n'ait aucune religion. Quand tu travailles pour l'État, ce n'est pas un droit de travailler pour l'État, c'est un choix, et avec ce choix viennent des responsabilités. Et l'une de ces responsabilités, c'est d'être neutre", appuie Bernard Drainville, responsable du projet de charte et ministre des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne.
Le problème, ce n'est pas tant la charte en question, même si celle-ci suscite des débats enflammés.
Selon Françoise David, porte-parole parlementaire de Québec solidaire, " On s'attaque à des symboles et aux individus, majoritairement des femmes, mais au fond on ne règle rien. Pendant ce temps l'État continuera à subventionner les écoles religieuses à hauteur de 60 %. Où est la neutralité de l'État là-dedans? En quoi d'interdire le port d'un foulard à une fonctionnaire qui travaille dans un cubicule ou le port de la kippa à un médecin dans un hôpital peut bien assurer la préservation de l'identité québécoise? ».
4e cause : les adversaires politiques
Philippe Couillard représente, à tort ou à raison, la force économique, la continuité et la stabilité. Une valeur refuge derrière laquelle les électeurs n'ont pas hésité à se rallier en majorité. Ils l'ont fait aux dépens de la tradition démocratique qu'est l'alternance du pouvoir. Cette alternance permet aux partis politiques de se refaire une beauté, le temps de leur travail d'opposition. Les libéraux n'ont pas eu ce temps et restent collés au passage de Jean Charest, à l'échec de la grève étudiante et à la Commission Charbonneau. Mais le vote a parlé…
François Legault et sa Coalition avenir Québec (CAQ)a raflé bon nombre de voix au Parti québécois puisqu'il en a récolté pratiquement autant. Cette frange de droite risque bien, dans les prochaines années, de s'offrir un avenir prometteur et de jouer un rôle dans l'opposition. Et c'est là un point d'orgue sur la défaite électorale du PQ qui sauvegardait, au Québec, l'image traditionnelle d'une gauche engagée et influente, chère à la grande majorité des Québécois.
Triste Québec qui n'arrive pas à définir son identité et à s'affirmer. Que la marmelade est amère ! Allez, je retourne à ma cuisine…